Toujours dans une démarche d’analyse et de l’évaluation des pratiques, l’OZP ouvre un chantier sur la formation des personnels de l’éducation prioritaire. Mercredi 29 septembre, Marc Bablet, membre du conseil scientifique de l’association, présentait les résultats d’une large enquête à laquelle ont répondu 996 personnels lors de la précédente année scolaire. Patrick Picard, ancien responsable de l’Ifé, a, quant à lui, donner des pistes de réflexion sur ce qu’est une formation réussie et un bon formateur.
Une offre de formation loin des préconisations de la refondation de l’EP en 2014
L’enquête a volontairement eu lieu en période de crise sanitaire, comme l’explique Marc Bablet. « Il nous fallait savoir comment cette année, concernée par la crise sanitaire, avait permis ou non que soit maintenu un bon niveau de formation en éducation prioritaire car dans la suite de la refondation de 2014, nous considérons que la formation est une des clefs d’une évolution positive de la prise en compte des besoins des élèves des milieux populaires. Si l’on peut comprendre que la crise sanitaire impacte le système éducatif on aurait aussi pu espérer que la priorité à l’éducation prioritaire soit renforcée dans cette période car on sait que cette crise a un impact fort sur les conditions d’apprentissage des élèves des réseaux d’éducation ». Et en effet, les résultats de l’enquête montrent une absence de priorité donnée à la formation en éducation prioritaire. Plus d’un quart des répondants indiquent ne pas avoir eu de formation départementale ou académiques dédiées à l’EP, et un autre quart avoue ne pas savoir. Et ce qui indiquent qu’il y en avait sont soit IEN, soit formateurs EP ou encore coordonnateur de réseau… Les enseignants, les directeurs et les directrices répondent dans la grande majorité ne pas être informés de l’existence de formations dédiées à l’EP.
Lorsqu’elles ont lieu, les formations sont dans leur très grande majorité consacrées au français et au mathématiques. Elles ont aussi concerné particulièrement les enseignants en classe dédoublées de cycle 2. Lorsque les répondants sont interrogés sur la manière dont la formation répond aux besoins spécifiques de l’éducation prioritaires, il apparaît que nombreux sont ceux qui dénoncent le peu de d’apport réel et en rapport avec les besoins et les pratiques du terrain. Difficile de ne pas en déduire que l’offre de formation est calquée sur les décisions ministérielles et non sur les besoins ressentis par les principaux concernés, les enseignants et leurs élèves. Et c’est là une orientation à l’opposé de ce que préconisait la refondation de l’éducation prioritaire en 2014. « Tandis que la refondation plaidait pour des formations à l’initiative des terrains en appui sur des formateurs dédiés et sur des relations fortes avec la recherche, il s’agissait de savoir comment, et jusqu’à quel point, les directives ministérielles relatives aux dédoublements et aux plans français et mathématiques imposaient les thématiques plutôt que de les faire émerger des travaux locaux en fonction de besoins révélés par la pratique enseignante. Il apparaît assez clairement que les pratiques recommandées dans le cadre de la refondation ont été mises de côté́ au profit d’autres conceptions de la transmission d’objectifs et de pratiques » analyse Marc Bablet.
Une offre de formation par les réseaux quasi inexistante
Du côté des formations organisées au niveau des réseaux d’EP, là encore, c’est la déconvenue. Plus d’un tiers des répondants assurent qu’il n’y en a pas eu. « De nombreux collègues parlent de formations annulées du fait de la crise sanitaire ». Pourtant, comme le souligne Marc Bablet, « dans certains réseaux des formations ont eu lieu. Ceci confirme que cela aurait été possible assez largement si la formation en éducation prioritaire avait constitué une priorité ministérielle ». À l’initiative des IEN, et de leurs équipes, lorsqu’elles ont lieu, les formations, là encore, étaient principalement axées sur les plans français et maths ainsi que sur les classes dédoublées. « On voit clairement une dominante des thématiques nationales descendantes établies dans les plans ministériels » en conclut M. Bablet. Dans une question ouverte, une cinquantaine de répondants ont fait part de leur désarroi face au manque de formations spécifiques à l’EP. Ils dénoncent le manque de moyen de remplacement permettant la tenue de ces formations mais aussi celui de la place de l’apport la recherche – pourtant riche sur l’EP – dans celles-ci.
Parler les controverses pour construire un contrat de collaboration
Pour Patrick Picard, la difficulté de la mise en place d’une bonne formation réside dans la pluralité des acteurs, « tout le monde n’est pas d’accord sur ce qu’il faut faire pour que cela aille mieux. Ainsi l’objet de la formation ne va pas de soi. Mais ces conflits, ces tensions sont nécessaires. Si les controverses sont parlées, la collaboration est possible. Travailler sur les tensions est inévitable pour construire un véritable contrat de collaboration car la confiance n’est pas un préalable mais une conséquence de la bonne prise en considération de la controverse ». Le chercheur termine son propos en donnant les clés d’une formation réussie. « La formation doit s’appuyer sur les besoins et identifier les problèmes – qui sont différents des besoins – afin de problématiser les enjeux de celle-ci. Il s’agira ensuite de comprendre les problèmes auxquels sont confrontés les enseignants en ramenant le réel en formation, travailler à comprendre la nature des difficultés des élèves, ce qui est loin d’être simple. Pour arriver à faire tout cela, le formateur doit arriver à mettre les mots, aider à analyser, expliciter, apporter des éléments de réflexion puis du contenu pour ne pas laisser les stagiaires tourner à vide. Finalement, être un bon formateur, c’est passer beaucoup de temps à essayer de mieux comprendre ce que l’on fait, ce que l’on gagne et ce que l’on perd lorsque l’on passe de l’origine de la difficulté à la nature de la difficulté ».
Pour l’Observatoire des zones prioritaires (OZP), l’enquête permet de rester optimiste. En effet, même si elles ont brillé par leur absence, les acteurs savent reconnaître les éléments constitutifs de bonnes formations, ce qui est déjà une grande avancée depuis 2014. « Nos répondants appuient leurs analyses et réflexions sur une conception désormais dominante de la formation souhaitable. Une bonne formation est une formation qui est construite en appui sur une analyse des besoins des élèves pour apprendre et des enseignants pour enseigner. Elle est menée par des professionnels de la formation qui apportent vraiment une valeur ajoutée en connaissant leur sujet en relation avec les questions pédagogiques posées. Et, pour finir, elle articule des apports de qualité, notamment issus de la recherche, et des mises en œuvre avec des essais en classe et des retours réflexifs à partir de cette mise en œuvre ».
Lilia Ben Hamouda