« On ne peut pas parler de casse du service public quand le budget du service public de l’éducation nationale connait une telle hausse ». Le 25 octobre, devant l’Assemblée, le ministre de l’éducation nationale n’a pas tant défendu son budget que son bilan. Pour lui le budget de l’Education nationale connait une augmentation inédite depuis son arrivée aux affaires. L’opposition n’a pas tant contesté les chiffres que montré l’écart avec les réalités vécues sur le terrain. Au final le budget est adopté par 24 voix contre 7 ce qui fait quand même bien peu.
Un budget inédit ?
« Le premier élément du bilan est que, pour la première fois, le budget de l’éducation nationale aura augmenté de plus de 13 % en cinq ans. En 2017, le budget était de 48,8 milliards d’euros ; en 2022, il sera, si vous l’approuvez, de 55,2 milliards, ce qui représente une hausse de 6,4 milliards ». Une argumentation dont JM Blanquer va user et abuser, répondant par ces nombres aux critiques de l’opposition. Ainsi à S Tolmont (PS) JM Blanquer répond : « Je le répète, pour que tout le monde retienne les chiffres : 6,4 milliards d’euros de 2018 à 2022, contre 4,5 de 2013 à 2017. Vous pouvez le tourner dans tous les sens. Puisque 95 % de ce montant financent la masse salariale, l’augmentation a été supérieure. De plus, vous avez raison, les créations de postes ont été moins nombreuses : l’augmentation de chacun en a été d’autant plus importante. »
Ces nombres méritent pourtant d’y regarder à deux fois. D’abord parce que l’augmentation du budget de l’éducation nationale ne dépend pas en réalité totalement du ministre. Il y a bien sur l’inflation. Même si elle n’est plus répercutée dans le point d’indice depuis son gel par E Macron en 2017 (il avait été dégelé en 2016), elle pousse à prendre des mesures au moins catégorielles. Or l’inflation a été beaucoup plus faible entre 2013 et 2017 (dates où les budgets ont été construits par le gouvernement de F Hollande) qu’entre 2018 et 2022. On est en dessous de 1% sur la première période (0 en 2015, 0.1 en 2016 par exemple) contre plus de 1 après 2017 (1.8 en 2018, 1.1 en 2019 etc.). Ensuite parce que l’avancement automatique des enseignants (ce qu’on appelle le glissement vieillesse technicité GVT) gonfle automatiquement le budget de 300 à 350M chaque année. Sur un quinquennat il y a déjà un peu moins de 2 milliards qui correspondent uniquement à cette évolution automatique, à moins que l’on supprime des postes. Ce que JM Blanquer a fait comme Dgesco sous N Sarkozy mais pas sous E Macron.
Qu’en est-il vraiment ?
Pour savoir ce qu’il en est vraiment nous avons consulté l’annuaire statistique de l’éducation nationale, le RERS de 2013 à 2021. Il est vrai que le RERS prend en compte le coût total du budget, y compris les pensions, ce que ne fait visiblement pas le ministre. Ce que nous dit le RERS c’est que le budget de l’éducation nationale a augmenté de 6.8 milliards de 2013 à 2017 passant de 63.4 à 70.2 milliards soit +10.7%. De 2018 à 2022, le budget passe de 71.6 à 78.1 milliards soit +6.5 milliards et +9%. Si l’on remet cela en tenant compte de l’inflation on a une hausse double du premier quinquennat par rapport au second (de 68 à 74 milliards en euros 2021 d’un coté, de 75 à 78 milliards en euros 2021 de l’autre).
Il y a d’ailleurs une autre façon de mesurer l’effort réel pour l’éducation. C’est la dépense intérieure d’éducation. Elle n’a fait que baisser sous JM BLanquer passant de 6.8% du PIB à 6.6% du PIB. Elle a retrouvé le niveau de la fin du quinquennat Sarkozy.
Une bataille identique a eu lieu sur la revalorisation 2022. La majorité parlant d’un milliard ou de 700 millions selon les cas. La réalité est 400 millions dont seulement 245 millions pour les enseignants.
Les suppressions de postes dans le 2d degré
Mais le débat ne s’est pas tant porté sur le budget que sur les postes et les AESH. « Le texte consacre définitivement le recul significatif des effectifs d’enseignants : avec la suppression de 410 ETP dans le secondaire et de 16 ETP dans l’enseignement agricole ajoutés aux 7 482 postes supprimés dans le second degré depuis le début du quinquennat, presque 8 000 suppressions de postes pourront être portées à votre actif, soit l’équivalent de 166 collèges. dans le même temps, l’accroissement continu du nombre d’élèves – de 3 % par classe entre 2017 et 2021 dans les lycées – a pour résultat une moyenne d’effectifs de plus de 30 élèves par classe. Comment apprendre correctement dans ces conditions ?« , dit S Tolmont (PS). Ces suppressions massives de postes dans le second degré correspondent à peu près aux créations de postes dans le premier degré pour couvrir les dédoublements. Ceux-ci n’ont rien coûté au budget de l’éducation nationale. Comme le fait remarquer S Tolmont les heures supplémentaires budgetées pour « remplacer » les postes supprimés ne sont pas toutes effectuées, loin s’en faut.
Des critiques sur le fond
S Tolmont porte la critique sur un autre terrain : « Nous pensons que transmettre les valeurs de la République au sein de l’école, c’est avant tout être capable d’instaurer un dialogue social réel qui passe par le respect de ses personnels et non pas mener une politique du fait accompli ou de la menace ; c’est ne pas faire en sorte que le budget de l’école privée augmente plus rapidement que celui de l’école publique, comme cela fut le cas pendant votre exercice ; c’est vouloir réellement combattre les inégalités et répondre à la crise sociale résultant de la crise sanitaire en luttant pour une réelle mixité scolaire, contre les inégalités entre les établissements et les territoires, et non adopter des priorités budgétaires favorisant les formations d’élite et les logiques de compétition et de sélection au détriment de la coopération ».
Muriel Ressiguier (LFI) porte le fer aussi dans le premier degré. « Dans ce domaine, vous créez 1 369 postes et vous dédoublez les classes, ce qui est une bonne chose. Mais cet îlot n’est qu’un leurre destiné à masquer tout le reste. Vous allez d’ailleurs l’anéantir à son tour avec, en préambule, l’expérimentation qui sera menée à Marseille et qui autorisera un directeur d’école à recruter lui-même ses équipes pédagogiques, titulaires ou non. Ce qui se joue avec cette expérimentation est la potentielle fin de l’actuel mode d’affectation des enseignants et, à travers lui, du lien entre le concours et le poste. Au fond, c’est le statut de fonctionnaire des enseignants qui est ici attaqué. En effet, si cette expérimentation était généralisée, les écoles publiques fonctionneraient dès lors comme les écoles privées sous contrat, ce que, pour l’instant, vous n’assumez pas ».
Après cet échange de vues le débat se porte sur des points précis. Pendant deux heures les amendements déposés par l’opposition vont défiler sans véritable débat avec le ministre, celui ci votant imperturbablement contre en se justifiant très rarement. Ainsi quand LFI et le PS demandent la création de 8488 postes dans les lycées professionnels puis de 8000 dans les lycées généraux et technologiques pour annuler les effets des réformes.
Le privé et Teach for France
Deux échanges intéressants. S Rubin (LFI) demande pourquoi le privé a un budget qui augmente plus vite que le public. JM Blanquer s’abrite derrière des hausses techniques liées aux cotisations patronales du privé supérieures à celles du public et à une structure d’effectifs enseignants plus jeune.
Ou quand S Rubin l’interroge sur le choix fait à Créteil de ne pas renouveler des contractuels expérimentés pour les remplacer par des contractuels sortis de grandes écoles, allusion au privilège accordé à l’association Le choix de l’école (ex Teach for France) fort proche du ministre. « Faut-il vraiment, d’un point de vue qualitatif, reprocher à l’éducation nationale d’inciter les jeunes ayant des diplômes de qualité à devenir professeurs ? Certains d’entre eux passeront des concours et seront professeurs, prenant ainsi l’une des voies d’accès, extrêmement intéressante », répond JM Blanquer…
S’engage alors un long débat sur les AESH. La rapporteure signale 4000 créations de postes, qui , en réalité, correspondent à la CDIsation d’AESH qui auparavant étaient payés sur les budgets des établissements. Le ministre rappelle l’effort budgétaire, bine réel, qui a été fait. Mais il ne peut s’empêcher de dire « je pourrais vous faire rencontrer beaucoup d’AESH qui constatent des améliorations ». La très grande majorité des AESH gagnent moins de 800€ par mois…
24 contre 7
Au final le budget de l’éducation nationale est adopté par 24 voix pour contre 7. Les fidèles de JM Blanquer sont restés jusque au bout. Enfin pas tous. Même le président de la commission éducation était parti.
François Jarraud