» Les objectifs du plan, très ambitieux, ne sont pas encore atteints. La proportion de professeurs des écoles formés est, dans la plupart des académies, en deçà des attentes initiales ; l’impact sur les pratiques d’enseignement, sur le travail collectif des enseignants, et, en fin de compte, sur les apprentissages des élèves, est encore modeste ». Le rapport des inspecteurs généraux Ghislaine Desbuissons et Oilivier Sidokpohou montre comment le plan maths s’enlise dans les réalités de l’éducation nationale. Alors que JM Blanquer quitte l’éducation nationale, les objectifs sont loin d’être atteints. Et l’avenir du plan maths loin d’être assuré.
Le plan politique et la réalité de l’institution
19 octobre 2017 : sur RTL JM Blanquer annonce » une méthode de Singapour à la française… « Je demande à C Villani et C Torossian ce qu’il fat faire pour donner envie aux enfants de faire des maths ». Après les résultats très mauvais des jeunes français en maths, l’impulsion politique est donnée. Le rapport est remis en février 2018. Il aboutira à la conception du « plan maths », dans la suite du « plan français », déployé dans toutes les académies en 2019. Le rapport de Ghislaine Desbuissons et Oilivier Sidokpohou fait un bilan de ce plan exceptionnel qui devait changer les pratiques de tous les professeurs des écoles en 5 ans.
Le plan maths c’est d’abord un réseau de formateurs avec l’organisation de formations des professeurs des écoles (PE) en « constellation », à l’image de ce qui se pratique pour le français. Chaque constellation est suivie par un référent lui-même formé dans une formation nationale. Dès le début le rapport Torossian Villani a fixé précisément le contenu des formations, ce qui deviendra finalement un des problèmes rencontrés.
Le rapport montre comment la montée en puissance du plan se heurte à la réalité de l’éducation nationale. Chaque année des ajustements sont mis en place pour tenir compte des contraintes. Ainsi en 2020, il est demandé de confier l’accompagnement des constellations aux conseillers pédagogiques de circonscription (CPC) en plus des référents. L’offre de formation est revue et l’effort de formation est étendu. Alors que le plan initial prévoyait de former tous les PE sur 5 ans, jusqu’à 2024, à raison de 20% par an, l’échéance est repoussée à 2027.
Des moyens humains insuffisants
Outre les traditionnels problèmes de pilotage, le rapport montre les problèmes de recrutement des référents (RMC). Non seulement le vivier de formateurs est trop faible mais les financements ne sont pas à la hauteur : » les enseignants qualifiés pour la fonction de RMC doivent souvent renoncer à d’autres fonctions au régime indemnitaire plus favorable ».
Petit à petit les CPC remplacent les référents dans l’accompagnement des constellations; alors même que certains ont un niveau faible en maths. Comme l’écrit le rapport, » Dans les académies, le constat est fait d’un écart – parfois qualifié de « fossé » – de compétences mathématiques au sein du réseau des RMC, d’autant plus préoccupant que les journées de formation académiques qui étaient prévues pour les nouveaux en 2020-2021 n’ont généralement pas pu se tenir en raison de la crise sanitaire… Rarement dotés d’une lettre de mission cadrant les priorités de leur travail, les CPC se plaignent de manière récurrente de l’accumulation de leurs missions, la décharge, lorsqu’elle existe, ne compensant pas le temps réellement passé à l’accompagnement des enseignants, auquel s’ajoute celui consacré à leur autoformation. Cela contribue à alimenter un renouvellement des CPC qui, du fait d’un manque de « reconnaissance » et d’attractivité indemnitaire de leur mission au regard de la charge de travail, repartent sur des postes de directeurs d’école ou de PEMF ».
Le plan maths se heurte à la difficulté des moyens de remplacement. Pour chaque référent c’est 80 jours de remplacement par an. En 2021, avec la montée à 16% de professeurs formés, » Dans toutes les académies, le souci du remplacement des enseignants a été mentionné ; dans certains départements sont décrites des situations de « très forte tension sur le remplacement », aggravée encore par la crise sanitaire, avec une brigade départementale « exsangue ». » La solution envisagée par le rapport c’est la formation sur le temps des congés scolaires, une mesure prévue par un décret de 2019. Mais les responsables des formations hésitent » au regard des problèmes de motivation des PE en constellation » !
Au final les moyens humains s’avèrent très insuffisants. Alors que le rapport Villani Torossian demandait 1500 ETP, on a en 2020 seulement 586 ETP engagés pour accompagner 5260 constellations. En moyenne seulement 12% des PE suivent le plan maths contre 20% prévus au départ.
Des constellations menacées par le plan lui-même
Le principe de la constellation lui-même pose problème. Elles ont été accueillies avec méfiance. En principe la constellation travaille des questions souhaitées par les enseignants, rappelle le rapport. Mais enfait le rapport Villani avait déjà ciblé des thèmes précis. » Dans la pratique, le choix des thématiques de formation des enseignants a pu prendre des voies variées, conjuguant à des degrés divers l’expression des souhaits des enseignants, l’analyse de leurs besoins, selon la connaissance qu’ils ont des équipes et les rendez-vous de carrière, et les priorités institutionnelles sur « nombre et calcul » et la « résolution de problèmes », fortement représentées dans les thématiques de travail des constellations ». Comme le souligne le rapport, » Le schéma de formation du Plan mathématiques est à la croisée entre une logique d’offre de formation institutionnelle et une logique d’adaptation de la formation aux besoins des enseignants. Un décalage est souvent noté sur le terrain entre les choix des thématiques de formation, qui sont fondés du point de vue institutionnel, et les demandes des PE. » En fait dans les deux tiers des constellations le choix des sujets n’a pas été libre.
Objectifs de formation non atteints
Finalement les objectifs du plan ne sont pas atteints. » L’objectif des 16 % de professeurs des écoles formés est loin d’être atteint dans la moitié environ des départements », note le rapport. Son impact est en dessous des attentes. Si l’on en croit les référents, les deux tiers des PE formés ont changé leurs pratiques. Si l’on en croit les PE seulement 30% déclarent un changement de pratiques. » Les professeurs des écoles observés par la mission sont en grande majorité dans une phase intermédiaire de l’évolution de leurs pratiques : une prise de conscience amenée par la formation, une mise en oeuvre de nouvelles pratiques, et les premières analyses. Mais la troisième phase, où les nouvelles pratiques sont pleinement intégrées dans le travail quotidien des enseignants n’est pas encore présente ». Les modifications sont parfois « superficielles » estime le rapport. La même observation vaut pour le développement du travail en équipe.
Finalement le rapport préconise un controle encore plus étroit des enseignants. Cela commence par le teaching for the test. En vue de TIMSS 2023 (TIMMS est une évaluation internationale en maths), le rapport préconise de mettre le paquet sur l’entrée en cycle 3 aux dépens des autres années. Il demande aussi à créer une évaluation en début de cycle 3 pour appuyer les effets des formations. Le rapport souhaite doter les IEN d’un guide permettant de mieux suivre l’évolution des pratiques des enseignants. Pour les auteurs, le plan a besoin de « consolidation » notamment en le dotant des moyens de remplacement nécessaires.
FRançois Jarraud