L’Académie des technologies vient de publier un rapport sur l’enseignement de la technologie au collège. Elle fait des constats sur la situation de cet enseignement et propose des pistes d’amélioration pour « revaloriser un domaine d’études trop souvent négligé, et pour redonner aux jeunes – en particulier aux jeunes femmes – de l’attrait à la technologie et à ses filières de formation ». Avec certains partis pris polémiques ? Lecture du rapport par Sébastien Canet, professeur de technologie au lycée Livet à Nantes…
L’Académie des technologies est un établissement public administratif national placé sous la tutelle du ministre chargé de la recherche, fondée fin 2000, dont le but est d’« éclairer la société sur le meilleur usage des technologies ». En autorité relativement autonome, elle essaye de faire des constats mais ceux-ci ne semblent pas tirés d’une enquête exhaustive et vont sûrement faire grincer des dents chez les enseignants de technologie, même si le rapport salue « l’extrême engagement d’un certain nombre d’enseignants de technologie, hors de toute responsabilité académique officielle ».
La disparité
En remarque préalable, le rapport signale que la continuité des divers enseignements technologiques souffre d’un manque de lisibilité du fait de la diversité sémantique (technologie, sciences de l’ingénieur, sciences et technologies de l’industrie, sciences industrielles de l’ingénieur, sciences et techniques industrielles, etc.).
Tous les enseignants de technologie vivent sur le terrain de nombreuses difficultés, notamment celles causées par le programme de 2015 qui a été appliqué en une fois pour les quatre niveaux, mal accompagné (des aveux même d’IPR) et pour lesquels aucune progression commune nationale n’a été fournie. Quid des élèves qui changent d’établissement quand chacun aborde les parties dans n’importe quel ordre ? Quid du niveau terminal à atteindre ?
Ce manque de lisibilité s’adosse déjà au manque de clarté du socle par les familles, et celui-ci ne décrit que ce qu’un ‘élève idéal’ est censé maîtriser à l’issue de la scolarité obligatoire sans considérer que les réalités scolaires sont nombreuses et inégales. Le rapport signale d’ailleurs : « Suivre la progression, notamment en termes de compétences, d’une trentaine d’élèves est une gageure […] Les projets appellent des séances assez longues, leur morcellement est contre-productif […] ».
Les freins (hélas) habituels : les manques de matériel et de formation
Cette discipline est ancrée dans le réel et les systèmes, or les collectivités sont autonomes et bien souvent les moyens octroyés inégaux de même que le temps investi par les professeurs en maintenance, en auto-formation sur de nouveaux matériels et logiciels, en veille dans une discipline aux connaissances sans cesse renouvelées.
Justement le rapport critique aussi le manque de formation et de façon plus globale signifie que la formation continue des enseignants (toutes disciplines confondues) a toujours été un point faible du dispositif RH du ministère. Ce manque de formation devient critique face à la précarisation galopante dans l’Éducation Nationale : selon les académies, les contractuels représentent entre 10 et 25 % des enseignants de technologie. il est alors impossible d’avoir des équipes stables, qui échangent, travaillent sur le long terme, progressent, etc., sans parler du bagage scientifique et technique des contractuels embauchés.
Le rapport évoque en effet un problème de recrutement dans les disciplines scientifiques comme les SII ou la physique-chimie : les qualifications attendues pour enseigner la technologie, au collège comme au lycée, correspondent à celles recherchées par l’industrie. Comment l’Éducation nationale pourrait-elle soutenir la concurrence avec le privé au vue des problèmes de rémunération connus par le grand public, du système de mutation ? Le tout nouveau CAPES d’informatique en est déjà victime : 12 démissions de stagiaires parmi les 30 de la 1ʳᵉ session de l’an passé.
Le rapport propose une fausse solution, la bivalence, sans l’expliquer : un professeur d’histoire géographie est-il bivalent ? Un professeur de technologie qui enseigne l’électronique, la programmation, des notions d’architecture, etc., n’est-il pas déjà bivalent ? Le rapport ne remet pas en cause l’interprétation qu’en fait l’institution qui consiste à fusionner des enseignements spécifiques pour gagner des postes. Le rapport ignore que l’adaptation intellectuelle et les modes d’analyse ont des limites liées aux connaissances et appétences de l’enseignant, de son parcours personnel, même si parfois certains domaines sont proches.
Des leviers de réussite ?
Le rapport propose des recommandations et analyse des pistes de remédiation, et ce sont celles-ci surtout qui sont polémiques. Tout d’abord le rapport propose un recours à des ‘assistants’ sans parler de leur rémunération ni formation, encore des emplois précaires ? Le moyen de faire travailler des étudiants à un niveau moindre que le SMIC mensuel ? Leurs solutions semblent aggraver les problèmes nationaux : le recours aux contractuels, l’autonomie des établissements et la territorialisation de l’offre proposée. En oubliant ces disparités nationales, l’académie des technologies recommande aussi que chaque discipline scientifique (SVT, Physique, Technologie) ait une épreuve de durée équivalente au brevet.
Le rapport ne prend pas suffisamment en compte les derniers rapports très critiques sur l’EIST et propose un levier contestable : favoriser un glissement vers les sciences, sans se poser la question de savoir si la technologie donne goût aux sciences grâce aux applications matérielles, ou bien si le goût des élèves pour les sciences favorise la curiosité en technologie. Une autre question cruciale pour la motivation des élèves est de savoir si l’interdisciplinarité ne risque pas de saturer les élèves qui seraient confrontés à des questionnements redondants ? Cela aurait évidemment l’effet inverse en provoquant un rejet en bloc de tout ce qui se rattache aux sciences.
Egalité fille-garçon (?)
Le rapport n’explicite pas du tout le panel d’élèves sur lequel des enquêtes ont été menées, dans le groupe de travail il n’y a aucune femme, et la seule femme auditionnée est directrice chez l’Oréal. Mais en tant que responsable de la transformation informatique, ses apports peuvent paraître décalés pour l’enseignement technologique majoritairement dominé par les domaines mécaniques, au sens général, et électroniques. Le domaine de son entreprise pourrait paraître stéréotypé.
Par ailleurs les pistes semblent elles aussi des clichés : prendre des sujets de projet liés au ‘care’, la santé et l’environnement, pour intéresser les filles. N’est-ce pas réducteur ? Pourquoi ne pas aider les enseignants à proposer des domaines non genrés, ou bien aider les garçons à explorer, se sentir concernés par les domaines stéréotypés « féminins », et inversement ?
L’informatique sans en parler
L’informatique a enfin gagné l’introduction d’une discipline (SNT pour tous les élèves de France en 2nde), de l’option NSI en cycle terminal, et au collège son enseignement apparaît en mathématiques et est renforcé en technologie (depuis la réforme de 1985, la programmation était centrée vers des exemples industriels, des systèmes automatisés de la vie courante, etc.). Mais le rapport fait fi d’une polémique qui dépasse cet article quant à l’informatique comme science à part entière, de plus l’approche utilitaire qui peut dominer en mathématiques et en technologie risque de gommer son aspect créatif.
La fabrication : la blessure jamais guérie
L’Académie des Technologies souligne « l’effacement de la fabrication (NDLR : dans les programmes) au profit de la réalisation qui débouche sur du codage. » Pour une discipline ancrée dans le réel, pour la compréhension du monde réel par les enfants, cette oblitération des programmes renforce l’illusion que la numérisation du monde fait disparaître sa matérialité et fait croire que les activités manuelles (considérées de longue date comme inférieures) sont caduques. Or ce type d’activités (source de réussite pour certains, de prise de confiance) est nécessaire à chaque enfant pour apprendre des habilités de base, celles qui permettront d’avoir une prise sur le monde réel. Cela rejoint différentes analyses philosophiques et sociologiques (cf. Matthew B. Crawford, « Eloge du carburateur ; Hannah Arendt, La condition de l’homme moderne ; Hans Jonas, Le Principe responsabilité).
Indépendamment de ce que chaque professeur a pu faire, et des critiques qu’on peut y apposer, cette perte est préjudiciable pour les enfants, les effets sont ressentis dans les lycées, en voie technologie ou ex-SI, mais aussi dans les BTS où le manque d’expérience est d’autant plus long à rattraper.
Observations hors de France
Le rapport cite des observations faites dans quelques pays européens, mais le plus percutant est l’exemple de l’Allemagne qui, à priori, a « constaté que de ne pas inclure les technologies dans le programme d’éducation dans l’école secondaire a été une erreur fondamentale. » Cela appuie les propos précédents : « Les technologies doivent redevenir quelque chose dont on peut faire l’expérience […] Prendre en compte les différentes motivations des élèves et étudiants. […] Commencer la confrontation avec les technologies et leur enseignement depuis la petite enfance (maternelle) et tout au long de l’éducation scolaire ».
A lire
Quoi qu’il en soit, ce rapport mérite d’être lu, car il s’agit d’un premier bilan sur cette discipline que toutes les autorités ont tendance à mettre de côté, mais aussi car de nombreux points (aussi bien positifs que négatifs) sont abordés, et accompagnés d’avis, de recommandations. Les problèmes sont nombreux sur le terrain, le rapport parle justement de volonté politique, d’engagement, mais la période ne semble pas propice à de telles avancées pour le bien des élèves.
Sébastien Canet