Il y a quelques semaines, j’écrivais ces quelques lignes sur les réseaux sociaux : « Comme j’en ai assez d’entendre parler des « migrants-délinquants », je voudrais vous raconter une petite histoire … Il était une fois une famille syrienne qui vivait paisiblement près de Damas. Un jour des bombes ont commencé à pleuvoir près de chez eux alors ils ont tout laissé pour s’installer quelques centaines de km plus loin. Mais la guerre s’est déplacée elle aussi alors le père qui parlait très bien français (il avait étudié en France) a décidé de faire une demande de visa via l’ambassade du Liban.
Après 2 ans d’une longue attente, ils ont été autorisés à venir s’installer en France. Eyad, le plus jeune des fils de la famille, est rentré en 2de sans connaître notre langue. Il s’est battu, jour après jour, pour apprendre notre alphabet, puis nos mots, puis notre prononciation. Pendant ce temps, son papa menait 2 combats : obtenir la reconnaissance de réfugié et gagner le combat contre le cancer qui le rongeait. Les mois ont passé … Un pas après l’autre … Eyad est passé en classe de 1ere, puis en classe de terminale … il a passé son bac blanc juste avant les vacances de février en obtenant 12 en physique et 15 en maths (bien au-dessus des moyennes de classe).
Il y a quelques semaines, il a obtenu le statut de réfugié grâce aux nombreuses démarches menées par son père qui malheureusement n’a pas pu savourer ce moment étant décédé quelques jours plus tôt. J’accompagne ce jeune depuis plus de 2 ans en lien avec l’association qui suit sa famille et il est là, ce matin, devant moi, pour travailler encore et toujours afin de réussir son bac et de devenir professeur de mathématiques un jour … Je voudrais qu’on parle aussi de ces jeunes qui mènent le combat de l’intégration, qui font preuve d’un courage sans faille, qui avancent un pas après l’autre dans la dignité, sans jamais se plaindre, ne cessant de remercier … »
Hier, Eyad a obtenu son baccalauréat et je me réjouis d’abord pour lui et ensuite pour notre École de la République. Au-delà des taux de réussite à cet examen qui ne veulent plus dire grand-chose au regard des arrangements avérés sur les notes, il y a des parcours exemplaires d’élèves méritants et des équipes de professionnels toujours mobilisés.
Une équipe au service de la réussite de l’élève
L’exemple d’Eyad met parfaitement en lumière ce que le système peut faire quand il s’en donne réellement les moyens.
Cette histoire illustre, dans un premier temps, la volonté d’un proviseur qui a tout de suite tout mis en œuvre pour que ce jeune puisse poursuivre sa scolarité malgré les vicissitudes de la vie. Au départ de ce premier, le proviseur qui a pris la suite a été à la hauteur de sa mission en prenant le relais, mettant l’élève comme élément central d’un projet d’établissement.
Puis, il y a l’énergie et la technicité des équipes pédagogiques qui se sont démenées pour trouver les moyens de transmettre des connaissances et des compétences malgré la barrière de la langue et malgré des contraintes très fortes liées à la lourdeur des programmes.
Et, enfin, l’accompagnement des équipes administratifs et médico-sociales pour dépasser les difficultés matérielles inhérentes à cette grande précarité des réfugiés. Cette équipe aux compétences transversales et complémentaires a été essentielle pour l’efficience d’un défi aussi ambitieux.
Des personnels compétents reconnus
Cet exemple nous pousse à réfléchir, plus largement, à ce qui contribue réellement à ce type de réussite.
L’École de la République, c’est avant tout des personnes et c’est sur elles que repose sa pérennité. Le manque d’attractivité de notre métier et les départs volontaires devraient véritablement nous alarmer. La considération et l’estime de notre Ministre sont nécessaires mais pas suffisantes car, en mon sens, elles restent trop globales et peu tangibles. Oui, la reconnaissance financière est importante et, pour moi, l’évolution de carrière devrait être différente en fonction de l’engagement dans son métier.
Oui, la reconnaissance de la société quant à notre profession est essentielle car on se sent très souvent enfermés dans le cliché du « fonctionnaire toujours en vacances » et ce n’est pas la réalité de notre métier car, être enseignant, c’est être un professionnel de l’éducation et que « c’est un métier qui s’apprend » et dans lequel on progresse au fil des années (normalement).
Oui, la reconnaissance directe de notre hiérarchie disciplinaire et académique qui s’intéresserait vraiment à ce qui se passe dans nos classes mais, plus largement, au sein de l’établissement est primordiale.
Et demain …
Je voulais partager cette histoire car elle peut sembler anecdotique, un brin utopique, mais ce n’est pas le cas.
Dans tous les établissements scolaires, nous avons heureusement notre lot de petites et des grandes réussites. Et ce sont ces histoires de fraternité qui nous permettent de rester motivés malgré les dysfonctionnements notoires qui pourraient nous faire baisser les bras.
Demain, j’espère qu’Eyad, grâce aux connaissances et à la confiance acquises, va pouvoir réussir en faculté de mathématiques et, dans quelques années, je pourrai l’appeler « Collègue ».
Il deviendra certainement un enseignant motivant et motivé, ferme et bienveillant qui se rappellera qu’il y a des mains tendues qu’on n’oublie pas …
Aurélie Badard
Professeure de physique Chimie – Lycée Lurçat Martigues