Quand un ministre s’en va il vante son bilan. Quand il arrive il salue les enseignants. Tout cela, JM Blanquer et Pap Ndiaye l’ont fait le 20 mai lors de la cérémonie de passation de pouvoirs. Mais les deux hommes se sont aussi affrontés à fleuret très moucheté sur le thème de la continuité. De leur coté, les syndicats posent dès maintenant leurs exigences en attendant d’entamer un dialogue que le nouveau ministre a promis.
JM Blanquer ne lâche rien
« Oui il y a eu un progrès. Oui les enfants ont progressé en français et en maths ». Ce dernier jour de son long ministère, JM Blanquer continue à répéter des éléments de langage qui ne l’ont pas aidé à garder son poste. Mais l’essentiel de son discours va porter sur ce qui semble le séparer de son successeur. « L’école républicaine c’est la liberté, l’égalité, la fraternité et la laïcité. Et nous avons voulu faire valoir cela avec des initiatives que je sais que vous partagez, avec le conseil des sages de la laïcité, les équipes laïcité… Certains veulent souligner que chaque appartenance serait plus importante que la république. C’est l’inverse », dit JM Blanquer à son successeur, pionnier des Black Studies en France. « Je sais, et nous en avons parlé, il y aura des continuités et même des mesures d’approfondissement sur ces sujets », affirme t-il. JM Blanquer en appelle à S Paty. « Il y a eu un événement dramatique pour cette maison : l’assassinat de S Paty. Il nous oblige à une vigilance sur nos valeurs et cette vigilance vous en êtes maintenant le garant ».
Pap Ndiaye promet le dialogue
Pap Ndiaye anticipe. « J’ai une pensée pour un collègue historien, Samuel Paty, dont l’exemple et la mémoire sont gravés dans nos esprits », dit P Ndiaye en commençant son discours. « Mes premières pensées vont vers le monde des enseignants qui est le mien depuis toujours. Je suis un pur produit de la méritocratie républicaine dont l’école est le pilier ». Mais Pap Ndiaye ajoute : « Je suis aussi le symbole de la diversité. Je n’en tire nulle fierté mais plutôt le sens des responsabilités ».
Arrive le moment d’annoncer sa politique. P Ndiaye évoque « la consolidation des savoirs fondamentaux, l’égalité des chances , l’adaptation aussi nécessaire de l’école aux bouleversements des économies et des sociétés ». Il termine son discours en promettant que « le dialogue avec toute la communauté éducative sera un principe important ».
Les syndicats manifestent leurs exigences
Justement la communauté éducative n’a pas tardé à faire connaitre ses exigences. « Sa nomination est un symbole de rupture avec Jean-Michel Blanquer à plus d’un titre », affirme le Snes Fsu. « Mais l’Education nationale ne se gouverne pas uniquement à coup de symboles. Pendant sa campagne, Emmanuel Macron a évoqué de nombreux projets de réformes : pacte pour les enseignants, redéfinition du statut, orientation, avec des propos souvent méprisants ou déconnectés de la réalité. Ces projets ne répondent en rien à l’urgence du moment qui est salariale : après des années de déclassement salarial, les personnels doivent être revalorisés sans contreparties. Si le nouveau ministre de l’Education nationale persiste à vouloir engager des réformes qui ne répondent qu’à des lubies idéologiques sans prendre la mesure de la crise profonde que traverse l’Education nationale, il portera alors, comme son prédécesseur, une lourde responsabilité dans la crise du service public d’Education ». Le Snes demande une réelle revalorisation (« plus aucun professeur, CPE, Psy-EN ne doit être recruté en dessous de 2 000 euros nets »).
Pour le Snuipp Fsu, » une rupture nette avec les politiques éducatives menées est non seulement nécessaire, mais aussi urgente. Pourtant, le programme du président de la République prévoit de poursuivre le resserrement sur « les fondamentaux » qui réduit l’ambition scolaire, d’amplifier la mise au pas des enseignant·es comme dernièrement avec la mutation d’office de six enseignant·es de l’école Pasteur en Seine Saint Denis, de généraliser “l’expérimentation marseillaise” créant ainsi des inégalités territoriales pour les écoles, d’instaurer un salaire prétendument au “mérite” et de mettre en concurrence les personnels comme les écoles… Ces mesures augmenteraient le caractère inégalitaire du système scolaire et conduiraient à une dégradation encore plus forte des conditions d’exercice du métier ». « Il faudra prendre des décisions rapides en matière de revalorisation salariale : dégeler le point d’indice et rattraper des années de déclassement salarial », dit encore le Snuipp. « Sur le plan des conditions de travail, des moyens doivent être débloqués pour alléger les effectifs partout afin de faire réussir tous les élèves ».
Pour le Sgen Cfdt « sortir du sous-investissement dans la reconnaissance des personnels implique pour le Sgen- CFDT une loi de programmation pluriannuelle pour revaloriser les rémunérations des agents. Mais cette reconnaissance doit passer aussi par un changement de paradigme en terme de gestion humaine. Il est nécessaire de mieux considérer les agents, reconnaître leur expertise professionnelle, leur reconnaître une autonomie au travail pour construire au plus près des réalités locales les solutions pour mieux faire réussir tous les élèves ».
Pour le Se Unsa, » La priorité, c’est la nécessité de travailler à la réconciliation des personnels avec leur institution. Pour le SE-Unsa, il faut une rupture nette avec la méthode politique de la rue de Grenelle de ces cinq dernières années. Les personnels ne veulent plus subir, ni vivre au rythme d’incessantes annonces médiatiques qui nient la réalité, simplifient la complexité de leurs missions et placent les professionnels qu’ils sont dans un insupportable porte-à-faux ». Le Se Unsa pointe encore deux priorités : » Le premier défi, c’est la crise de l’attractivité. Après des difficultés plus importantes que d’habitude en septembre 2021, la rituelle rentrée « techniquement » réussie » est sérieusement menacée pour septembre 2022… Le second défi, c’est la réussite de l’école inclusive. Il n’est plus possible de laisser les professionnels seuls, entre culpabilité et épuisement, et des élèves et des classes en panne, voire en souffrance ».
Pour Sud, « la nomination de Pap Ndiaye est un désaveu des aspects les plus réactionnaires et nauséabonds de la politique menée par Jean-Michel Blanquer. Néanmoins le programme de Macron en matière d’éducation continue de laisser craindre le pire avec la casse du lycée professionnel, l’accroissement de l’autonomie des établissements et la remise en cause des obligations réglementaires de service… Le nouveau ministre doit prendre ses responsabilités et envoyer un signal d’apaisement aux personnels en mettant fin sans délai à la répression qui s’abat sur les enseignant·es de l’école Pasteur de Saint-Denis ainsi que sur les 2 CPE du collège Victor Hugo de Nantes. Enfin, l’abrogation des contre-réformes Blanquer (réformes des lycées et du bac, Parcours sup’ et loi Rilhac) doit être une priorité du nouveau ministre ».
Dans l’enseignement professionnel, une priorité pour E Macron, le Snuep Fsu va a contre courant de la politique présidentielle. « Les lycées professionnels, fortement fragilisés par la Transformation imposée par J.-M. Blanquer, doivent bénéficier d’une politique éducative renforcée et volontariste permettant à tout∙es les élèves d’accéder à un diplôme dans des conditions d’études satisfaisantes. Pour cela, il est indispensable de rompre immédiatement avec la volonté d’imposer l’apprentissage dans les classes, d’abroger la Transformation de la voie professionnelle et donc de supprimer les familles de métiers et les gadgets pédagogiques (chefs-d’œuvre, co-intervention et accompagnement imposés). Il faut en finir avec le dogme libéral des compétences et renforcer les diplômes en les certifiant par des épreuves ponctuelles terminales ».
François Jarraud