Dans les Pyrénées orientales, un département pourtant attractif, le nombre des démissions d’enseignants est multiplié par dix en deux ans. Le Snuipp local invoque une gestion désastreuse des personnels. Au delà de ces signaux inquiétants que sait-on de la crise du recrutement ?
Explosion des démissions dans les Pyrénées orientales
« Les chiffres sont sans appel : alors qu’aucun.e professeur.e des écoles n’avait démissionné en 2016/2017 ni en 2017/2018, elles étaient deux en 2018/2019, quatre en 2019/2020. Cette tendance prend un nouveau tour cette année dans le département des Pyrénées-Orientales : ils et elles seront 19 à quitter le métier en 2020/2021 ! », écrit le Snuipp Fsu des Pyrénées orientales. Résultat, dans ce département pourtant particulièrement attractif, alors que le nombre de places au concours de professeurs des écoles a diminué, pour la première fois le département est déficitaire en postes. 20 postes ne sont pas pourvus.
Le syndicat met en cause la gestion de l’Education nationale. « Lourdeur des tâches administratives, injonctions hiérarchiques et pédagogiques, manque de reconnaissance, déclassement salarial, remise en cause de leur professionnalité par tout un tas de « sachants » qui n’ont jamais vu un élève de près ou de loin, perte de sens du métier pour lequel ils s’étaient engagés… La nouvelle gestion des personnels de l’Education Nationale n’est pas étrangère à cette pluie de démissions. En effet, les enseignant.es du premier degré des P.O. se voient opposer des refus à toutes leurs demandes. Travailler à temps partiel ? C’est non. Demander une mise en disponibilité ? C’est non. Trois d’entre eux se sont même vu refuser un départ par rupture conventionnelle ! »
Le nombre des démissions, même s’il reste relativement faible, n’a cessé d’augmenter depuis 2012. Une étude de la Depp signale 399 démissions en 2012-13, 1002 en 2015-16 et 1417 en 2017-18. Elles touchent davantage les professeurs des écoles que le second degré et surtout les stagiaires. En 2017, 3% des stagiaires ont démissionné contre 0.3% des titulaires ayant moins de 5 ans d’ancienneté et 0.1% pour ceux qui ont plus de 5 ans. Avec les mises en disponibilité, autre échappatoire, 6% des stagiaires n’étaient pas en poste à la rentrée 2018.
Des formations qui ne font plus le plein
Autre symptôme de la crise du recrutement , l’échec de la réforme de la formation des enseignants. Selon le Snes Fsu, on ne compterait que 70 « contractuels alternants » sur 140 à Bordeaux , 42 sur 69 à Limoges, 70 sur 300 à Créteil. Ces « contractuels alternants » préparent les concours de recrutement (repoussés d’une année) en prenant en charge une classe à hauteur de 6 heures hebdomadaires.
Des postes non pourvus aux concours
Troisième symptôme, les postes non pourvus. Près de 300 postes n’ont pas été pourvus au capes externe 2021. C’est le cas particulièrement en lettres classiques, où il manque la moitié des enseignants, en allemand et en maths. Une centaine de postes ne sont pas pourvus aussi chez les PLP par exemple en biotechnologies. Dans le premier degré tous les postes n’ont pas été pourvus à Créteil et Versailles.
La crise du recrutement résulte d’abord du manque d’attractivité des concours. En 2021 le capes externe ne compte que 30494 candidats inscrits contre 30 797 en 2020 et 33 490 en 2019. Comment expliquer cette situation ? Le ministre a beaucoup communiqué sur la revalorisation des enseignants. Du coup les candidats savent encore mieux qu’avant à quoi s’attendre. La modeste revalorisation en tout début de carrière ne cache plus l’écart de rémunération avec les carrières de la fonction publique ou du privé. Elle n’occulte pas l’absence de revalorisation pour la moitié des enseignants pour qui l’effort ministériel se résume à 150€ par an.
Les étudiants sont aussi sensibles à l’inversion de tendance qui a lieu depuis l’alternance de 2017 en ce qui concerne le nombre des postes proposés. Après des années où l’Education nationale a cherché à recruter un nombre important d’enseignants et crée 60 000 postes, on est passé à une chute brutale des postes proposés dans le 2d degré. L’Education nationale proposait 7315 postes au capes externe 2017, 7200 en 2015. Elle n’en propose plus que 5490 en 2020 et 5441 en 2021. Pour que les étudiants s’orientent vers les masters enseignement et se présentent aux concours il faut leur garantir des débouchés. Sans cela il est difficile de les faire entrer dans un tunnel de formation de 2 années.
La réforme de la formation des enseignants dégrade davantage encore la situation. Les étudiants en master meef ont pu encore en 2021 devenir fonctionnaire stagiaire pour leur seconde année de formation et être rémunérés. Cette possibilité disparait. Les futurs professeurs sont des étudiants ordinaires durant les deux années de master avec la possibilité d’avoir des stages rémunérés. L’écart entre le niveau exigé (master + concours plus sélectif) et la rémunération offerte ne peut qu’éloigner du métier davantage de candidats. La disparition du statut de fonctionnaire stagiaire joue particulièrement contre les candidats venus de milieu populaire.
Pourquoi la hausse des démissions ?
La hausse des démissions, même si elles sont peu nombreuses, frappe particulièrement car la France a toujours eu un taux très faible de démissions par rapport aux pays voisins (8% de démissions chez les enseignants au Royaume Uni). Dans une Note de 2020, la Depp lie cette hausse à la formation des enseignants notamment la lourdeur de la seconde année de formation.
Mais les entretiens que le Café a eus avec des enseignants démissionnaires et l’exemple anglais montre que la lourdeur du métier joue aussi. Trop de travail et trop de réformes reviennent régulièrement. Les pressions hiérarchiques, l’absence de soutien face à des parents revendicatifs également.
Le style de gestion amené par J Blanquer, avec ses violences lors des crises sociales, la violence avec laquelle les réformes sont imposées alors qu’elles sont très majoritairement refusées ne peuvent que renforcer les départs. Les années 2019 et 2020 ont été aussi marquées par de vraies ruptures éthiques dans la gestion du bac. Des enseignants ont l’impression que leur métier perd de son sens.
Jusque là, les avantages liés au statut de fonctionnaire expliquaient le relatif faible taux de démissions par rapport aux pays voisins. L’érosion salariale et l’aggravation des conditions d’exercice du métier poussent dehors davantage d’enseignants. Pour la première fois cette rentrée, sur Twitter, tous les jours au moins un enseignant signale qu’il s’en va. Et s’en félicite.
François Jarraud
Démissions en hausse à l’éducation nationale
La crise du recrutement au capes