On connait la dynamique des « marchés de connaissances » : les élèves s’y déplacent de stand en stand pour apprendre de nouveaux savoirs et savoir-faire auprès d’autres élèves. Peut-on adapter à la lecture un tel dispositif de partages et d’échanges ? C’est la voie tracée en 5ème par Alexia Bonnet au collège Jean-Jacques Rousseau à Labastide Saint-Pierre dans le Tarn-et-Garonne. Les élèves sont ici amené.es à partager collectivement leur expérience d’une œuvre tout en travaillant compétences orales et sociales : chacun.e présente un livre à 5 autres élèves, puis assiste à 5 autres présentations d’ouvrages. Plutôt que les quarts d’heure ou concours de lecture, plutôt que la culture de l’injonction ou de la compétition, de l’individualisme ou de la performance, et si on choisissait de favoriser la socialisation des œuvres, de tisser des communautés de lecteurs, de faire de la lecture une culture commune ?
Dans quel cadre ce « marché de la lecture » a-t-il été conçu et préparé ?
Il s’agit d’un travail mené en 5ème lors de la lecture cursive en fin de séquence autour du questionnement « Le voyage et l’aventure : pourquoi aller vers l’inconnu ? » Des boîtes thématiques avec des livres de genres variés (roman, documentaires, mangas) ont été présentées aux élèves avant les vacances lors d’une séance au CDI. Tous les livres ont pour thème le voyage, que ce dernier soit choisi ou subi. À la manière de ce qu’avait fait Mme Lacoste, professeure-documentaliste, lors de cette séance de choix de livre, j’ai demandé aux élèves de faire eux-mêmes la présentation du livre retenu. Trois semaines, dont deux de vacances, ont été laissées aux élèves pour lire.
Comment se déroule concrètement l’activité ?
Le dispositif proposé permet aux élèves de présenter leur livre à cinq reprises à des auditeurs variés munis d’une grille d’évaluation formative. Puis ils assistent à leur tour à l’écoute de cinq présentations différentes où ils deviennent eux-mêmes évaluateurs pour aider leurs camarades à progresser dans les compétences orales et à rendre la présentation plus captivante ou à l’enrichir. Le temps de présentation est donc suivi d’un moment d’interaction entre pairs.
Quel est le mode d’évaluation ?
La grille d’évaluation a été construite avec les élèves en amont de l’activité de présentation afin de mettre en discussion les critères et indicateurs retenus pour définir ce qu’est une présentation de livre en classe de 5e. Cette grille permet d’évaluer les compétences orales ainsi que celles en lecture. Lors de cette présentation les élèves ont d’ailleurs réinvesti les acquis des séquences précédentes comme, par exemple, savoir décrire et interpréter une première de couverture, donner un autre titre au livre et justifier son choix, lire avec expressivité un extrait choisi.
L’injonction est-elle de présenter un livre apprécié ?
Les élèves sont invités à faire partager ce qu’a été leur expérience de lecture, qu’elle ait été agréable ou désagréable, qu’ils soient parvenus à finir le livre ou non et qu’ils choisissent de le conseiller ou de le déconseiller. Il ne faut pas hésiter à inviter les élèves à s’exprimer sur leurs plaisirs ou déplaisirs de lecture, comme le soulignait Anne Vibert, IGESR dans le séminaire national « Faire place au sujet lecteur en classe : quelles voies pour renouveler les approches de la lecture analytique au collège et au lycée ? »
Quel regard l’enseignante de lettres porte-t-elle sur ce dispositif ?
Au-delà de l’organisation et de la mise en œuvre du dispositif, le professeur assiste également aux présentations des élèves et peut ainsi observer l’acquisition de compétences telles que « S’exprimer de façon maîtrisée en s’adressant à un auditoire », « Participer de façon constructive à des échanges oraux », « Exploiter les ressources expressives et créatives de la parole » ou encore « Devenir un lecteur autonome ». Plus qu’un temps d’apprentissage et d’évaluation, il s’agit surtout d’un moment de partage avec les élèves et entre pairs autour de la lecture : quel plaisir pour la professeur de français que je suis !
Propos recueillis par Jean-Michel Le Baut