Comment enseigner dans des classes qui se covident et se vident ? Comment dans ce climat anxiogène faire preuve d’adaptabilité et de créativité ? Vendredi 7 janvier 2022, au collège Jacques Prévert de Bourg-sur-Gironde, Marie Especel, professeure de français, se retrouve dans sa classe de 4ème avec 16 élèves présents sur 26. L’intervenant attendu n’a pu venir et l’activité prévue ne peut avoir lieu : faut-il continuer le cours ? peut-on ajuster le dispositif ? comment favoriser les interactions entre les élèves présents et absents ? Questions à résoudre dans l’urgence et l’insécurité pédagogiques. Réponse improvisée de Marie Especel : via un compte collectif, les élèves présents ont conçu et réalisé à destination des absents une story Intagram autour des Lumières ! Témoignage sur une singulière séance qui donne à voir de l’ingénierie pédagogique en live…
Le travail des élèves a été publié sur Instagram : de quelle façon ?
Concernant le travail partagé sur le compte Instagram @MediaPrevert, il s’agit d’une pirouette face à une situation vécue ce vendredi 7 janvier comme dans beaucoup d’endroits : plus d’un tiers d’élèves absents dans ma classe de 4ème. Habituellement, nous ne publions sur ce compte que le travail de nos deux « classes médias », mais je l’ai utilisé hier avec mon autre classe de 4ème (pas les « Mediaprevert » donc).
En quoi les circonstances particulières ont-elles mené à cette activité ?
J’avais la classe 2 heures d’affilée ce vendredi et nous devions avoir un intervenant dans le cadre d’un projet « éloquence », mais il n’est pas venu. Je me suis donc retrouvée avec mes 16 élèves, sans leurs affaires de français et très déçus de l’annulation de l’intervention. Autant dire que ça partait plutôt mal !
Par ailleurs, j’ai commencé cette semaine avec cette classe un projet sur les Lumières et l’éloquence, sujet complexe mais la classe a déjà traité le thème en histoire. De ce fait, la question s’est hier posée ainsi : avancer sur le cours malgré les absents et sans matériel, en partant du postulat que les absents pouvaient aller dans leurs cahiers d’histoire chercher ce qui leur manquait pour le français ? ou freiner ma progression et en profiter pour faire le point sur les pré-requis des élèves ?
Quel a été votre choix ?
J’ai coupé la poire en deux : nous avons consacré la première heure à l’étude du texte de Kant « Qu’est-ce que les Lumières ? » et j’ai ensuite proposé aux élèves un défi : les 4èmes Gustave Eiffel présents parlent aux 4èmes Gustave Eiffel absents via des stories Instagram.
Quelle a été la réaction des élèves ?
Au début, ils ont été très surpris, voire dubitatifs. Ils ont surtout eu très peur de devoir utiliser leurs propres comptes pour publier des choses du cours de français (la honte !). C’est pourquoi nous avons utilisé le compte des « classes médias » qui bénéficie d’une large audience.
Comment avez-vous travaillé à la réalisation de ces stories ?
Il a fallu faire un point sur ce que devait et ne devait pas être une story et leur montrer comment ils pouvaient utiliser leurs codes de communication pour servir la transmission de connaissances un peu rébarbatives. Nous nous sommes aussi mis d’accord sur la nécessité de faire un story board de la story. Nous avons enfin dégagé quatre sujets à traiter : le texte de Kant en bref, les idées des Lumières, qui sont les principaux philosophes du mouvement ? qu’est-ce que l’Encyclopédie ? Ils ont eu une heure pour sélectionner les informations, les twister en mode instagramable et les publier.
Au final, quel regard les élèves et l’enseignante portent-ils sur cette séance singulière ?
Finalement l’activité a beaucoup plu aux élèves et ils se sont tous investis, le défi du temps court les a galvanisés. Les productions sont très inégales mais sont à l’image des élèves présents et du temps dégagé pour ce travail. Pour ce qui est de l’interaction avec les absents, il n’y en a pas eu en direct mais nous aurions pu, si nous avions eu plus de temps, contacter les élèves via le groupe Snap de la classe et envisager des publications un peu différentes en jouant par exemple sur les stickers (quizz ou sondage).
Précisons que si j’avais fait le même travail avec les « vrais » « Mediaprevert », cela aurait été très différent puisque cette classe est bien plus habituée aux usages des réseaux sociaux en classe, que ce soit au sein des heures dédiées à l’option média ou dans le cadre des cours que nous construisons en commun en lettres-histoire-géographie avec Marlène Partyka.
Avec des prolongements possibles ?
J’ai quitté la classe vendredi à midi, les élèves avaient fini les cours pour la semaine. La story a eu environ 120 vues, ce qui est conséquent. Les élèves ayant participé à l’activité sont sortis avec l’envie de partager cette story sur leurs propres comptes. Ils ont donc évolué au fil de la séance. Reste à faire un retour ce lundi avec les absents pour savoir dans quelle mesure ils auront été atteints par le travail. Cependant, l’enregistrement de la story à la une du compte Instagram permet de pallier son côté éphémère et d’y revenir. Cela permettra, de façon rétroactive, une analyse de ce qui fonctionne ou non, et pourquoi pas de reconduire cette activité à un autre moment, de façon plus cadrée.
Propos recueillis par Jean-Michel Le Baut
La Story sur les Lumières
Le compte Instagram des « Mediaprévert »