Que sait-on du fonctionnement de la mémoire, une compétence tellement importante en éducation ? Daniel Gaonac’h (université de Poitiers) publie un ouvrage (Les élèves et la mémoire, Retz) dans la célèbre collection Mythes et réalités. En 9 chapitres il étudie autant de mythes bien connus des acteurs de l’Ecole. Est-on auditif ou visuel ? Doit-on apprendre par coeur ou comprendre ? La mémoire de travail sert-elle partout ? Certains élèves ont-ils une meilleure mémoire que d’autres ? Peut-on entrainer la mémoire de ses élèves ? Daniel Gaonac’h répond à quelques unes de ces questions.
Peut-on dire que, ces dernières années, les connaissances sur la mémoire ont considérablement évolué ?
Cela dépend. Les données liées à l’imagerie cérébrale ont beaucoup fait progresser les connaissances. Mais elles sont éclairées par des données de la psychologie cognitive qui peuvent avoir 30 ou 40 ans. Dans le premier chapitre du livre, je prends l’exemple des différentes mémoires qui sont des concepts des années 1970 mais qui sont éclairées par l’imagerie cérébrale. Donc, on a bien des connaissances récentes. Mais elles ne révolutionnent pas les connaissances sur la mémoire.
Je ne suis pas ennemi des neurosciences. Le livre le montre bien. Mais les collègues des neurosciences font un peu vite le pont entre les données de leurs travaux et la classe. Il vaut mieux établir des ponts entre leurs données et des approches plus classiques sociologiques et psychologiques qui permettent de mieux comprendre ce qui se passe en classe.
Globalement quel impact ont eu ces découvertes sur l’enseignement ?
Les progrès les plus surs sont ceux qui sont liés à l’hippocampe. Par exemple le rôle de l’hippocampe dans la consolidation de l’information. Mais ce n’est pas descendu dans l’enseignement. C’est ce que vise le premier chapitre du livre.
Une idée a fait son chemin chez beaucoup d’enseignants : celle des différents types de mémoire : auditive, visuel etc. Existent-elles vraiment ? Comment expliquer le succès de ces conceptions ?
La réponse est dans le chapitre 7 du livre. C’est clair. La différenciation entre des individus dont certains auraient une mémoire visuelle ou auditive ne repose sur aucun fondement scientifique. C’est un mythe complet qui repose sur des intuitions qui sont fausses.
Les enseignants sont divisés sur la place du par coeur dans les apprentissages. Faut-il renforcer le par coeur ou le diminuer ?
Il faut savoir l’utiliser à bon escient. On le voit dans l’apprentissage du calcul. Le par couer est important pour les fameuses tables. On sait aussi que l’automatisation des accès phonologiques dans l’apprentissage de la lecture est positif. Cela évite l’encombrement du fonctionnement cognitif. Donc je ne crois pas qu’il faille renforcer le par coeur. Mais il ne faut pas l’éviter.
Peut-on définir des conditions à remplir pour qu’un élève apprenne en classe ?
Le premier chapitre du livre montre l’articulation entre les différentes mémoires. Elles sont complémentaires. La variation des exemples en classe, qui relèvent de la mémoire épisodique, doit pouvoir contribuer à construire une trace permanente relevant de la mémoire sémantique. Concrètement il faut utiliser des exemples variés en classe pour permettre que l’élève se construise une représentation flexible de l’objet de l’objet de l’apprentissage. Je donne dans le livre l’exemple de la loi des gaz parfaits.
Peut on développer la mémoire de ses élèves ?
La santé physique n’est pas sans lien avec l’efficacité de la mémoire. Dans le chapitre 8 du livre je tente de répondre à cette question du développement de la mémoire. L’effet massif c’est que les exercices supposés entrainer la mémoire sont rarement généralisables à d’autres contenus que ceux utilisés pour les exercices. Cela vaut d’ailleurs aussi pour l’attention et la mémoire de travail. Les enquêtes montrent que les utilisateurs de ces entrainements sont très satisfaits car ils créent une impression positive immédiate. Mais si on regarde d’autres contenus cela ne marche plus. Donc il y a peu d’effet généralisable d’un entrainement de la mémoire.
Cela conduit à une réflexion importante : l’exercice de la mémoire est toujours lié à des contenus car ces contenus ont des spécificités et ont déjà fait l’objet d’élaboration de l’information. On mémorise bien ce sur quoi on a déjà des informations. On peut difficilement traiter de la mémoire sans traiter de la question didactique sur la façon dont on structure les contenus disciplinaires. Il n’y a pas d’entrainement de la mémoire en dehors d’un travail sur les contenus et la structuration des contenus d’une discipline. C’est ce que montre Sweller avec la théorie de la charge cognitive.
Vous écrivez qu’il y a des déterminants sociaux au fonctionnement de la mémoire. Quels sont-ils ?
La psychologie sociale montre que la taille de la mémoire de travail peut être liée à des facteurs psychologiques notamment des situations d’évaluation. Sébastien Goudeau montre par exemple que les effets des évaluations sont plus importants chez les enfants issus de milieu social défavorisé. Il y a une interaction entre le social et le psycho social.
Et les professeurs ? Sont-ils des champions de la mémoire ?
Ils ont une formation qui est très lourde en ce qui concerne la mémorisation. Il sont des contraintes fonctionnelles qui les obligent à naviguer rapidement d’une classe à l’autre en se remémorant l’état de chaque classe. Je ne pense pas que les professeurs aient a priori une meilleure mémoire. Par contre ils ont des contraintes très importantes sur le fonctionnement de leur mémoire. La gestion de la classe constitue un stress et une fatigue énormes. Or les recherches montrent que c’est une facteur de conservation des compétences cognitives important. Sous cet angle ils sont privilégiés.
Propos recueillis par François Jarraud
Daniel Gaonac’h, Les élèves et la mémoire, Retz, ISBN 978-2-7256-8421-5, 9€