Attaqué violemment et systématiquement par la droite depuis sa nomination sur la question de la laïcité, Pap Ndiaye devait une réponse. Il le devait aussi parce que les syndicats de personnels de direction demandent des consignes face aux tenues de certains élèves. Elle prend la forme d’une circulaire envoyée le 9 novembre aux directeurs d’école et aux chefs d’établissement. Elle est appuyée par 5 fiches pratiques sur ce qu’il convient de faire en cas de menaces ou d’atteinte à la laïcité. Si ces fiches sont opérationnelles, elles rappellent que la loi de 2004 impose le dialogue entre le chef d’établissement et l’élève comme une étape nécessaire même en cas de procédure disciplinaire. Pour les adeptes des réponses automatiques et simples, c’est loupé… Pour ceux qui estiment que le cœur de l’École, c’est l’éducation, cette circulaire est intéressante…
Le nécessaire rappel du dialogue
« La montée des phénomènes d’atteintes à la laïcité, en particulier par le biais du port de tenues signifiant une appartenance religieuse. a fait naître des inquiétudes ». La circulaire « relative au plan laïcité dans les écoles et les établissements scolaires » apporte la réponse ministérielle sous une forme pratique, mais qui n’exclut pas la réponse pédagogique.
« Lorsqu’il constate un comportement susceptible de porter atteintes à la laïcité, le chef d’établissement entame une phase de dialogue avec l’élève et ses représentants légaux… Toutefois, lorsque les comportements constituent bien des manquements aux obligations des élèves et qu’ils persistent après cette phase de dialogue, le chef d’établissement doit engager une procédure disciplinaire ». C’est cette position d’équilibre qui fonde la circulaire et les fiches pratiques qui l’accompagnent. Elle donne la priorité au pédagogique, un choix en accord avec l’éthique de la maison éducation.
Pas de solution simpliste sur les tenues
La fiche pratique la plus attendue concerne le port de tenue « manifestant ostensiblement une appartenance religieuse ». Le document précise bien que « cette fiche ne constitue pas une norme supplémentaire ». Il rappelle que « la mise en œuvre de la loi passe par le dialogue avec l’élève », cette phase étant « nécessaire pour sécuriser juridiquement la prise de décision », c’est-à-dire imposée par la loi de 2004. Toute la difficulté réside dans la nécessité de caractériser les intentions de l’élève.
Aux chefs d’établissement qui demandent des réponses simples sur les tenues autorisées ou interdites, comme le demandaient le Snpden Usa et ID Fo, la fiche pratique n’apporte pas la réponse attendue. Le ministère se garde de rentrer dans une casuistique des costumes autorisés ou pas. Ce sont les intentions de l’élève qui sont à évaluer au cas par cas. La loi de 2004 interdit les automatismes. La fiche pratique le constate et donne les indications pour qu’une procédure disciplinaire soit valide. Celle-ci doit avoir un caractère éducatif. Autre point important la fiche : le ministère précise qu’il « convient d’expliciter ces enjeux à la communauté éducative pour que chaque membre agisse et s’exprime de manière professionnelle ». Ce n’est pas simplement que le ministère semble craindre des dérapages. C’est aussi le souci de ne pas isoler les chefs d’établissement qui semble justifier ces lignes.
Que faire face aux menaces ?
Une fiche pratique revient sur la procédure disciplinaire. Elle invite les chefs d’établissement à user de la possibilité de délocaliser la réunion du conseil de discipline. Pas seulement dans un autre établissement, mais aussi auprès du Dasen. Même si les signalements sont peu nombreux (environ 300 pour 12 millions d’élèves en septembre), les dasen risquent d’être débordés. Il est possible que le ministère envisage de renforcer leur service.
Une autre fiche s’intéresse aux menaces. Là aussi la fiche est pratique. Elle donne des indications pour « abaisser le niveau de la menace » et notamment accorder la protection fonctionnelle. Une fiche détaille ce qu’implique cette protection et les cas où elle est due. L’assassinat de S Paty a montré les failles du système éducatif en ce domaine. Il n’est pas certain que la protection fonctionnelle suffise à répondre aux menaces. Notons qu’une fiche s’intéresse à l’application de la loi séparatismes avec un exemple concret d’application au bénéfice d’un principal.
Une dernière fiche montre les mesures à prendre en cas d’atteintes à la laïcité sur les réseaux sociaux. Elle rappelle le cadre juridique et la possibilité pour le chef d’établissement d’agir quand l’infraction est commise hors établissement sur ces réseaux. La fiche montre comment signaler les faits et porter plainte.
Une question politique
Le 9 novembre au matin, un débat devant la commission de l’éducation de l’Assemblée a rappelé que ce sujet est hautement politique. Au député H Davi qui demandait si en survalorisant la signification religieuse des provocations vestimentaires de la jeunesse, on ne renforce pas le prosélytisme religieux, ou au député PS I Echaniz qui estimait que « instrumentaliser la laïcité, c’est la desservir », les députés RN, LR et aussi ceux de la majorité répondaient par la surenchère. Ainsi la députée LR F Meunier dénonçant des fonctionnaires laxistes. R Chudeau (RN) jugeait que « le ministère n’est pas à la hauteur du défi des atteintes ». Alain Seksig, secrétaire général du Conseil des sages de la laïcité, estimait que « la situation est tellement grave qu’elle ressort de la responsabilité collective ». Comme preuve le fait qu’une personne mise en cause dans l’enquête sur l’assassinat de S Paty a défendu le port de l’abaya il y a 10 ans… Entre les uns et les autres, les représentants du minsitère, Christophe Peyrel, haut fonctionnaire de défense, et Jean Hubac, chef de service à la Dgesco, rappelaient la mission éducatrice de l’École et la dimension libératrice de la laïcité. « Il est probable qu’une partie de la hausse des signalements est liée au fait que les chefs d’établissement se sont mis à signaler », rappelait J Hubac. « La réponse est d’abord pédagogique », déclarait C Peyrel.
Et syndicale
« Le ministère ne met pas la poussière sous le tapis », nous a dit Bruno Bobkiewicz, secrétaire général du Snpden Unsa, le premier syndicat de personnels de direction. « Il tente d’accompagner les équipes pour traiter les problèmes. Mais cela ne répond pas à la question de l’abaya ».
Face à la querelle politique, qui vise le ministre, la circulaire aurait pu apporter une réponse simpliste et inefficace. La circulaire Ndiaye se borne à rappeler ce que dit la loi de 2004 et que l’école est l’école. Cela répondra-t-il aux demandes des personnels de direction ?
François Jarraud