A quoi joue le Dasen de Seine Saint-Denis ? Traités de « terroristes » et trainés dans la boue par un magazine d’extrême droite, des enseignants de l’école Pasteur de Saint Denis espéraient la protection fonctionnelle de l’Education nationale. Ils récoltent des mutations « dans l’intérêt du service ». L’éducation nationale valide ainsi la campagne d’extrême droite contre l’école et contre le syndicat Sud 93, auquel appartiennent seulement quelques uns des déplacés. Une intersyndicale crie au scandale et appelle à la grève le 12 avril pour soutenir ces 6 enseignants.
Des professeurs attachés à leur école Rep+
« Tous les 6 on avance au grand choix », nous dit Marie (le prénom a été changé), une des 6 enseignant.es déplacés par le Dasen de Seine Saint-Denis. Ils sont bien notés, dans le quart supérieur des enseignants. Tous les six enseignent depuis plus de 10 ans à l’école Pasteur de Sainte Denis. Une école de 19 classes, classée Rep+, située dans un des quartiers les plus difficiles du département. Le genre d’école où les enseignants (et même dit-on les IEN) ne restent que quelques années. Eux ont fait le choix de rester et de s’occuper des gosses du quartier. « Au départ je suis venue parce que je n’avais pas le choix », nous dit Marie. « Et puis on s’attache au quartier, aux familles. Le projet pédagogique sur l’égalité entre filles et garçons m’a plu ».
Tout allait bien jusqu’à l’arrivée d’une nouvelle directrice, nommée sur poste à profil, par le Dasen. Venue tout droit du privé, avec seulement trois années d’expérience dans l’Education nationale, elle se retrouve à la tête de cette grande école particulièrement difficile. Et ça ne se passe pas bien. Pour Catherine Da Silva, responsable du Snuipp Fsu sur Saint Denis, « elle ne faisait pas son travail de directrice ». Cela créé des tensions avec une équipe très investie dans le fonctionnement de l’école.
Accusés de terrorisme par l’extrême droite
La réponse de la directrice c’est de témoigner spontanément dans un magazine d’extrême droite, L’incorrect (n°49 janvier 2022). Dans cet article, où tous les enseignants sont présentés comme des « extrémistes fanatisés » de Sud 93 (alors qu’ils appartiennent à plusieurs syndicats), elle se plaint que « la hiérarchie n’existait pas à l’école ». L’article est redoublé d’une vidéo du même magazine poste sur Youtube. Ces enseignants d’une école Rep+ sont traités de « terroristes ». Ils « ne se préoccupent pas de la surveillance des enfants dans la cour ». Les maitres « fument des joints sur le parking de l’école ». Ils empêchent les enfants d’apprendre à lire. « Le lobby LGBT a ses entrées dans l’école » déplore L’incorrect, allusion probable au projet pédagogique sur l’égalité filles et garçons. La vidéo laisse deviner le numero de téléphone d’une enseignante. Les prénoms sont à peine altérés, voire pas du tout.
L’éducation nationale refuse la protection et déplace
Après cette publication insultante et menaçante, les enseignants ont demandé la protection fonctionnelle du ministère de l’éducation nationale. Ils ont multiplié les saisines du registre santé sécurité au travail.
La réponse vient de tomber. « Une enquête administrative sur le fonctionnement de l’école a été diligentée à l’automne 2021 », nous dit le Dasen de Seine Saint-Denis. « La commission d’enquête vient d’adresser son rapport à monsieur le recteur, et dans lequel les conclusions formulent six mesures de mutation dans l’intérêt du service et une mesure de retrait de fonction, afin de restaurer un climat de sérénité dans l’école, propice aux apprentissages. Les enseignants concernés en ont été informés par courrier le lundi 4 avril et la procédure contradictoire s’applique. Par ailleurs, les demandes de protection fonctionnelles que nous avons reçues sont en cours d’instruction ».
Le poids de l’extrême droite
« C’est une injustice sans nom », nous dit Marie. « On va mettre des contractuels à notre place. On aidait les jeunes collègues à maintenir le cap dans l’école. Ca va être difficile pour eux maintenant. Les élèves sont en colère de nous voir partir. Des parents pleurent. Je ne comprends pas. J’ai l’impression que mes supérieurs ne sont pas attachés à un service public de qualité ».
« A la veille des élections on sait le poids de l’extrême droite », nous rappelle Catherine Da Silva. Mais pour elle le conflit est surtout hiérarchique. « Personne n’a voulu voir que cette directrice, choisie par le Dasen, n’est pas capable de tenir cette charge de direction. On ne choisit pas quelqu’un qui n’a que 3 ans d’ancienneté pour diriger cette école ». On peut se demander si la campagne, totalement ratée, de JM Blanquer contre le syndicat Sud n’a pas joué aussi dans la décision du Dasen.
Une intersyndicale s’est constituée associant le Snuipp Fsu, le Snes, la Cgt, Sud et la CNT.L’intersyndicale déplore que le Dasen prenne le parti de la directrice « qui a jeté en pâture ses collègues dans un magazine d’extrême droite. Le climat nauséabond de banalisation des idées d’extrême droite a des conséquences concrètes et graves pour ceux qui en sont victimes ». Les syndicats ont lancé une pétition et appellent à la grève le mardi 12 avril. Ils exigent le maintien dans l’école des 6 enseignants.
François Jarraud
La pétition (déjà signée par un quart des PE du département)