Edith Tartar Goddet est psychologue clinicienne et psychosociologue. Elle travaille avec des jeunes et des enseignants. La violence scolaire est un problème récurrent de l’institution scolaire et le Café pédagogique lui a déjà consacré plusieurs articles. L’approche d’E. Tartar Goddet nous a semblé suffisamment particulière pour justifier cet entretien que nous espérons utile aux enseignants exposés tous les jours à l’agressivité des élèves, des collègues ou de l’institution.
FJ- Votre ouvrage aborde la question de la violence scolaire sous un angle rare, celui du relationnel. Cela suffit-il ?
Non mais elle complète l’approche pédagogique. La violence scolaire est à aborder sous différents angles pédagogique, organisationnel, institutionnel.
FJ- Une partie des situations violentes que vous évoquez relève en fait de l’institutionnel. C’est le cas par exemple quand vous évoquez les attentes des familles envers l’Ecole, son fonctionnement parfois illisible par les familles, la violence qui est faite à l’enseignant qui doit croiser tous les jours un élève qui l’a insulté et qui n’a pas été suffisamment sanctionné à ses yeux. Face à cela que peut faire le professeur ?
Ce sont des petits faits qui malmènent les relations entre les gens et sont à la base de ce qui peut devenir une violence grave. Elles peuvent trouver un traitement au niveau personnel, ou au niveau de l’équipe, de l’établissement ou de l’institution. Il y a parfois des réactions enchaîne qui se font. Si l’institution ne reconnaît pas ses personnels comme des sujets et les traite comme des objets, comment l’enseignant peut-il de son coté prendre ses élèves comme des sujets ? Il y a interaction réciproque. Face à cela il y a à faire au niveau des personnes et de l’équipe.
FJ- La solution la plus efficace c’est le travail sur soi ? Ne faudrait-il pas plutôt une charte éthique dans les établissements ? Des pratiques différentes, des rituels ?
La violence a toujours existé. Elle a pour fonction de semer la confusion dans les relations. Face à elle on est déstabilisé, on ne s’y retrouve pas. Face à cette confusion, on ne devrait pas cesser de penser, de mettre des mots sur ce qui se passe pour éviter d’y mettre des maux. La violence est en fait une maladie du lien. Il faut tenter de ne pas se faire envahir par l’émotion.
Car nous avons tous une énergie qui peut devenir de la violence : l’agressivité naturelle. Elle peut s’adapter au service de la vie ou devenir violence. Toute situation nouvelle mobilise cette énergie. C’est elle qui nous permet de s’adapter.
L’avantage des rituels c’est que les situations ritualisées ne mobilisent pas cette énergie. Je pense que le système éducatif devrait s’appuyer davantage sur des rituels. On peut le faire par exemple au niveau d’une équipe de façon à ce que les élèves ne soient pas déroutés par le fonctionnement d’un professeur.
FJ- Pensez vous qu’il faudrait, comme cela se pratique aux Etats-Unis, une éducation contre la violence ?
Je crois que oui. Et pas seulement pour les élèves. Car en général le fait de violence est un signe de mal être. Le passage à l’acte permet d’apaiser des tensions intérieures. On gagnerait beaucoup à apprendre aux élèves à travailler à exprimer ce qu’ils ressentent, à ce que cette parole soit entendue et donc à ouvrir des lieux de parole dans les établissements.
FJ- Mais alors pourquoi l’institution ne le fait-elle pas ?
Je la connais trop mal pour vous répondre. Au fond je crois que l’institution, comme l’enseignant, apprend son métier en fonction de son vécu d’élève, en tentant de s’identifier à un maître qui a été important. Du coup, l’enseignant a forcément un décalage avec le vécu des jeunes, il a 15 ou 20 ans de retard. Il construit sa posture d’enseignant en fonction d’un modèle ancien. Quant à l’institution, ceux qui la dirigent n’ont pas vu un élève depuis longtemps. Ils ont du mal à donner des outils, des pistes aux enseignants.
L’institution voit trop les élèves selon ce qu’ils devraient être et pas assez selon ce qu’ils sont. On en est encore à croire que les jeunes ont d’abord des élèves. C’est une illusion. Nous sommes dans une société où la violence est devenue plus interpersonnelle qu’institutionnelle. Elle se rapproche des individus.
FJ- L’enseignant peut-il réellement être attentif à la montée des tensions dans un système où les cours sont émiettés tout au long de la semaine ?
Si déjà dans les classes on pouvait réagir avec moins de rigueur, ne pas démarrer au quart de tour à la moindre agressivité. Il vaut mieux faire avec et ne pas se laisser altérer par elle. Si on répond par davantage d’agressivité à coup sûr l’adolescent fera de la surenchère. Il vaut mieux prendre du recul, tolérer sans accepter. L’essentiel c’est de trouver le modus vivandi qui permettra que la relation amène le jeune là où on souhaite l’amener.
Les enseignants devraient aussi savoir que tous les groupes fonctionnent de la même façon. En groupe, par exemple lors de formations, les enseignants eux aussi peuvent avoir des comportements agressifs… Il faut s’adapter à cette réalité.
FJ- Si je vous entends bien enseigner est « un métier impossible » ?
L’institution soumet l’enseignant à des injonctions paradoxales. Par exemple, elle demande en même temps aux enseignants de préparer les élèves aux examens et de s’adapter aux élèves tels qu’ils sont. Il n’y a pas de réponse personnelle à ce paradoxe. Mais collectivement on peut faire des choix.
FJ- Que peut-on conseiller aux professeurs qui doivent faire face à des mutilations ou des tentatives de suicides ?
Un jeune qui se mutile sous le nez de son professeur lui envoie un message. L’enseignant doit le prendre en compte. Mais pour cela il faudrait qu’il soit formé à le faire. Il ne peut pas rester seul face à cette situation. Il faudrait des personnes relais. Or elles sont très rares. L’enseignant ne peut pas faire le métier des autres. Ce qu’on peut conseiller c’est que le professeur qui voit cette situation prenne le jeune entre quatre yeux et lui dise qu’il a vu. Qu’il mette des mots. Il ne peut pas fermer les yeux et laisser souffrir sans rien dire. Parler au jeune c’est déjà faire quelque chose car les jeunes ne sont pas toujours capables de trouver les mots pour parler de cela. Si l’établissement n’a pas d’infirmière, il faut dénoncer ce dysfonctionnement et ne pas rester seul avec cette souffrance.
Mais cette remarque est plus globalement vraie : il faut tout faire pour ne pas travailler seul. L’enseignement doit devenir un métier solidaire et non solitaire. Là où on trouve une équipe enseignante, on voit la violence baisser rapidement.
FJ- Pensez-vous que cette génération soit plus violente que les précédentes ?
Elle le manifeste de manière plus forte. Je fais l’hypothèse que les transgressions se sont banalisées dans la société française. En 10 ans j’ai vu les comportements se dégrader par rapport aux interdits de la loi. Nos jeunes nous regardent faire et quand ils deviennent adolescents ils produisent des actes différents de ceux des adultes et des violences plus graves. Quand l’insulte devient banale, l’adolescent, pour se démarquer ira plus loin. Il commettra des violences graves. Va-t-on continuer dans cette voie ? Va-t-on réagir ? Je ne sais pas. Ce livre tente une démarche éducative : développer le sens de la responsabilité.
Entretien : François Jarraud
Le dernier livre d’E. Tartar Goddet :
Edith Tartar Goddet, Prévenir et gérer la violence en milieu scolaire, Paris, Retz, 2006, 254 p.
Le commander :
http://www.yodawork.com/websp/SW_consult_ref?F_refid=338002&F_nom=RETZA
Autres liens sur le Café :
Article d’Eric Debarbieux :
http://cafepedagogique.studio-thil.com/lemensuel/larecherche/Pages/2006/analyses_71_accueil.aspx
Dossier du Café sur la violence scolaire :
http://cafepedagogique.studio-thil.com/lesdossiers/Pages/violence_index.aspx