Trouver la bonne distance ?
En bon sociologue, le chercheur cadre d’abord le propos : pour espérer trouver place dans la société, tous les parents, quelle que soit leur position sociale, ont besoin d’investir l’Ecole. Jamais l’échec scolaire n’a été autant corellé avec les difficultés à s’insérer socialement. Les inégalités hors l’école font irruption dans l’école, dans des mondes de plus en plus interpénétrés. Les ségrégations et les concentrations de difficultés rendent donc la tâche de plus en plus difficile pour les enseignants, avec un sentiment de peu d’efficacité quand la tâche épuise…
Pour P. Périer, ce qu’on appelle les « familles populaires » prennent aujourd’hui plusieurs formes, mais globalement le lien social se défait, on a du mal à s’extraire de la communauté d’appartenance. On ne connait pas forcément son voisin, surtout s’il ne nous ressemble pas.
Mais toutes se difficultés font qu’on peut de moins en moins séparer les deux rôles de l’Ecole : instruire, mais aussi former pour transformer.
Or, ses enquêtes lui montrent que si les familles ont conscience de l’enjeu scolaire, si elles élèvent leurs ambitions , si elles perçoivent l’attente de l’école, elles ne savent pas toujours comment y répondre, trouver la « bonne distance » avec les enseignants. « Il suffit de regarder ce qui se passe à la sortie de l’école pour observer comment chacun trouve -ou non- sa place ». Donc, il lui semble que l’attente légitime de respect et de reconnaissance mutuels nécessite d’être formalisée dans des accords explicites.
En effet, souligne-t-il, le respect des règles et des valeurs, de la soumission à l’autorité est très rarement remis en cause par les parents. Mais à l’inverse, ils attendent généralement que lorsque leur enfant est à l’école, sous la responsabilité des enseignants, c’est à ceux-ci qu’il incombe d’instruire et de régler les problèmes éventuels. Réagissant « au coup par coup », sans vision stratégique, les parents des familles populaires espèrent que l’Ecole ne fasse pas appel à elles, et se cantonnent souvent à une position d’attente : « si on a besoin de nous, qu’on nous le dise… ».
Dans ce contexte, le chercheur pense qu’il n’est pas étonnant que ces familles n’osent pénétrer le monde scolaire, peinent à s’y sentir légitime, même quand l’Ecole réclame explicitement de « rencontrer les familles » : de quoi peut-on parler ? à quelle heure ? pour quoi faire ? En tout état de cause, ce questionnement de la « norme » de l’association école-parent entraine, plus qu’un malentendu, un « différend » qui nécessite à coup sûr « explicitation et négociation pour que le partage des rôles entre famille et école soit réellement organisé ».
« Suivre la scolarité ? »
La charge des devoirs est évidemment une source de difficulté pour maîtriser les contenus, comme pour comprendre ce qui est attendu. Si l’école n’a évidemment pas d’intention de nuire, elle peut susciter un « décrochage scolaire parental », pour faire les divisions comme pour réviser la grammaire, et entrainer des discordes dans la famille. « L’école délègue implicitement aux parents des tâches scolaires qui requièrent des compétences scolaires inégalement distribuées » constate P. Périer à partir de ses enquêtes.
Ce peut être alors la spirale de la difficulté : de la confiance a-priori, certaines familles passent, en cas de problème, à la distance, voire à la méfiance, surtout lorsqu’ils pensent que l’école en surcharge ne peut pas assez bien « s’occuper du mien et de ses difficultés », suspectant parfois même la discrimination.
Le fatalisme peut donc arriver tôt : « mon enfant est comme ça, on n’arrivera pas à le changer… A quoi bon les rencontres avec tous ces spécialistes ? Moi aussi, j’étais comme ça… ». Cette essentialisation nourrit alors l’impuissance, et une double délégation :
– à l’école, sommée de trouver les solutions,
– et à l’enfant qui doit porter la charge de sa scolarité, pour le meilleur et pour le pire. C’est typiquement ce qui va entrainer de grandes difficultés au collège, avec des poids beaucoup trop lourds pour certains enfants… C’est la spirale infernale des difficultes d’apprentissage et des difficultés comportementales.
Quelques pistes pour l’action
« On peut déplacer la problématique d’un enjeu de communication à une enjeu de complémentarité ». Si l’Ecole n’arrive pas à s’adresser à toutes les familles malgré ses efforts, c’est peut-être parce qu’elle raisonne avec des modalités qui conviennent davantage aux classes moyennes… « Ne faut-il pas prendre acte que les situations sont dissonantes, et que trouver des règles et langages communs est bien un travail spécifique ? »
Trop souvent, faute d’espaces pour le faire, la légitimation réciproque et les principes de justice ne sont pas assez pensés, notamment envers ces parents « invisibles » trop vites suspectés de démission. Une ferme délimitation de « qui doit faire quoi » dans les tâches scolaires peut permettre de déminer les « situations de conflit », et réduire l’externalisation des causes des difficultés. Une clarification des règles d’échanges peut permettre de s’assurer de la participation du plus grand nombre. L’explicitation des enjeux de savoir et d’apprentissage. Pour cela, la création de collectifs est à la fois un but et une ressource.
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