2000 classes de primaire, collège et lycée étudient le comportement du Physarum polycephalum, plus communément connu sous le nom de blob. Avec l’appui du CNES – Centre National d’Études Spatiales – et du CNRS, les classes participantes sont invitées à mener la même expérience que celle menée en micropesanteur par Thomas Pesquet à bord de l’ISS, la station spatiale internationale. Thomas Héniart et Bruce Demaugé-Bost, tous deux enseignants de cycle trois, l’un à l’école Notre Dame de la Paix de Calmont (Haute Garonne), l’autre à l’école élémentaire REP+ Federico-García-Lorca de Vaulx-en-Velin (Rhône), ont inscrit leurs élèves, transformés le temps d’une année scolaire en apprentis scientifiques du CNRS.
Thomas Héniart : Un travail sur l’espace
Dans sa classe, avec ses 19 élèves, c’est dans le cadre du thème annuel de l’espace que Thomas inscrit ce projet. « Nous avons commencé par des lectures documentaires sur le blob, mais aussi sur ce qu’est une démarche expérimentale. Lorsque les élèves ont compris qu’on allait nous-mêmes mener l’expérience, ils étaient super motivés. Ils ont pu manipuler les boites de pétri et les pipettes. C’était une première pour quasiment toute la classe. Maintenant que nous avons terminé les expériences « officielles », nous allons profiter de la dernière semaine avant les vacances pour concevoir notre propre protocole expérimental et tenter d’approcher une réponse à une question des élèves : est-ce que les blobs se dirigent en premier vers les plus gros flocons d’avoine qu’on leur donne à manger ? Ce sera l’occasion de les mettre dans le rôle de chercheurs. J’espère qu’ils obtiendront des résultats concluants ».
Bruce Demaugé Bost : Une initiation à la démarche scientifique
Pour Bruce, travailler sur les blobs n’est pas nouveau. Déjà en 2017, à la suite de la lecture du livre d’Audrey Dussautour « Tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur le blob sans jamais oser le demander », il avait proposé à sa classe d’élever des blobs. Avec ses 24 élèves, il a donc renoué avec ces petites créatures unicellulaires. « J’ai retrouvé avec plaisir le soin que certains d’entre eux peuvent prendre de leur boîte de pétri, la recherche de noms amusants – Blob Marley, Dumbleblob, Blob l’éponge, Voldeblob, Harry Blobber…-, le test de différents aliments, la gestion des tentatives d’évasion des blobs – qui adorent sortir de leur boîte, les échanges sur l’anthropomorphisme et ses limites… Au passage, cela nous a permis de vérifier l’importance du lavage des mains car la gélose d’agar-agar sur laquelle le blob se déplace facilement ne pardonne guère les contaminations : on en est quitte pour récupérer le demi-blob d’un camarade plus soigneux. On a finalement affaire à une sorte de Tamagotchi 2.0 que l’on peut rendormir, sous forme de sclérote, et, avec un peu de chance, réveiller quelques semaines plus tard, tout en s’initiant en douceur et avec un imprescriptible droit à l’erreur à la méthode scientifique, sur un sujet inconnu de la plupart des adultes ». En complément des expérimentations proposées par le CNRS, Bruce et ses élèves ont placé quatre sclérotes dans une boîte en carton équipée d’un smartphone qui prenait des photographies toutes les dix minutes pendant une semaine. « Nous avons pu ainsi observer la poussée, les déplacements et le retour à l’état de sclérote des quatre blobs, en essayant de nous rapprocher du protocole utilisé par Thomas Pesquet dans l’ISS. Dans deux boîtes de Petri les blobs n’avaient rien à manger et dans les deux autres ils pouvaient se déplacer d’un flocon d’avoine à un autre ». Tout comme les élèves de la classe de Thomas, les cycles trois de Bruce ont pu échanger avec les autres classes investies dans le projet #ElèveTonBlob.
Mais un blob, c’est quoi ?
« Le blob est un être vivant, ni animal, ni végétal, ni champignon formé d’une unique cellule comportant une grande quantité de noyaux. Présents partout dans le monde et apparus sur terre bien avant les dinosaures, ces myxomycètes se rencontrent essentiellement dans les zones sombres et humides. Ils sont souvent confondus avec des champignons ou pris pour des « moisissures ». Ils y ressemblent d’ailleurs vaguement – ceux sur lesquels nous travaillons sont jaunes et sentent le sous-bois. Mais une moisissure qui serait capable de se déplacer de plusieurs centimètres par heure, de doubler de taille chaque jour et de choisir entre plusieurs sources de nourriture celle qui lui convient le mieux – voire de changer de régime alimentaire si elle se trouve en danger. Le blob peut être scindé en de multiples morceaux capables de refusionner ensuite, parvient à apprendre, à supporter quelque chose qu’il n’apprécie pas et même à transmettre cette “connaissance” à d’autres congénères. Tout ceci sans cerveau… Ce qui est matière à réflexion. Souvent, je dis à mes élèves que, lui, il a réussi à aller dans l’espace, sans cerveau non plus… Comportant 720 types sexuels, il lui est possible de se reproduire de façon particulièrement optimisée puisque 719 rencontres de spores sur 720 sont susceptibles de donner naissance à un nouvel individu. Le blob est virtuellement immortel puisqu’il lui est possible, dans de bonnes conditions, de se dessécher sous la forme d’un sclérote que l’on peut raviver avec un peu d’eau jusqu’à deux ans après sa métamorphose pour le voir « ressusciter » en pleine forme. Les tardigrades n’ont qu’à bien se tenir… » résume Bruce.
Un projet chapeauté par le CNRS
« Faire une expérience en classe sur une moisissure, ça vous tente ? Et si nous le présentons ainsi : voir grandir et se nourrir un être étrange aux propriétés impressionnantes et comparer vos observations avec les résultats obtenus par l’astronaute français Thomas Pesquet à bord de la station internationale. C’est mieux ? » peut-on lire sur le site du CNRS appelant les enseignants à inscrire leurs élèves. Un appel qui a rapidement fait écho dans les écoles et les établissements du second degré, nombreux sont ceux qui n’ont pu s’inscrire à temps. Sous la responsabilité d’Audrey Dussautour, directrice de recherche au CNRS et grande spécialiste du blob, le projet « élève ton blob » a permis l’envoi de kits contenant chacun quatre blobs – de la même souche que celle envoyée à bord de l’ISS – et deux protocoles expérimentaux à chacune des 2000 classes participantes. « Le premier testera les capacités d’exploration du blob, placé sur du papier filtre dans une boîte de pétri, sans nourriture. Les élèves devront photographier régulièrement le blob pour en mesurer la structure et le déplacement. Avec quatre flocons d’avoine – que le blob adore – déposés à équidistance, le second protocole permettra d’apprécier les mêmes paramètres quand le blob choisit une stratégie pour se nourrir efficacement » explique la directrice de recherche sur le site du CNRS.
Une expérimentation en deux temps
« Il s’agit de deux expériences baptisées « exploration » et « exploitation ». La première consiste à observer le comportement d’un blob dans une boite de pétri à la recherche de nourriture. La seconde, porte sur le développement du blob quand il exploite plusieurs sources de nourriture. L’avantage, c’est que le blob se développe extrêmement rapidement et que l’on peut observer les premiers résultats en moins de 24h. Cependant, c’est un organisme parfois capricieux qui préfère les milieux sombres et humides. Il a donc fallu lui prévoir un espace dédié à l’intérieur d’un carton pour qu’il se réveille dans de bonnes conditions » explique Thomas. Grâce à Twitter, et à l’hashtag #elevetonblob, les élèves de Thomas et Bruce, et des autres classes participantes, peuvent régulièrement discuter et comparer leurs résultats. « Nous avons également pu poser nos questions à Audrey Dussutour qui y a très gentiment répondu. Beaucoup de classes ont fait l’expérience cette semaine car c’est le moment prévu pour la publication des premiers résultats obtenus dans l’ISS. Cela permet d’être dans l’actualité. En réalité, on a quelques semaines de délai pour réaliser les expériences ou se lancer dans d’autres manipulations qui sont également proposées. Une mise en commun des résultats obtenus dans les classes participantes est prévue et le CNRS devrait publier les résultats une fois qu’ils auront été passés en revue » ajoute Thomas.
Élève ton blob est donc un projet particulièrement riche mais aussi propice à une entrée dans les apprentissages par l’expérimentation. Évidemment lié aux sciences en cycle 3, les deux enseignants nous expliquent travailler aussi la lecture et la production d’écrits, en rédigeant le compte-rendu d’expérience par exemple. « Certains élèves se sont retrouvés surpris de devoir faire de la géométrie pour tracer les cercles sur les papiers filtres que l’on devait découper pour mettre dans les boites de pétri. C’est un projet qui invite à la curiosité et au transfert de compétences, et je pense que nous sommes encore loin d’en avoir fait le tour… » conclut Thomas.
Lilia Ben Hamouda