Si les enseignants français sont mal payés c’est parce qu’ils ne travaillent pas beaucoup. La preuve, ils ne balaient même pas leur classe. A quelques jours d’une manifestation enseignante pour les salaires, c’est le message diffusé le 23 janvier par France 3. Un message qui flatte le public en reprenant le cliché du professeur paresseux, « toujours en vacances ». Cette fois ci, France 3 oppose l’enseignant français au professeur allemand qui, lui, travaille dur et paye de sa personne. Pourtant le sujet est bien documenté. Et il faut une bonne dose de mauvaise foi ou d’ignorance pour dresser le bilan fait par France 3.
Qu’en est-il du temps de travail enseignant ?
Julia Kochanek, la professeure allemande montrée par France 3, fait 26 cours par semaine dans deux disciplines, de la 5ème à la terminale et assure 27 heures de présence « contre 20 heures en France ». Et en plus, elle n’est pas arrogante : elle passe le balai. Elle gagne 6300 € brut par mois, nous dit France 3 qui se contente de ces affirmations. On pourra toujours répondre que 26 cours ne font que 19.5h de cours, soit ce que fait aussi un professeur du secondaire en France. Ou que le temps de présence des enseignants « en Allemagne » n’est pas défini au niveau national mais à celui des régions (Länder), ce qui ne fait pas de J Kochanek un cas type. Mais on a assez de données européennes ou de l’OCDE pour tenter une comparaison plus solide que les à peu près de France 3.
Commençons par le temps de travail. Un enseignant français du niveau collège enseigne 720 heures par an (sans les heures supplémentaires) contre 610 h en Allemagne. Au niveau lycée c’est 720 et 626. Et en école élémentaire 900 contre 691. En Europe seuls les enseignants écossais et lithuaniens ont plus d’heures d’enseignement que les professeurs français. On trouve ces données dans « Regards sur l’éducation 2021 », une publication de l’OCDE. La moyenne européenne est de 738 h en élémentaire, 660 h au collège et 629 au lycée.
La professeure allemande érigée en modèle par France 3 assume 7 heures de présence dans l’établissement en plus de ses cours, ce qui semble la règle dans son Land. En France on n’a pas de temps de présence obligatoire. On ne sait pas combien de temps les enseignants passent dans les établissements en réunions, réceptions de parents etc. Mais il est certain que les établissements ne sont pas conçus pour que les enseignants y restent. Les professeurs n’ont pas de bureau. Les salles des professeurs ne sont pas bâties pour accueillir tous les enseignants. Il est vrai par contre qu’il n’y a pas de vie scolaire en Allemagne et dans les pays anglo-saxons. Ce sont les enseignants qui font ce travail. Selon l’OCDE, sur les 40 systèmes éducatifs de l’OCDE décrits dans « Regards sur l’éducation, » seulement 21 imposent un temps de travail dans l’établissement.
Et les salaires ?
Et les salaires ? Calculés en dollars en parité de pouvoir d’achat, pour des enseignants ayant 15 ans d’ancienneté, ils sont pour le premier degré de 35 513$ en France , 75 935 en Allemagne, 43 692$ pour la moyenne européenne. Au niveau collège, ils sont respectivement de 42 079$, 88 037$ et50 225$. Au niveau lycée, on trouve 42 079$, 91 041$ et 52 604$. En fait ,tous les pays d’Europe de l’Ouest ont des salaires nettement au dessus des salaires français à l’exception de l’Angleterre, où la réforme libérale a cassé le métier, et au Portugal. Les salaires allemands ne sont pas les plus élevés : le Luxembourg et la Suisse payent encore mieux leurs professeurs.
Or, comme le remarque le rapport du sénateur Longuet, » l’enquête PISA 2012 établit une corrélation positive entre le niveau de salaire des enseignants et la performance globale des élèves. Les pays ayant les scores moyens les plus élevés sont également ceux où ils sont les plus hauts, c’est-à-dire sont supérieurs à 115 % du produit intérieur brut (PIB) par tête. C’est notamment le cas du Japon, de la Nouvelle-Zélande, des Pays-Bas et de la Belgique, pour lesquels les salaires des enseignants représentent en moyenne 135 % du PIB par tête. À l’inverse, la France ne dépense que 105 % du PIB par tête ».
Et si on parlait coût salarial réel ?
Si l’on veut vraiment comparer la valeur du travail enseignant, on peut l’approcher en calculant le cout salarial par élève. En France ce coût pour un professeur du premier degré est de 2092 $ et pour un professeur de collège de 2843$ contre 3196 et 3680$ pour la moyenne OCDE. En Allemagne il est de 5097 et 6514$, en Espagne de 3881 et 5209$. En fait les professeurs français sont au 22ème rang sur 33 systèmes éducatifs . Tous les grands pays développés sont devant eux mais aussi la Slovénie, la Grèce et la Lithuanie par exemple. Cet écart énorme est du à la faiblesse du salaire doublée du nombre important d’élèves par professeur.
Dernier trait particulier : les salaires des enseignants français, plus faibles que dans la plupart des pays, sont aussi ceux qui augmentent le moins. « Entre 2010 et 2020, les salaires statutaires des enseignants ayant 15 ans d’expérience et les qualifications les plus répandues (professeur des écoles ou enseignants certifiés pour la France) ont augmenté entre 6 % et 7 % dans l’élémentaire et les deux cycles du secondaire général, en moyenne dans les pays de l’OCDE. En France, les salaires statutaires des enseignants à ces niveaux ont stagné ou augmenté de 1%. ».
Et si on parlait conditions de travail ?
Regardons y de plus près en ce qui concerne les conditions réelles de travail. On peut les voir par exemple dans le nombre d’élèves par professeur et dans l’indiscipline des élèves.
En ce qui concerne le ratio élèves / professeur, selon l’OCDE, un seul pays a plus d’élèves par professeur qu’en France en Europe c’est le Royaume Uni. Tous les autres pays européens sont nettement en dessous. Au Danemark, en Italie, en Grèce, en Norvège, pour ne citer que ces pays là, le professeur a moitié moins d’élèves en charge. Cela veut dire moins d’efforts en cours mais aussi moins de corrections, moins de parents à rencontrer etc.
Cela a aussi à voir avec le climat dans la classe. Ce que montre aussi l’OCDE c’est que, de tous les pays de l’OCDE, l’Argentine et le Brésil sont les seuls pays où l’indice du climat de discipline en classe est pire qu’en France. Un élève français sur deux déclare qu’il y a du bruit et du désordre dans la plupart des cours, contre un sur trois en moyenne dans l’OCDE.
Le rapport Longuet rappelle aussi les indices de satisfaction des enseignants français par rapport à leurs collègues européens. Si les professeurs français aiment leur métier comme leurs collègues européens (90%), ils ne sont que 8% à penser que « les enseignants peuvent influencer les politiques éducatives », contre 19% en Europe. C’est en France que les enseignants sont les moins nombreux dans toute l’OCDE (7%) à assurer que le « métier enseignant est valorisé dans la société ». Et ils ne sont aussi que 7% à déclarer que « les enseignants sont valorisés par les médias » (contre 17%). France 3 leur donne raison…
François Jarraud