Faut-il revenir sur les instances qui régissent les rapports entre l’Etat et les collectivités territoriales en matière d’éducation ? Un rapport des inspecteurs généraux Jean-Marie Panazol et Martine Gustin-Fall y invite. Alors que les collectivités territoriales couvrent un quart de la dépense intérieure d’éducation, qu’elles sont amenées à réagir dans l’urgence aux crises qui secouent l’Ecole, le rapport fait le bilan des dysfonctionnements des instances réunissant les deux acteurs. Il invite à créer des instances nouvelles pour confier aux collectivités territoriales la co construction des projets éducatifs locaux. Il relance aussi l’idée d’une « gouvernance nationale » sur l’orientation ou les politiques de la jeunesse.
Des collectivités réduites à l’état de prestataires
« L’examen de l’articulation qui s’est construite, notamment depuis les années 1980, entre l’État et les collectivités territoriales dans le domaine de l’éducation, permet de confirmer que cette problématique, qui n’a pas encore trouvé son équilibre institutionnel et son degré de maturité opérationnelle, est délicate et complexe à la fois de par les différents volets qu’elle couvre et les divergences d’approches dont elle fait l’objet », annonce d’emblée le rapport de Jean-Marie Panazol et Martine Gustin-Fall sur « l’articulation des compétences des collectivités territoriales et de l’État dans les politiques nationales et territoriales de l’enfance, de l’éducation et de la jeunesse ».
Le rapport s’attaque à l’enchevêtrement de compétences voulu par les différentes lois de décentralisation, notamment celle opérée sous F Hollande avec le nouveau découpage régional. « Cette articulation, rendue obligatoire par les textes qui ont confié des responsabilités de gestion des fonctions-supports des services et établissements de l’éducation nationale telles que le bâti scolaire, les transports d’élèves ou le numérique éducatif aux collectivités territoriales, est devenue désormais une réalité, même perfectible, et se traduit par la mise en place progressive, variable selon les situations, d’outils et de moyens en faveur d’un système éducatif modernisé », écrivent le srapporteurs. « L’évolution des budgets consacrés par l’État et les collectivités à l’éducation illustre cette réalité. Mais au-delà de l’action des acteurs, parfois timides dans leur volonté d’une articulation efficace, un certain nombre de procédures administratives rendent cette construction complexe et peu lisible ».
La formule marque le mécontentement des collectivités, réduites à un « rôle de prestataire » qui ne leur convient pas, alors qu’elles paient un quart de la dépense intérieur d’éducation. Cette part n’a cessé d’augmenter depuis les année s1980. Elle représente environ la moitié de la dépense effectuée par l’Etat. Ainsi les collectivités ont acquis, avec ce poids financier et les textes législatifs, une place incontournable. Les auteurs ne manquent pas de souligner que cela a augmenté les inégalités entre les régions. Ainsi la dépense par collégien peut varier de 214e à La Réunion à 1947€ dans le Morbihan. Un écart similaire existe entre les régions. Mais, si les collectivités sont devenues incontournables pour faire vivre le système scolaire, leur place est contestée dans les instances.
Changer les instances au détriment de la démocratie scolaire
Les auteurs consacrent une assez grand epartie du rapport au fonctionnement (ou plutôt au dysfonctionnement) des instances. A commencer par le conseil supérieur de l’éducation, où les collectivités siègent. Mais ses avis « ne sont quasiment jamais suivies d’effets », notent avec raison les rapporteurs. C’ets la même chose pour les CAEN et les CDEN, organes consultatifs. Pour les auteurs, comme le CSE, ces instances servent de tribune d’expression à « des postures syndicales » et ne sont pas un lieu d’élaboration de politiques.
Et de noter au passage que l’Etat a en douce réduit la place des collectivités locales. D’une part en supprimant le CTEN : il n’existe donc plus d’instance de dialogue entre les associations d’élus locaux et le ministère. D’autre part en « oubliant » de créer auprès des nouvelles régions académiques un conseil équivalent aux CAEN.
Il reste les instances ;locales : conseil d’école ou conseil d’administration des établissements où les élus locaux sont présents. « Les relations entre les membres de la communauté éducative et les élus communaux devraient en conséquence être de nature différente et nettement plus constructives, car centrées sur la co-construction de projets éducatifs propres au territoire concerné », notent les auteurs. « Selon les informations recueillies, il ne semble pas que ce soit réellement le cas. Plusieurs raisons sont régulièrement évoquées. Outre la méfiance persistante d’une partie des équipes éducatives à l’égard des élus locaux, sur fond de contestation de leur légitimité à intervenir dans le champ d’une éducation qui doit rester nationale à leurs yeux, est fréquemment citée l’absence physique des élus aux réunions du conseil et dans certains cas leur difficulté à répondre concrètement aux besoins exprimés, souvent pour des raisons budgétaires. »
Pour toute sces raisons, les rapporteurs souhaitent redessiner les instances de dialogue entre éducation nationale et collectivités locales. « Refondre les instances nationales, académiques et locales, en dissociant clairement celles qui relèvent de la concertation de celles qui relèvent du dialogue social, et confier aux instances territoriales une fonction de co-construction des projets éducatifs locaux ». Au lieu de redonner sa place à une démocratie scolaire, leur proposition revient à enfermer les instances de dialogue social dans l’impuissance pour dégager des instances territoriales plus efficaces. On a là une conception purement technocratique du fonctionnement du service public parfaitement conforme aux théories du nouveau management public.
L’alignement manqué de la loi NOTRe
Les auteurs reconnaissent que l’action éducative des collectivités locales se développe et efface les frontières. « Il est dès lors possible de constater que si l’initiative de la création de politiques scolaires relève prioritairement de l’État, les collectivités territoriales n’y participent que dans le cadre des instructions gouvernementales. En revanche, la responsabilité de la mise en oeuvre des politiques éducatives serait, selon les cas, davantage partagée et fréquemment le résultat d’une co-construction ». Se pose alors la question de l’articulation. « Articuler, c’est organiser entre eux plusieurs éléments conçus séparément afin d’obtenir un résultat. Si l’on transpose cette vision mécaniste, « articuler des politiques » revient à se poser la question de leur cohérence et donc de l’efficacité de cette articulation ». L enumérique semble en être un bon exemple. « Le numérique fournit un exemple pertinent non seulement du flou qui s’accentue dans la répartition des responsabilités, mais également de l’accélération de la co-construction des politiques. Dès avant la crise sanitaire de la Covid, qui a mis en lumière l’importance du numérique dans l’enseignement et dans le lien avec les familles et les élèves, les collectivités territoriales avaient développé des stratégies d’équipement fondées sur une analyse des besoins pédagogiques actuels mais aussi en devenir ».
Les auteurs voient dans la loi NOTre la volonté d’aligner l’organisation de l’éducation nationale sur celle des nouvelles régions , même si, le rapport le montre, au final cela n’a pu être totalement fait. Ils analysent en détail ma situation issue de cette loi et les transferts de personnel qui n’ont pu être faits , par exemple à l’onisep (Dronisep). Ils constatent « l’absence d’une politique d’orientation robuste ».
Des préconisations floues
Dans les préconisations, outre la réforme des instances, le rapport invite à lancer sur certains territoires des « maisons de services éducatifs » offrant des services éducatifs élargis. Ces maisons regrouperaient les besoins des territoires « de la petite enfance aux besoins de formation permanente (accueil petite enfance, classe maternelle et élémentaire, restauration, hébergement, offre scolaire et extrascolaire, maisons d’assistants maternels, accès au droit, formation d’adulte, information, orientation et outils numériques).
Il invite à engager une réflexion « sur les modalités d’une gouvernance nationale relative à l’information et à l’orientation en associant l’ensemble des acteurs : régions de France, MENJ, MESR, ministère chargé du travail et de l’emploi, opérateurs notamment l’ONISEP et l’UNIJ. Il s’agira de venir en appui des instances territoriales déjà installées afin de promouvoir une meilleure articulation entre les politiques territoriales et nationales ».
Les deux dernières préconisations son encore plus floues. « Mettre en place une véritable gouvernance interministérielle des dispositifs ainsi qu’un cadre conventionnel clair avec les collectivités territoriales et les partenaires privés afin de tenir compte de la multiplicité des services ministériels impliqués dans le pilotage des politiques en faveur de la jeunesse et du concours significatif des collectivités territoriales…Pour qu’une articulation efficace entre l’État et les collectivités territoriales puisse s’installer dans la durée, il convient de définir, au niveau national, un nouveau type de concertation et des instances de gouvernance dans lesquelles les acteurs impliqués selon leurs compétences respectives seront représentés ».
Et nous revoilà avec des imbroglios très français. Face à une décentralisation jamais réellement acceptée par un Etat qui récupère d’une main ce qu’il donne de l’autre, dans un pays qui veut que l’éducation reste nationale, les auteurs proposent des améliorations technocratiques au détriment de la concertation démocratique. La déconcentration bureaucratique n’est jamais remise en question dans le rapport comme si elle allait de soi. « L’articulation » entre Etat et collectivités territoriales va rester un vrai sujet.
François Jarraud