« On est attaché à la liberté d’enseignement mais nous sommes vigilants à ce que chaque enfant bénéficie des connaissances et des valeurs républicaines ». Le 9 mars, Remy-Charles Sirvent, secrétaire général du Cnal, présentait une enquête sur les établissements hors contrat. Basée sur les rapports d’inspection de ces écoles par les services de l’Education nationale, du moins sur les rapports que l’Education nationale a bien voulu céder, l’étude est sévère pour ces écoles. Le Cnal extrait des rapports les lacunes dans la formation des élèves mais aussi des enseignements « réactionnaires ». Le CNAL demande un contrôle des écoles hors contrat calqué sur la loi sur l’instruction en famille. Et notamment d’autoriser les préfets à fermer les écoles hors contrat. Une préconisation qui se heurte à la liberté d’enseignement et au succès de ces écoles.
Racisme et réaction
A l’origine de l’étude menée par le Cnal, 164 rapports d’inspections réalisés dans des écoles hors contrat en 2021 par l’éducation nationale. Cela concerne 9% des 1800 écoles et établissements privés sous contrat. Le Cnal a eu du mal à obtenir ces rapports , particulièrement pour les écoles Espérance Banlieues (2 rapports seulement) et Steiner (idem), malgré des interventions auprès de la Commission d’accès aux documents administratifs. Malgré tout, pour le Cnal, les 164 rapports sont représentatifs des écoles hors contrat.
Le Cnal a extrait pour chaque catégorie d’école des extraits des rapports d’inspection pointant des difficultés. Ainsi à propos des établissements catholiques traditionnalistes de la Fraternité sacerdotale Saint Pie X (14 rapports pour 59 établissements), le Cnal relève l’absence de mixité, une pédagogie descendante, des manuels obsolètes et une éducation morale et civique remplacée par l’instruction religieuse. » L’accès à des valeurs morales, civiques et sociales se fait exclusivement à partir de situations issues du fait religieux et d’une morale chrétienne fondée sur des croyances. Ainsi, l’acquisition et le partage des valeurs de la République, la construction d’une culture civique sont évincés au profit de la construction d’une culture religieuse », note un rapport sur un établissement de l’ouest. Pour le Cnal, des contenus scolaires sont revisités : » Le rôle de Vichy dans l’extermination des juifs est mis sous silence, et ce génocide n’est d’ailleurs pas mentionné dans le traitement de la seconde guerre mondiale. Le support de géographie porte une vision marquée par une représentation du monde par « races » humaines (noirs, blancs…) qui pose un souci », notent deux rapports. » De nombreux éléments du socle sont pointés dans les rapports comme étant non enseignés ou mal enseignés : les sciences, l’Eps en général et la natation en particulier, le numérique et l’éducation aux médias et à l’information, l’histoire ainsi que l’éducation à la sexualité et l’éducation morale et civique notamment quand elle aborde les valeurs de la République », estime le Cnal.
Des contenus pas conformes
Les écoles Steiner font l’objet d’une étude précise alors que le Cnal ne dispose que de 2 rapports. » Il ressort de ces rapports, dont un a conduit à l’injonction de rescolariser en urgence les enfants dans une école publique à la rentrée 2021, que les contenus enseignés ne sont pas toujours conformes, que les enfants sont dans un isolement et soumis à des pratiques de nature à porter atteinte à leur liberté de conscience et que leurs besoins ne sont pas évalués par des personnels compétents s’ils rencontrent des difficultés particulières. Il semble également important de s’interroger sur la nécessité de faire des inspections inopinées et que les inspecteurs soient un minimum sensibilisés en amont aux points de vigilance spécifiques à ces écoles », estime le Cnal.
Quant aux écoles Espérance Banlieues, là aussi bien protégées par l’administration, des éléments du socle commun sont délaissés comme les langues vivantes et le numérique ». Les écoles Montessori se révèlent « décevantes ».
Les préconisations du Cnal
Pour le Cnal, ces rapports sont suffisants pour revoir entièrement la réglementation relative aux écoles hors contrat. Le Cnal pose 5 préconisations. La première c’est de placer les écoles hors contrat sous le régime d’autorisation préalable. » À l’instar de la réglementation qui régit actuellement l’instruction en famille, l’ouverture d’un établissement hors contrat doit passer d’un régime de déclaration à un régime d’autorisation, afin que les pouvoirs publics ne soient pas placés en situation de fait accompli. Le projet pédagogique doit faire partir intégrante du dossier de demande de création d’un établissement privé sous contrat.. comme c’est le cas pour l’instruction en famille ».
S’inspirant de la récente loi séparatisme, le Cnal demande que le préfet puisse décider de la fermeture de ces écoles. » Le Préfet doit pouvoir prononcer la fermeture d’un établissement dès lors que l’acquisition du socle commun et des valeurs de la République est défaillante », demande le Cnal. « Le Cnal demande que des modifications règlementaires puissent permettre au Préfet d’ordonner la fermeture d’un établissement dès lors qu’il ne met pas en oeuvre l’acquisition du socle commun et des valeurs de la République. Actuellement, en cas de défaillances et de refus de répondre aux mises en demeure, le Préfet peut ordonner la fermeture de l’établissement, seulement pour des motifs graves (ordre public, santé et sécurité physique ou morale des mineurs) et après avis du rectorat. Concernant les autres motifs, il agit sur proposition du rectorat »
Une alerte posée par le Café dès 2017
En 2017, le Café pédagogique attirait déjà l’attention sur les errances constatées dans des écoles hors contrat. Nous publions un rapport de synthèse de l’académie de Versailles qui contenait déjà les critiques formulées par le Cnal : disciplines non enseignées, des enseignements erronés par exemple en histoire, des apprentissages fondés sur le par coeur et la répétition. Encore n’avions nous pas tout écrit. Les inspecteurs oralement nous donnaient des exemples de pratiques dégradantes dans certaines écoles. La présence d’écoles sectaires était aussi très inquiétante.
Au moment de la publication de cet article, le Conseil d’Etat venait de valider un décret pris par N Vallaud Belkacem qui imposait le socle commun dans les écoles hors contrat. Quelques semaines plus tard JM Blanquer arrivait au ministère. Il mettait en valeur les écoles Espérances banlieues en vantant leurs mérites jusqu’au niveau européen, alors qu’à la Culture, la ministre de l’époque était connue pour avoir ouvert une école Steiner. En 2020, JM Blanquer acceptait de reconnaitre pour le bac les notes des écoles hors contrat, permettant à ces établissements de vendre le bac. Et au bac 2021 ces écoles obtenaient un peu moins d’avantages mais gardaient une reconnaissance partielle de leurs notes. Le rappel de ces faits est à mettre en parallèle des difficultés du Cnal pour obtenir les rapports d’inspection.
Et la liberté d’enseignement ?
Pour autant, les préconisations du Cnal posent problème. D’abord parce que les rapports d’inspection donnent une vision administrative de la réalité. Le Cnal estime que les inspecteurs sont des professionnels et que leur compte rendu sont objectifs. Ils sont très certainement précieux. Mais les enseignants savent bien qu’ils posent aussi des problèmes. On ne saurait décider à leur seule vue en dehors des cas d’urgence.
Aussi la préconisation donnant aux préfets un droit de fermeture administrative revient nettement sur la liberté de l’enseignement. Les décisions préfectorales ne sont pas contradictoires. Seule une décision de justice, où la défense peut se faire entendre, devrait pouvoir ordonner la fermeture d’une école.
Soumettre ces écoles à une autorité administrative toute puissante va poser le même problème que pour l’instruction en famille. On aboutirait à une uniformisation scolaire qui étoufferait les initiatives pédagogiques alors que les écoles installées à l’ombre des parapluies politiques, (les intégristes, Espérance Banlieue) s’en tireront.
Or le principal problème posé par les écoles hors contrat c’est leur succès. En 2012, on comptait 351 écoles et 540 établissements. En 2020 il y a 1016 écoles et 693 établissements. En 2021, alors qu’on compte 1% d’élèves en moins (pour des raisons démographiques) globalement dans les écoles publiques et sous contrat, il y a 12% d’élèves en plus dans le hors contrat, portant le nombre d’enfants à 57 000. Dans le second degré les effectifs élèves sont stables. Mais le hors contrat connait une hausse de 9% avec 35 000 élèves. Ce succès a bien des raisons. Mais globalement il interroge l’Ecole. Il est aussi l’indice que ces écoles sont utiles pour qui cherche à améliorer l’école publique.
Ce succès du hors contrat contraste avec les rapports d’inspection et l’étude de la Cnal. On peut le déplorer mais on ne peut pas le voir. Dans ce succès il y a la part de la tromperie sur le service rendu (déjà mentionnée dans le rapport que nous avions fait connaitre). Il y a celle de la recherche du séparatisme social. Mais il y a aussi une question de fond qui est celle de la liberté d’enseignement. Doit on interdire aux parents de choisir la pédagogie valable pour leur enfant ? Et si oui quelles conséquences cela aurait il pour tous les enfants ?
François Jarraud