« 2021-2022 est une année où il faut savoir traverser le tunnel », écrivions nous à l’occasion de la rentrée. Drôle de tunnel. Les trains de réformes s’y succèdent et à chaque passage arrachent quelques mémorables pans de murailles laissant tomber les pierres. De puissants ouvriers ont entrepris d’en boucher les extrémités et d’éteindre la lumière. A ce rythme là le tunnel risque de se transformer en voie sans issue.
Parfois on se trompe. On suit l’air du temps. Et on a tort. Au moment de la rentrée, il nous a semblé que l’image du tunnel reflétait l’état d’esprit des enseignants. Il s’agissait d’attendre, à l’aide des petites joies qu’apporte encore le travail, mai 2022 pour tourner la page. D’ici là l’Ecole semblait à l’abri du combat politicien. Macron semblait peu intéressé par la question scolaire. Quant à M. Le Pen…
On s’est bien trompé. Dès le 2 septembre (le lendemain de la publication du « tunnel » !), Emmanuel Macron annonçait un projet ultra libéral pour l’Ecole. Rien de moins que doter les écoles de super managers ayant le pouvoir de choisir les enseignants et de leur imposer un projet pédagogique qu’ils devraient suivre. Bien sur, tout cela sous l’angle de l’expérimentation et pour un nombre (presque) limité d’écoles. Mais les expérimentations présidentielles ont une fâcheuse tendance à se transformer en généralisation. Après 3 années d’hésitation, Emmanuel Macron venait de donner le signal à JM Blanquer qu’il pouvait aller au bout de ses projets de transformation de l’Ecole.
La sort des directeurs d’école résume bien cela. Il y eut la tentative d’imposer via un amendement un vrai chef d’établissement dans les écoles avec la loi Blanquer en 2019. Mais finalement l’Elysée fait reculer JM Blanquer et l’amendement disparait. En 2020, on remet cela. Il y a la proposition de loi Rilhac. Mais au dernier moment c’est de nouveau machine arrière toute avec une mémorable séquence de striptease législatif. 2021 la majorité de droite du Sénat renvoie la balle. Et Macron l’accepte. Cela aboutit au nouveau statut des directeurs, bien mieux dotés en autorité qu’en moyens, qui deviendront seuls maitres à bord avec la disparition programmée des IEN.
Dans la foulée, JM Blanquer accélère tous ses projets. On annonce la disparition des inspecteurs généraux en tant que corps et leur remplacement par des emplois fonctionnels (encore !) bien à la botte du ministre. Ce ne sont pas eux qui oseront dire la vérité au châtelain de la rue de Grenelle et lui conseiller une autre politique. JM Blanquer réforme la formation des enseignants en copiant sur la réforme Chatel. A nouveau la France est le pays qui envoie les nouveaux enseignants tout droit en classe à temps complet. Pas besoin d’être formé pour enseigner. Par contre les professeurs en lycée doivent rendre des comptes sur leur évaluation et se soumettre aux prescriptions tatillonnes du ministère qui n’hésite pas à empiéter sur la liberté pédagogique. Pour couronner l’édifice le ministre dénonce à l’opinion les enseignants soupçonnés de faire des cours pas assez laïcs.
C’est que JM Blanquer n’hésite pas à chasser sur les terres de l’extrême droite. D’un coté Blanquer, de l’autre Zemmour. Lui aussi a des idées sur l’Ecole. Il a même son équipe pour réformer à son tour l’Ecole. D’un coté l’école ultra libérale de Macron. De l’autre l’idéologie brune sur l’Ecole. Entre les deux on manque sérieusement d’air…
Oui, on s’est bien trompé. Cette année ne va pas être un tunnel dont il suffirait d’attendre la sortie. Cette année va être d’abord une suite de combats contre deux adversaires : le New Public Management dans sa version ultra libérale et l’Ecole du tri autoritaire. On ne va pas échapper au combat pour sortir du tunnel. Mais aujourd’hui on cherche encore l’issue.
François Jarraud