Que la crise sanitaire se prolonge ou pas, l’école et la société vont être marquées par cette nouvelle configuration, faite d’incertitude et de remise en cause de l’existant. Pour y faire face, il a fallu que chacun transforme ses habitudes, acceptant les contraintes et développant de nouvelles compétences. Dans l’enseignement si le numérique s’est imposé comme moyen, c’est la question pédagogique qui a en réalité été questionnée. C’est en particulier la capacité d’ingénierie pédagogique de chacun des enseignants et personnels de l’Éducation Nationale. Or, force est de reconnaître qu’il y a eu d’abord des hésitations, des tâtonnements et surtout une difficulté face à l’inattendu. Bien sûr, la mise en avant des moyens techniques numériques par le ministère a été, au départ, porteur d’espoir, mais rapidement de désillusion : techniquement, il y avait encore beaucoup à faire… Mais surtout le ministère et les cadres intermédiaires n’avaient surtout pas envisagé les évolutions pédagogiques nécessaires pour permettre à tous les élèves et étudiants de passer le cap.
Il n’y a pas eu de rupture radicale
Les moyens numériques ont fait la une pendant les mois de crise sanitaire comme jamais auparavant. Ils sont apparus pour beaucoup d’entre nous comme une sorte de « bouée de sauvetage » face à la situation vécue. Publiée le 1 juillet par l’ARCEP, l’enquête du Credoc confirme cette analyse. En montrant qu’une étape avait été franchie en terme de « maturité » des utilisateurs, en particulier adultes, il n’ignore pas non plus la question des utilisateurs en difficulté (35% des déclarants au total) et de la nécessité aussi d’une vision durable de la question du numérique. A cela s’ajoute la place prise par les moyens numériques dans la construction et l’entretien de la vie sociale, des liens sociaux. Ce rapport soulève ainsi le problème d’une société qui n’est pas homogène face à ces instruments qui désormais font partie du quotidien de près de 90% de la population. Les missions de l’école ne sont bien sûr pas en dehors de ces questions et les pouvoirs publics (nationaux et locaux) poursuivent leur volontarisme en la matière.
Le premier effet, pour l’école, de la crise sanitaire est celui de l’équipement et de la connexion. La question des infrastructures est apparue comme essentielle, c’est peut-être ce qui a manqué dans le pilotage de la Direction du Numérique Educatif au cours de cette période. On peut aussi ajouter que sur le plan pédagogique, les acteurs de terrain se sont sentis très isolés et trop peu soutenus (plusieurs témoignages recueillis le confirment). Il n’y a pas eu de rupture radicale pour faire face à la situation et surtout son avenir. Les États Généraux du Numérique l’ont confirmé, tant leurs propositions étaient pauvres dans le domaine technique autant que pédagogique. Cela est d’autant plus dommage qu’au coeur des fiches (plus de 1200) remontées, il y avait matière à penser, matière à agir. Le deuxième effet de la crise a été de révéler que l’équipement personnel ne peut remplacer une vision institutionnelle (au moins actuellement) : à la maison, la situation a souvent été chaotique à double titre : technique (répartition des équipements) et pédagogique (accompagnement des enfants dans les apprentissages). Le troisième effet de la crise a été de révéler la place réelle de la distance dans l’acte d’enseigner : comment organiser à distance ce que l’on sait faire en présence, autrement qu’en tentant de transposer. Et, pourtant il y avait des savoir-faire présents dans les communautés éducatives depuis longtemps. On peut penser ici, pour l’enseignement supérieur, mais transposable au scolaire aux travaux menés autour de Hysup. Mais on a pu aussi remarquer les limites des propositions du CNED et les tentatives de colmatage aussi bien au travers de l’initiative Lumni que de celles plus locales au niveau des établissements.
Il est temps que le ministère sorte des incantations
La rentrée scolaire de septembre semble s’annoncer avec de bonnes intentions. Outre l’arrivée d’un « technicien » de l’informatique à la DNE, les personnels en responsabilité nous ont parfois fait part de leurs souhaits et intentions. On y trouve en particulier le développement des initiatives autour de PIX aussi bien pour les enseignants que pour les élèves. On remarque aussi la volonté d’organiser au niveau de l’établissement, quand ce n’est pas déjà fait, une commission numérique. Enfin, une prise de conscience autour des médias et de l’information semble se traduire par la volonté de renforcer les activités autour de ces questions.
– PIX semble être devenu un repère incontournable pour renforcer la place globale du numérique au sein des établissements. Indépendamment de son intégration (CRCN) dans les enseignements et dans la pédagogie, il s’opère une prise de conscience que ce dispositif constitue désormais un levier pour agir. C’est en amont même du pédagogique que se situe l’importance accordée à la nécessaire évolution des compétences numériques de tous les acteurs. Car c’est d’abord là que se trouve le problème : au côté des infrastructures matérielles souvent insuffisantes, il y a cette sorte d’infrastructure que constitue la maîtrise des différents aspects du numérique par les acteurs eux-mêmes.
– Coordonner, piloter, animer l’ensemble des personnels autour de la place à donner au numérique dans la vie de l’établissement suppose là aussi une infrastructure. La commission numérique au sein de l’établissement semble s’imposer autant que la redéfinition (contenu, forme et valorisation) des missions et actions des RUPN (secondaire) et des ERUN (primaire). Il a fallu faire face dans l’urgence et parfois la panique. Les responsables, dans les établissements, ne voudront pas revivre une telle situation. Il en va de la crédibilité globale de l’institution scolaire et universitaire.
– L’EMI s’inscrit dans la suite de nombreuses initiatives déjà anciennes (le CLEMI a été créé en 1982). Inscrite de manière dispersée dans les programmes et souvent négligée au quotidien, l’EMI est pris en fait dans sa propre complexité qui ne fait qu’augmenter avec le numérique. Entre l’instruction civique, l’éducation à l’image, et désormais l’EMC, il est difficile de définir un chemin pour l’EMI (que nous appelons EMIC (pour y introduire la dimension communicationnelle qui est le quotidien des utilisateurs comme le montre l’ARCEP). Le rapport remis par le CLEMI (juge et partie !!!) le 1er juillet « « Renforcer l’éducation aux médias et à l’information et à la citoyenneté numérique » , tente d’accentuer la pression sur le ministère. Toutefois ce rapport n’apporte pas vraiment de nouveautés, mais vise à légitimer la thématique : renforcer la place du CLEMI, inscrire davantage l’EMI dans le paysage scolaire (et renforcer la semaine de la presse), former et former… les enseignants et les formateurs, etc. Et surtout il met en avant davantage la dimension professionnelle (journalisme, médias) que la dimension personnelle (usage du smartphone, des réseaux sociaux etc.)
Si les établissements scolaires et leurs personnels ont fait et continuent de faire des efforts, il est temps que les structures académiques et nationales fassent de même. Il est temps que le ministère sorte des incantations, des redéfinitions des missions des opérateurs et autres restructurations internes pour s’intéresser au local et à ses réalités. Le projet « 4D » corrigé récemment par les sénateurs et qui se renommerait alors « 3DS » semble indiquer que la décentralisation pourrait se poursuivre de manière plus large. Malheureusement, le centralisme propre à notre culture nationale (largement partagée jusque dans les propos de certains syndicats) semble faire obstacle à de véritables avancées et dans le domaine l’éducation, est un bon révélateur…
Espérons qu’une autre « lettre de rentrée » nous sera proposée en fin aout afin de mieux baliser le terrain. Le ministre a rêvé de la fin de la crise sanitaire, le virus semble en décider autrement : fini le bon vieux temps ! Regardez plutôt ce qu’ont à dire les acteurs de terrain et amenez les à continuer d’inventer eux-mêmes la vie qui va avec !!!
Bruno Devauchelle