« Si on passe à l’Education nationale ce sera le pot de terre contre le pot de fer ». Nathalie Delattre (RDSE) et Jean-Marc Boyer ont présenté le 5 octobre un rapport sur l’enseignement agricole en forme de plaidoyer. Les rapporteurs demandent un « nouveau projet stratégique » pour l’enseignement agricole et le gel des suppressions de postes dès 2022. Faisant l’impasse sur le développement du privé hors contrat et sur la concurrence du privé sous contrat, les rapporteurs ont rendu l’Education nationale responsable de la crise de l’enseignement agricole. Notamment la réforme du lycée qui ne serait qu’une « opportunité pour Bercy d’économiser des emplois ».
Un enseignement agricole en crise grave
« On a fait ce rapport pour que le ministre s’empare de ce combat », explique Nathalie Delattre, rapporteure de la Mission d’information sur l’enseignement agricole. Julien Denormandie, ministre de l’agriculture, est présenté comme incapable de défendre les intérêts de l’enseignement agricole au moment où « sa survie est en jeu ».
Le bilan dressé par les sénateurs c’est celui d’un système d’enseignement performant, obtenant de meilleurs résultats aux examens que l’Education nationale et inspirant celle ci qui y aurait copié le controle continu ». En fait il semble que les sénateurs confondent contrôle continu et contrôle en cours de formation, les syndicats enseignants de l’enseignement agricole se plaignant de la substitution de l’un par l’autre avec la réforme du lycée.
Malgré ces taux de réussite, l’enseignement agricole a perdu 11% d’élèves en 10 ans. Celle ci s’accompagne de la suppression de nombreux emplois enseignants qui aujourd’hui empêchent les ouvertures de classes et mettent en danger la survie des établissements et du maillage territorial. Dans les établissements ils se traduisent aussi par l’élévation du seuil des dédoublements mettant certaines formations en danger et impactant le modèle pédagogique spécifique aux établissements agricole. Le budget 2022 aurait du compter 110 suppressions de postes. La mission se félicite de voir que le budget proposé n’en compte plus que 16.
Le danger éducation nationale
Pour expliquer cette chute des effectifs, les syndicats de l’enseignement agricole public mettent en avant la concurrence du privé hors contrat, notamment les Maisons familiales rurales (MFR) et d’un nouveau secteur hors contrat dont le projet Hectar, proche de l’Elysée. Si les rapporteurs évoquent la concurrence entre enseignements privé et public agricoles, ils ne se sont pas intéressés au privé hors contrat et spécialement à Hectar.
Pour la mission d’information, le vrai danger c’est « la concurrence avec l’Education nationale qui fragilise le réseau » de l’enseignement agricole. L’éducation nationale ouvrirait des formations équivalentes systématiquement à proximité des établissements agricoles. Elle n’orienterait dans l’enseignement agricole que des élèves en échec scolaire. Et elle n’informerait pas les élèves sur les filières et métiers de l’agriculture.
La mission pointe aussi la réforme du lycée. « Le contenu même des enseignements proposés est désormais remis en cause. Deux exemples illustrent cette atteinte au coeur même de l’enseignement agricole : La mission d’information constate qu’en 2020, année de déploiement de la réforme du lycée, 54 ETP ont été supprimés chez les enseignants. La suppression de 58 ETP d’enseignants supplémentaires est votée dans la loi de finances pour 2021. En raison d’une dotation horaire globale insuffisante, les chefs d’établissement se voient contraints de ne proposer qu’une seule « doublette » de spécialité en terminale. Certains établissements font le choix de proposer deux doublettes de spécialité, au détriment des enseignements optionnels qui ne sont alors plus financés… Plusieurs proviseurs de LEGTA ont constaté une baisse sensible de leurs effectifs de seconde GT lors des deux dernières rentrées et ils s’inquiètent pour la rentrée 2020 […]. Les chefs d’établissement attribuent principalement cette diminution à l’offre trop réduite d’enseignements de spécialité. En effet, les familles ont la préoccupation de permettre à leur enfant d’accéder au maximum de choix en fin de seconde GT. Elles ont donc tendance à choisir, pour l’admission de leur enfant en seconde GT, le lycée de secteur qui proposera un panel nettement plus large que celui du LEGTA ».
Autre exemple : « La réforme des seuils de dédoublement, entrée en vigueur à la rentrée 2019, conduit à des groupes d’élèves plus importants. Outre la remise en cause de la spécificité d’un enseignement en petit groupe, permettant un meilleur accompagnement du jeune – qui est l’une des forces de l’enseignement agricole –, celle-ci a conduit certains établissements, selon le SNETAP-FSU, à mettre fin à des travaux pratiques sur grands animaux pour des raisons de sécurité ». Pour les rapporteurs la réforme du lycée « est une opportunité pour Bercy d’économiser des emplois ».
La mission pointe aussi la réforme de l’enseignement professionnel. En passant du bac pro en 4 ans à 3 ans on a diminué le nombre d’élèves. La réforme de l’apprentissage a aussi atteint le financement des établissements agricoles car elle favorise les grosses structures avec le paiement au contrat.
La conséquence de ce déclin c’est que l’enseignement agricole ne produit pas le nombre de diplômés nécessaire au renouvellement des générations d’exploitants agricoles. « On n’a que 13 000 installations d’exploitant par an alors que 200 000 vont partir d’ici 2018 ».Pour les rapporteurs, il en va de la souveraineté alimentaire nationale et aussi de la transition agro-écologique que le pays doit entamer.
Mieux communiquer pour sauver l’enseignement agricole ?
Les recommandations sont pourtant en deçà de ce qu’exigerait un tableau aussi sombre. Le rapport préconise de maintenir l’enseignement agricole distinct de l’éducation nationale, où il se perdrait. Il demande un « nouveau projet stratégique pour l’enseignement agricole », une formule qui pourrait amener du dynamisme dans un secteur en danger. Ce projet, le rapport voudrait qu’il soit développé avec l’Education nationale, les régions et les branches professionnelles. Dans l’immédiat, le rapport demande le gel des suppressions de postes et une réévaluation des moyens humains des établissements.
Les principales recommandations concernent l’orientation vers l’enseignement agricole. Les rapporteurs voudraient qu’en 4ème et 3ème tous les élèves reçoivent obligatoirement une information sur l’enseignement agricole avec en plus la visite d’un proviseur de lycée agricole public et d’un responsable de MFR dans chaque classe. C’est par cette campagne de promotion que les rapporteurs veulent sauver l’enseignement agricole. Celui ci serait renommé « enseignement agricole, des sciences du vivant et des territoires » et ses diplômes recevraient de nouvelles appellations. Les rapporteurs souhaitent aussi en finir avec l’agrobashing en féminisant les formations et en mettant l’accent sur le bien être des agriculteurs.
La crise de l’enseignement agricole est elle soluble dans le marketing ? Début septembre, le Snetap Fsu s’inquiétait plutôt des moyens du secteur privé au moment où les établissements publics ne peuvent plus ouvrir de classes.
François Jarraud