Professeur d’histoire-géographie en collège, Denis Sestier fait partie des enseignants qui sont montés sur la vague informatique il y a déjà longtemps et qui n’en sont pas descendus. Une position qui lui permet de démythifier les apports des tice.
On dit souvent que les TICE stimulent la motivation des élèves. Est-ce le cas en histoire – géographie ?
Ce n’est pas si simple : il n’existe pas d’outil qui stimule, en soi, la motivation des élèves. Il faut se méfier des discours enthousiastes sur les vertus réelles ou supposées des TICE sur la motivation et la réussite des élèves. Certaines pratiques de classe, y compris utilisant les TICE, peuvent être peu motivantes tandis que d’autres «0% TICE» peuvent entraîner une grande adhésion. Il me semble important de rappeler ce principe de bon sens. Il semble cependant qu’un des facteurs de la motivation soit la rupture dans le déroulement habituel des cours. Or les TICE, par leur souplesse et la variété des activités qu’elles permettent, sont justement un moyen d’introduire assez facilement, des moment de rupture.
D’autre part l’outil lui même est pour beaucoup d’élèves (pas tous) plus spontanément attirant que le livre, le stylo et le papier. Néanmoins, là aussi, j’ai envie d’introduire un bémol au discours commun qui vante les capacités des « Digital natives » qui en sauraient beaucoup plus que leurs enseignants sur le maniement des outils informatiques et seraient directement à l’aise face à l’ordinateur. Ce sont des considérations qui demandent dans la plupart des cas à être très largement nuancées, en tous cas au niveau collège. Beaucoup d’élèves ne maîtrisent pas les procédures techniques de base. Quant au respect du droit d’auteur, à la protection de la vie privée ou à la simple recherche d’information … il y a là un champ éducatif énorme. C’est d’ailleurs plutôt réjouissant : il nous reste des choses à leur apprendre !
Mais ce qui est le plus important en matière de motivation est l’activité proposée. La meilleure des volontés chez nos élèves, peut être balayée en peu de temps si l’activité s’avère routinière, mal calibrée ou mal préparée. En bref, il ne suffit pas d’aller en salle info pour que les élèves soient ultra motivés.
Plus encore que dans une activité traditionnelle, la préparation et le balisage des activités des élèves sont absolument capitaux : les élèves sont très vite perdus et déroutés face aux difficulté ou face à des consignes floues. Utiliser les TICE suppose donc un très important travail de préparation en amont et une grande capacité de réactivité de l’enseignant durant la séance.
Ainsi, parmi celles que j’ai expérimentées, les activités TICE qui motivent le plus les élèves sont celles qui les met en situation de création, de communication ou de collaboration. D’une manière générale, on peut dire que les élèves s’investissent davantage dans la tâche lorsqu’ils créent un document multimédia que lorsqu’ils doivent utiliser celui du professeur ; ils s’investissent également davantage s’ils créent un document (par exemple un livre didapage) dont l’objectif est la publication (sur un blog ou l’intranet de l’établissement) que lorsque le travail fourni n’est destiné qu’au professeur. Enfin, ils sont souvent plus motivés s’ils participent à un travail collaboratif dont ils voient clairement quel maillon ils constituent que lorsqu’ils travaillent isolément.
Cela pose cependant quelques questions et requiert un certain nombre de conditions :
– un matériel qui fonctionne et qui soit facilement accessible et une réflexion sur le découpage horaire : une heure, c’est beaucoup trop court pour mener un travail approfondi en salle informatique avec les élèves.
– des maîtres formés à la pédagogie et pas seulement à la technique informatique
– des groupes d’élèves pas trop nombreux. A titre d’exemple j’ai été amusé il y a peu de jours lors de la présentation d’outils informatique, fort intéressants au demeurant. La personne qui nous les présentait nous a précisé que lorsqu’elle avait à former des adultes les groupes n’excédaient jamais 10 adultes et qu’au delà ce n’était pas raisonnable. L’enseignant – qui n’est pas superman – doit pourtant jongler avec ses 25 ou 30 élèves (voire plus en lycée). Occulter cette réalité-là, c’est condamner toute diffusion des TICE, en tous cas des pratiques les plus innovantes.
Influent-elles sur la relation enseignant – enseignés ?
Là encore toute réponse générale est impossible. Cela dépend très largement de l’utilisation qui en est faite. Il n’est pas certain qu’une utilisation intensive et exclusive de PréAO ou de QCM informatiques change quoi que ce soit à la relation enseignant/enseigné.
En revanche, les activités mettant les élèves en action et surtout celles ouvrant des espaces de communication modifient en effet réellement la relation enseignant/enseigné.
Ainsi l’utilisation du cahier de texte électronique me semble être de nature à modifier cette relation, avec les élèves mais aussi avec les parents, ce qui est loin d’être inintéressant. Nous disposons d’un outil de communication direct et facile à utiliser qui permet un véritable suivi du travail des élèves. Pour la première fois de ma carrière, j’ai l’impression que remplir le cahier de texte est utile aux élèves et à leurs parents (pas tous, là encore il faut rester réaliste : ni panacée, ni recette miracle ; l’élève qui ne veut pas travailler sera précisément en panne d’internet ou privé d’ordinateur ce jour-là !)
J’ai également créé, avec l’un de mes collègues, un blog (l’Atelier d’histoire-géo) destiné exclusivement à la publication de travaux d’élèves, des plus modestes aux plus élaborés. Quel en est l’objectif ? Tout simplement donner envie aux élèves de mettre à disposition de leurs pairs, leurs travaux, recherche ou défis documentaires. L’un des principaux intérêts de ce blog est qu’il a ouvert un espace à des élèves qui jusque là n’en avaient pas : ainsi tel élève fâché avec l’écrit mais habile en dessin ou en fabrication peut-il publier un dessin ou une maquette en relation avec les leçons étudiées en classe. Non seulement c’est un outil de motivation intéressant mais cela change également la relation enseignant enseigné. D’abord, cela multiplie les moments de dialogue, me permet de découvrir des facettes des élèves que les cours classiques ne me permettent pas d’entrevoir et créer un courant d’échange puisque le contrat prévoit que les élèves m’envoient leur production par mail. Certains élèves, en difficulté en classe, se sont saisis de cet outil qui leur permet de se valoriser et donc de prendre confiance.
Quelles pratiques semblent les plus intéressantes sous cet angle ?
Il faut bien distinguer trois types de pratiques TICE : les pratiques de salle de classe, les pratiques de salle informatique et les pratiques qui prolongent le temps de classe, du type de celles que j’évoquais plus haut.
Concernant la modification de la relation enseignant/enseigné ce sont sans conteste, les activités qui mettent en oeuvre les outils de communication des TICE, qui sont les plus porteuses de changement. Mais elles ne sont pas forcément les plus faciles à gérer notamment en terme de temps de travail à la maison, ce fameux temps de travail invisible des enseignants si peu pris en compte. Pourtant, l’utilisation des TICE demande un gros travail personnel. Sera-t-il enfin pris en compte, ou même simplement reconnu ?
Pour les autres, tout dépend une fois de plus des activités proposées. Si le projet de séance est de favoriser la créativité et l’autonomie, alors le rôle de l’enseignant sera plus celui d’un accompagnateur et d’un facilitateur, d’une personne ressource. Mais si le but est de permettre aux élèves de réviser les repères au programme en vue du DNB, alors on comprend aisément qu’il n’y aura pas grand changement dans les relations entre le professeur et l’élève.
De tous les objets passerelles pour introduire les tice, le TBI semble particulièrement efficace. Quels sont ses avantages par rapport au tableau classique ? Comment en faire un usage qui aille plus loin que le cours frontal ?
Je ne l’utilise pas, faute d’en posséder dans ma classe. Il m’est donc difficile d’en parler. C’est d’ailleurs l’occasion pour moi de lancer un appel à sponsor ! C’est en tous cas la démonstration que les TICE ne peuvent se développer que si les pouvoirs publics équipent les établissements.
Mon équipement est constitué d’un vidéoprojecteur fixé au plafond et d’un ordinateur relié à internet. Pour le transport des données, j’utilise au quotidien un disque dur portable personnel qui me permet d’avoir en permanence sous la main la totalité de mes documents professionnels. L’ensemble est utilisé pratiquement tous les cours. Ce n’est évidemment pas aussi riche et souple que le TBI mais cela permet déjà beaucoup. Par rapport au tableau classique, l’un des grands avantages est la capacité de garder en mémoire les traces écrites réalisées en classe avec les élèves. Ainsi, pour chaque classe, je dispose d’un fichier numérique, copie conforme du cahier de l’élève.
Autre intérêt, la possibilité de transférer en direct des travaux réalisés en classe sur le cahier de texte numérique de manière à ce que les élèves les retrouvent chez eux, par exemple pour mettre au propre un croquis réalisé rapidement en classe.
Intéressante également est la possibilité de mettre en oeuvre facilement – grâce aux outils de publication qui sont de plus en plus nombreux sur le marché – des séances de classe véritablement multimédia (je parle là des séances en classe entière et non en salle info). Dans ce cas, l’utilisation des TICE permet de mettre très rapidement et très facilement à disposition du groupe classe des ressources très variées. C’est sans conteste une richesse et une souplesse considérable qui nous sont offertes par les TICE.
La société dans son ensemble utilise les tice et notamment les chercheurs. Peut-on dire des tice qu’en histoire-géo elles peuvent rendre plus pointus les contenus disciplinaires ?
A mon avis, ce n’est pas tellement une question qui se pose au collège. Ce qui est sûr, c’est que les TICE permettent d’actualiser très rapidement et facilement les connaissances. Elles offrent aussi la possibilité d’enrichir les représentations des élèves : ainsi, par exemple, lorsque l’on travaille sur les villes, si l’on peut, en quelques clics, proposer aux élèves 5 ou 6 images différentes plus une vidéo, au lieu d’une ou deux images dans le manuel, alors ils auront sans conteste une représentation plus riche et donc plus juste de cette réalité-là. De la même manière l’utilisation des globes virtuelles permet de varier les angles de vue très facilement et de mieux faire appréhender aux élèves l’organisation générale du globe. Dernier exemple, la visite virtuelle en 3D d’une cathédrale peut aider à en comprendre l’organisation générale et donc à en avoir une vision plus claire. Je ne peux donc pas dire si les TICE peuvent ouvrir les élèves à des contenus plus complexes, mais elles peuvent probablement, dans certains cas, permettre aux élèves de développer des connaissances plus précises ou mieux maîtrisées, ce qui est un apport non négligeable.
Peut-on dire qu’elles permettent des raisonnements plus difficiles à faire passer traditionnellement ?
C’est une question encore plus difficile que la précédente. Le raisonnement de nos élèves n’est facile ni à caractériser ni à identifier. Il me semble cependant que l’on peut postuler que l’usage des TICE peut dans certains cas permettre de faire passer plus facilement certains types de raisonnements complexes. Je n’en prendrais qu’un seul exemple qui est celui des simulations. Il est parfois difficile de faire comprendre à tous les élèves de manière abstraite le fonctionnement de systèmes complexes. Problèmes de vocabulaire, de représentations, de maîtrise des concepts … Il est parfois (souvent ?) plus facile d’en passer par une démonstration concrète. Ce n’est pas toujours aisé en histoire-géographie…
C’est là – entre autre – que l’usage des TICE peut être un véritable atout. Un élève comprendra sans doute nettement mieux certains aspects par exemple du développement durable en utilisant un jeu sérieux qui le met dans la peau d’un décideur et qui l’oblige à gérer plusieurs paramètres à la fois, plutôt que dans une étude plus classique dans laquelle les phénomènes sont étudiés les uns après les autres. Mieux, avec une simulation informatique (qu’elle soit ludique ou non d’ailleurs), l’élève reçoit en permanence le résultat de ses actions, ce qui l’oblige bien sûr à réfléchir en direct et à comprendre les relations entre son action et le résultat qu’elle a généré. Il s’agit bien là de raisonnement et de raisonnement complexe. Ceci dit, je ne connais pas d’étude qui ait été menée sur ces sujets et dans des situations réelles de classe. Voilà sans aucun doute un vaste champ de recherche pour les années qui viennent.
Denis Sestier
Le réseau Ludus
http://histgeo.discip.ac-caen.fr/ludus/
Dans le dossier spécial sur le jeu sérieux du Café
http://cafepedagogique.net/lemensuel/lenseignant/schumaines/e[…]