Lors de la deuxième journée du colloque, Pascale Garnier, du laboratoire Experice de l’Université Sorbonne Paris Nord, est intervenue lors d’une conférence sur l’école maternelle, ses enjeux et son devenir. Alors que l’école maternelle a subi des bouleversements sous ce gouvernement – obligation d’instruction puis de scolarisation, changements de programme, la chercheuse revient sur la construction historique de cette spécificité française. Et, d’entrée de jeu, elle prévient, « ma parole n’est pas celle de l’institution. Elle est nourrie par de nombreuses recherches autour et dans l’école maternelle. Se reposer sur les travaux scientifiques permet de ne pas focaliser le regard sur un domaine d’apprentissage mais de considérer l’école maternelle dans ses situations concrètes ».
Petit retour sur l’évolution historique du rôle de l’école maternelle
Au début du 20ème siècle, l’école maternelle, appelée aussi salle d’asile, accueillait principalement des enfants issus de milieux populaires. Elle jouait un rôle social, où l’instruction était aussi importante que l’acquisition des gestes d’hygiène. Il y avait aussi une forte hiérarchisation entre les enseignantes – uniquement des femmes de milieu intellectuel et le personnel communal qui, lui, appartenait au milieu populaire.
A partir des années 50, une nouvelle image de l’école maternelle se dessine. Même si l’apprentissage de l’hygiène reste très important, des activités plus culturelles et artistiques – telles que la peinture – émergent. L’école se centre plus sur l’enfant, et bénéficie d’un corps d’inspection spécifique dès la fin XIXème.
Puis, l’école maternelle, qui jusqu’aux années 60 s’adressait essentiellement à des enfants de milieux populaires, se transforme en une école plus attentive aux questions liées à l’enfant et forme plus spécifiquement les institutrices qui y enseignent.
A partir des années 80, elle devient une école de plein exercice. Plein exercice avec un curriculum plus axé sur disciplines scolaires, tels que le langage ou encore les mathématiques ; disciplines fléchées comme les plus importantes pour la réussite des élèves. Et c’est un changement de paradigme, « L’enseignant accompagne le développement de l’enfant dans un premier temps, le sollicite pour des apprentissages ensuite ». Une école de plein exercice aussi du fait de son positionnement dans le champ des institutions scolaires, avec une relation maternelle/élémentaire renforcée, un cycle – en 1989 – à cheval sur les deux écoles et une rupture nette avec la petite enfance. On pensait jusque lors que l’école maternelle était un lieu de préscolarisation, elle devient une école à part entière, la petite enfance ne concernant plus que les 0-3 ans. Et pour finir, une école de plein exercice avec l’apparition de l’évaluation. Évaluation des élèves avec l’arrivée des livrets, des attendus de compétences en fin de cycle, mais aussi des effets scolaires de cette scolarisation sur la scolarité future.
« Ces différents éléments vont dans le sens d’une scolarisation de l’école maternelle et la disparition, dans le même temps, d’un corps spécifique d’inspection maternelle finit de faire de cette école, une école de plein exercice ». L’instruction obligatoire, puis la scolarisation obligatoire décrétées par le gouvernement Macron couronnent cet effet de scolarisation.
Une école construite sur des mythes et que l’on ne nous envie pas
Souvent décrite comme une école que tout le monde nous envie, une forme de modèle exemplaire de la préscolarisation, cette image est en fait le fruit d’une construction des inspectrices de la maternelle sur la scène internationale. « Dans un contexte post seconde guerre mondiale, la maternelle est le fer de lance d’une école française réputée ». Dans les années soixante-dix, l’accueil préscolaire se développe aussi à l’étranger, un développement concomitant à l’arrivée des femmes sur le marché du travail mais aussi de l’évolution de la place sociale des enfants.
Les organisations internationales, telles que l’OCDE, commencent à promouvoir et comparer les différentes formes d’accueil préscolaire, et l’intérêt de l’école maternelle française va être fortement relativisé. Dans une grande majorité des pays, l’accueil commence dès un an – comme en Norvège où près de 85% des enfants d’un an sont en collectivité. En effet, là où en France, on considère que la petite enfance couvre les trois premières années de l’enfant, au niveau international, ce sont les six premières années, l’OCDE allant même jusqu’aux huit ans de l’enfant.
Et les critiques à l’encontre de l’école maternelle ne s’arrêtent pas aux frontières françaises. En France aussi, les conditions de l’accueil des enfants font débat. Le défenseur des droits a très récemment pointé le manque de formation spécifique dont bénéficient les professeurs et professeures des écoles de l’école maternelle. Autre élément de critique, le ratio enseignant/élèves, trop d’enfants pour un seul enseignant. Et pour finir, il existe un vif débat sur la finalité de la maternelle. Doit-elle accueillir ? éduquer ?
L’école maternelle produit de l’échec scolaire
Autre mythe, l’école maternelle, outil de lutte contre l’échec scolaire. « C’est un vieux discours, l’école maternelle compenserait les inégalités, fortes, au début de l’école élémentaire. Il s’agirait de travailler en amont de la scolarité obligatoire afin de mettre tous les enfants au même niveau ». La politique des Zones d’éducation prioritaire a renforcé cette idée avec l’appel à une scolarisation précoce dès deux ans, le discours actuel du gouvernement sur l’instruction obligatoire surfe aussi sur cette idée.
Ce mythe, ce sont les recherches scientifiques qui le déconstruisent. En effet, les études quantitatives ne font pas état d’un rôle compensatoire de l’école maternelle. Elle est bénéfique pour tous les élèves mais ne joue pas de rôle compensatoire pour ceux de milieux populaires et/ou migrants. Pire. On se rend compte, dans les recherches qualitatives, que les enfants scolarisés en REP sont ceux que l’école, avec ses exigences, va le plus mettre en difficulté dès l’entrée de la maternelle.
Une école pas vraiment nationale
Il existe aussi d’énormes disparités et inégalités de scolarisation en fonction du lieu d’implantation de l’école maternelle. Au niveau des enseignants, avec des enseignants ayant des carrières très différentes selon le lieu d’exercice – les enseignants les plus jeunes se retrouvant majoritairement sur des territoires en difficulté, mais aussi des enseignants non remplacés pendant des jours, si ce n’est des semaines, sur les mêmes territoires.
Autre disparité, la grande diversité de budget et de locaux, qui dépendent exclusivement des municipalités. Ainsi difficile de comparer une école maternelle dans un quartier bourgeois parisien et une école maternelle d’une zone ségréguée du 93.
Autre point d’inégalité, les mobilisations familiales. Selon les milieux, il existe une course pour la précocité des performances scolaires et enfantines. Alors que la maternelle était censée préparer à l’école élémentaire, il s’agit maintenant de préparer à l’entrée à l’école maternelle dans certains milieux.
Les défis de l’école maternelle
L’entrée à l’école maternelle est réputée « périlleuse » pour certains enfants, particulièrement ceux de milieux populaires et migrants. Mieux accompagner la transition entre l’espace familial et l’école est donc un enjeu de taille. Les transitions dans la journée de l’enfant sont aussi des moments de rupture. « Aujourd’hui, l’enfant, selon le moment de la journée est accompagné par l’enseignante, par l’ATSEM, par un animateur. Il faut une meilleure communication entre ces différents acteurs ». La transition maternelle-élémentaire doit être beaucoup mieux pensée, « l’école maternelle prépare à l’école élémentaire mais l’élémentaire doit accueillir tous les enfants ».
Autre enjeu, mieux former les enseignants de maternelle en leur donnant « une formation digne de ce nom, formation lors de laquelle on forme à accueillir les enfants et les familles dans leur diversité. Le plurilinguisme, par exemple, doit être perçu comme un atout ».
Et pour finir, il s’agit de tenir compte de l’enfant avant l’élève, de prendre en compte son vécu et sa réalité. « Il faut penser l’enfant avant l’école car, qu’on le veuille ou non, l’école reproduit les inégalités sociales. Il faut donc travailler sur la forme scolaire pour qu’elle puisse prendre en compte l’individu enfant comme sujet de son devenir »
Lilia Ben Hamouda
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