La coopération peut-elle réduire l’échec scolaire ? C’est la question a laquelle Yves Reuter, fondateur de l‘équipe de recherche Théodile, a répondu le 23 octobre lors de l’Université d’automne du Snuipp Fsu. Ses travaux de recherche s’intéressent en particulier à la pédagogie Freinet en milieu défavorisé, aux expérimentations dans l’Education nationale, aux concepts des didactiques.
Pour planter le décor
« Ce dont on s’aperçoit c’est que l’école française est des plus ségrégatives » entame le chercheur. Et de citer la relation échec social/échec scolaire, tout en recommandant la lecture du dernier ouvrage de Jean Paul Delahaye, « Exception consolante », un grain de pauvre dans la machine scolaire. Ce qui intéresse Yves Reuter, c’est ce qu’il peut y avoir de commun et qui marche, dans les différentes pédagogies. C’est-à-dire ce qui favorise un bon climat, des élèves présents aux apprentissages, des progrès sans que les écarts se creusent, un rapport à l’école et au savoir positif. Et aussi quand l’inclusion l’emporte sur l’exclusion.
A la clé, une démarche qui part du terrain pour y revenir, et invite à réfléchir aux pistes possibles. Yves Reuter prend appui sur des recherches menées sur les pratiques différentes, sur les pédagogies Freinet comme à Mons en Barœul ou Vitruve à Paris, et sur un bilan des expérimentations menées dans le cadre de l’article 34 du Code de l’éducation, qui les balise. Le chercheur distingue pratiques différentes qui peuvent faire bouger les choses comme conseils d’élèves, quoi de neuf ou textes libres, et pédagogies comme Freinet et Vitruve, dans lesquelles la coopération est centrale.
Des acteurs pour coopérer
A ce propos, les relations coopératives sont possibles entre enseignants, avec des effets sur la discipline et la cohérence pédagogique, sur le bien être enseignant et sur le développement professionnel. Elles se structurent dans des réunions qui doivent être fréquentes et susciter du plaisir, donc être animées, construites, organisées. Un cadre de relations démocratiques, avec une bonne circulation de l’information. Ainsi peuvent être évités les sentiments de solitude et d’abandon vécus parfois par les enseignants.
Entre enseignants et élèves, des relations coopératives font du maître un facilitateur plutôt qu’un dispensateur, un constructeur de situations pour construire des apprentissages. L’attention doit être constante pour le maître pour choisir quand il intervient auprès de l’élève. « On saisit le moment où l’élève y est presque » avance Yves Reuter.
Entre élèves peut se construire un collectif d’apprentissage, dans une classe transformée d’unité administrante en unité de travail. Moins de tricheries, les jeunes sont aidés par les plus anciens, des élèves médiateurs, ludothécaires, contrôleurs de vitesse se fondent dans une micro société aux responsabilités partagées. Des conseils d’élèves, préparés, annoncés par voie d’affichage, sont objets de comptes rendus. La gouvernance par les élèves est aussi pédagogique parce qu’on apprend mieux quand tout ne semble pas être imposé.
Coopération rime aussi avec parents, en ralliant à l’école ceux qu’elle a éloignés. Comment en faire des alliés ? L’école est pour certains d’entre eux un univers opaque. « Accueillir les parents, c’est pas un truc gnangnan » affirme Yves Reuter. Les inciter individuellement à venir à l’école, à des braderies comme à Vitruve, à des cafés. Créer aussi des blogs des parents.
Ne pas oublier d’associer les autres intervenants de l’école, ATSEM, AESH … qui au passage ont des informations sur les enfants que n’ont pas forcément les enseignants, et enfin les acteurs extérieurs, des associations comme à Mons, ou de soutien aux enseignants comme l’AGSAS.
Intérêts, pistes et points de vigilance
La coopération permet d’organiser la construction de connaissances nécessaires en faisant coopérer des projets, par exemple celui de la préparation financière d’une classe verte avec celui des monuments qu’elle permettra de visiter. Des questions émergeront de cette confrontation entre approche scolaire, et celle plus ordinaire du monde. Une école ouverte sur le monde. Dans l’école de la coopération, comme à Vitruve, des affichages et des messages foisonnent, qui créent un univers de l’écrit porteur de sens. Coopération rime aussi avec mise en cohérence.
Pour autant, l’écueil du « tout coopération » est à éviter, en articulant par exemple des moments en autonomie avec des moments de compétition. La coopération ne se met pas non plus en place toute seule : aux élèves d’apprendre à travailler en coopérant, aux enseignants de s’y adapter. Un risque est que le « bon prof » s’épuise, et ait le sentiment de perdre du temps à la mise en place. Comment aussi conjuguer évaluations individuelles demandées par l’institution et pratiques plus collectives ? Le rapport aux disciplines et aux tâches est à penser quand par exemple l’orthographe ne demande plus de dispositif collectif. En pédagogie coopérative, il faut lâcher prise et laisser aux élèves le temps de chercher. Sortir de la confrontation et passer à plus de réflexivité donc, et favoriser différentes formes d’explicitations : parfois, la façon qu’un élève a d’expliquer permet de comprendre ce qu’a voulu dire le maître.
Lancer une dynamique collective positive et réguler. Faire travailler en groupe, en équipe. Favoriser entraide et solidarité, en veillant à ce que nul ne prenne le dessus. Viendront souci de l’autre et amélioration du climat. Comment faire vivre au mieux des catégories qui ne vont pas être en harmonie pour des questions de genre, d’origines différentes ? Organiser des rencontres à même de diminuer les risques d’exclusion constitue une piste. Comment aussi constituer en ressources les différences culturelles ?
A la question posée par un auditeur en fin de conférence de savoir si les élèves issus des classes coopératives éprouvent plus de difficultés lors de leur entrée en sixième, Yves Reuter met en avant des recherches. Ce passage est ni plus ni moins facile pour eux que pour les autres élèves, qui ont aussi à s’adapter. Les professeurs les disent plutôt à l’aise et dans le travail personnel et dans le travail de groupe, respectueux des autres, capables d’argumenter et d’esprit critique.
Et le chercheur de conclure. Coopérer ? Ni panacée, ni utopie puisque des exemples fonctionnent. « Mais ce serait mieux dans une école de la confiance qui valoriserait les projets ».
Pierre Gerarni