Comment ne pas être profondément triste ce soir ? Le second tour des élections présidentielles voit s’affronter Emmanuel Macron et Marine Le Pen. Le premier, avec son ministre de l’éducation, a profondément abîmé l’école depuis 2017 ; il a dit, ces derniers jours, son mépris pour le corps enseignant et sa volonté de dynamiter le service public en mettant systématiquement en concurrence les personnes et les établissements. La seconde incarne le contraire même du projet de l’Ecole de la République : l’exclusion contre l’éducation, le repli sur soi contre l’ouverture à l’altérité, la fascination pour l’autoritarisme contre la formation à la démocratie, la xénophobie contre la fraternité… Comment en sommes-nous arrivés là ? Comment ne pas être en colère de voir que les défenseurs du service public de l’éducation n’ont pas réussi à s’entendre pour construire ensemble une véritable alternative ? Comment avoir laissé le débat public ignorer aussi largement les véritables enjeux éducatifs et s’enliser dans les propos les plus démagogiques pour opposer les enseignants et les parents ?
Nous n’avons pas su nous faire entendre
Pour des éducateurs qui travaillent au quotidien pour plus d’émancipation et de solidarité, ce second tour des élections présidentielles constitue une épreuve et, à bien des égards, le signe d’un échec.
Nous n’avons pas su nous faire entendre. Nous n’avons pas su dire à nos concitoyens à quel point la politique de Jean-Michel Blanquer a été une catastrophe pour l’avenir de leurs enfants et de notre pays : en réduisant les apprentissages aux automatismes, en laissant s’accroître de terribles inégalités dans le système scolaire, en caporalisant les personnels…
Mais peut-être nous n’avons pas su, non plus, porter assez haut les valeurs de Ferdinand Buisson et de Jean Zay, de l’Education populaire et du Conseil national de la Résistance ? Nous avons laissé s’instiller la peste de l’identitarisme, des logiques de bouc émissaire et de la surenchère de la haine…
Certes, les enseignants ne sont pas les seuls responsables de la droitisation à laquelle nous assistons. Les médias, emportés, pour beaucoup, par la surenchère populiste, les financiers qui spéculent sur la démagogie, les errances passées d’une gauche paralysée par ses baronnies… tout cela a contribué à façonner ce que nous vivons…
Se remettre à l’ouvrage
Mais, les enseignants ont joué un rôle historique dans l’histoire de la République. Et, pour l’immense majorité d’entre eux, ils se sentent exclus du second tour des élections présidentielles. Certes, ils ne désespèrent pas : ils savent que, dans le registre de l’humain, rien n’est jamais définitivement joué ; ils expérimentent au quotidien que, pour chacune et chacun, tout reste toujours possible. Ils vont reconstituer leurs forces et se remettre à l’ouvrage.
Et puis, aujourd’hui, les enseignants ont un profond sentiment de leur responsabilité : leur déception n’enlèvera rien à leur détermination. Il n’y a pas de symétrie, pour eux, entre un adversaire politique qu’ils ont combattu loyalement et le danger d’une extrême droite dont le projet est clairement contraire aux valeurs de liberté, d’égalité et de fraternité qui sont inscrites au fronton de leurs écoles.
C’est pourquoi c’est sans le moindre état d’âme que je voterai, pour ma part, Emmanuel Macron. Sans lui donner le moindre blanc-seing. En conscience que les combats, sous son prochain quinquennat, seront difficiles. Qu’il nous faudra construire des alliances fortes avec les parents, les mouvements d’Education populaire, les collectivités territoriales. Que la priorité à l’éducation devra être gagnée pied à pied contre toutes les logiques de sélection, que nous devrons faire cesser des querelles inutiles pour construire, avec tous ceux et toutes celles qui y aspirent, un projet alternatif d’émancipation et de solidarité. Pour tous les éducateurs, la tristesse et la colère sont légitimes. Le découragement est possible. La résignation est exclue.
Philippe Meirieu