C’est une nomination surprise, un tournant et pourtant une continuité. La nomination de Pap Ndiaye à l’éducation nationale et à la jeunesse est une surprise. Il ne figurait pas dans les noms qui revenaient pour ce ministère et ce n’est pas un politique. Un tournant car il va rompre avec le populisme anti wokisme agité par JM Blanquer. Une continuité car il aura à appliquer la politique décidée par E Macron, c’est à dire continuer ce qui avait été dessiné dès 2017.
Grimace rue de Grenelle
Nouvelle grimace rue de Grenelle. On se souvient de celle de N Vallaud Belkacem en 2017 à l’annonce du nom de JM BLanquer. Aujourd’hui c’est JM Blanquer qui doit faire la grimace. La nomination de Pap Ndiaye est une gifle pour l’ancien ministre de l’éducation nationale.
Le ministre qui est resté le plus longtemps au ministère a des raisons de grimacer. Les 5 années du ministère Blanquer se traduisent par un rejet inédit de la politique ministérielle. Toutes les enquêtes le disent qu’il s’agisse du Baromètre Unsa ou des enquêtes menées par la FSU. Selon le baromètre Unsa, la confiance est morte entre le ministre et ses personnels depuis 2018. En 2021 il compte seulement 8% de soutiens chez les professeurs des écoles et 6% chez les enseignants du 2d degré. Cela touche aussi les cadres. Un inspecteur (IPR ou IEN) ou personnel de direction sur quatre seulement partage les vues de JM Blanquer. Les résultats promis, malgré la communication ministérielle active jusqu’au bout, ne sont pas au rendez vous. JM Blanquer avait promis un vrai bond au début de l’école primaire grâce à plus de 10 000 postes. En fait l’évolution est faible. Pire, les résultats des élèves socialement défavorisés des classes dédoublées ne sont pas meilleurs que ceux des élèves défavorisés des classes non dédoublées. On ne saurait mieux attester de l’impasse pédagogique dans laquelle le ministre s’est mis.
Un intellectuel à l’Education nationale
Pap Ndiaye, le nouveau ministre de l’éducation nationale, est un historien spécialiste de la question noire. Il est même un pionnier des Black Studies en France, ces études sociologiques que JM Blanquer a décriées et poursuivies d’une haine tenace. Il siège par exemple au conseil scientifique du Conseil représentatif des associations noires de France (CRAN). La campagne anti wokisme, la répression qui touche élèves à ce sujet et personnels vont probablement cesser. On va assister à des acrobaties dans les discours des cadres de l’Education nationale. Pour de nombreux cadres, comme le Dasen de Seine Saint Denis mis en cause récemment par Mediapart, ce n’est pas une bonne nouvelle.
En nommant un intellectuel rue de Grenelle, une personnalité qui affiche des valeurs partagées par les enseignants, Emmanuel Macron cherche une certaine réconciliation avec les enseignants. Nul doute que cette nomination sera bien accueillie. Nul doute aussi que les attentes des enseignants soient grandes qu’il s’agisse du dialogue dans l’institution mais aussi des programmes et surtout de la revalorisation.
Après les deux années et 9 mois du ministère Allègre, il avait fallu tout le talent d’un Jack Lang pour apaiser un héritage lourd à porter. Jack Lang avait été nommé pour renouer avec les enseignants. Il avait le soutien politique pour le faire. A la différence de Jack Lang, le nouveau ministre d’E Macron devra, lui, porter la continuité d’une politique lancée par JM Blanquer. Et le président n’a pas marqué dans son discours du 17 mars une considération particulière pour les enseignants.
Une politique fixée par E Macron
Mais le nouveau ministre, même s’il est beaucoup plus ouvert, aura à mener la politique annoncée par E Macron. « Nous sommes à un moment de bascule où nous pouvons changer les choses », a dit E Macron le 17 mars. Sur le fond, c’est la même politique que JM Blanquer (anti wokisme en moins) que Pap Ndiaye aura à appliquer, avec une équipe probablement fléchée par l’Elysée.
E Macron a fixé comme objectif à son second quinquennat d’aller au bout des réformes menées depuis 2017. Redonnons en les grandes lignes.
Commençons par les enseignants. « On va augmenter leur rémunération mais avec de nouvelles missions » , a dit le président. Ces nouvelles missions sont énumérées. « On propose un pacte aux enseignants : on vous demande de nouvelles missions qu’on est prêts à mieux payer comme le remplacement des profs absents, ça doit être une obligation, le suivi individualisé des élèves, l’accompagnement sur le temps périscolaire. Pour les enseignants en place je propose un nouveau contrat. On augmente leur rémunération s’ils sont prêts à changer leur organisation. Toutes les nouvelles embauches sont sur la base de ces nouveaux contrats », explique E Macron. « On va payer mieux ceux qui sont prêts à faire plus d’efforts.. J’assume plusieurs systèmes de rémunération car ils (les enseignants) ne font pas tous la même chose. Vous avez des enseignants qui pendant le covid se sont occupés de leurs élèves et des enseignants qui ont disparu ». C’est la paye au mérite que Pap Ndiaye aura à mettre en place. Il aura un budget pour cela : 6 milliards supplémentaires pour l’éducation.
E Macron veut donner de nouveaux pouvoirs aux directeurs d’école et aux chefs d’établissement , dans la logique de la loi de transformation de la fonction publique. « Je veux que les directeurs aient la possibilité de récuser des profils et participent à la décision », a dit E Macron le 17 mars. « Il ajoute : « Cela permettra de luter contre l’absentéisme. Si un directeur veut porter un projet pédagogique, il est légitime qu’il ait une équipe qui adhère à ce projet. Donc je veux lui donner plus de liberté ». Il souhaite aussi une profonde réforme de l’enseignement professionnel en doublant les périodes de stage, c’est à dire en diminuant d’autant les enseignements.
Voilà la route tracée à Pap Ndiaye. Les enseignants seront soulagés de voir partir JM Blanquer. Ils seront flattés de voir un grand intellectuel et un homme qui défend des valeurs démocratiques nommé rue de Grenelle. Ils doivent aussi se préparer aux réformes à venir.
François Jarraud
Paye au mérite : histoire d’une obsession