Il nous faut recharger nos batteries, nous reposer, récupérer, pour pouvoir repartir vers et à côté de tous ces jeunes. Et moi, pour ça, je vais faire des maths ». Le bilan de cette année particulièrement éprouvante se transforme, pour Claire Lommé, dans la perspective de nouveaux projets… à la rencontre des matheux !
Une année traumatisante ?
Mardi 6 juillet, jour de la fin des cours de l’année scolaire 2020-2021. En voilà, une année bien compliquée qui s’achève. Les interruptions scolaires, jauges et gestes barrières nous ont poussés une deuxième année de suite dans nos retranchements. Nous avons inventé, rafistolé, adapté autant que nous avons pu, avec succès au final, mais au prix d’une dépense d’énergie que, personnellement, je n’avais jamais éprouvée. Nous avons essayé de récupérer au plus vite et au mieux les élèves qui avaient décroché lors du confinement de l’année précédente. Nous avons insisté sur les méthodes de travail, en classe, à la maison. Nous avons tenté de recréer du lien avec les parents. Beaucoup d’entre nous se sont épuisés à la tâche.
Et puis il y a eu, tôt dans l’année, le meurtre sauvage de Samuel Paty. Un meurtre d’une violence inconcevable, sur fond de mensonges et de rumeurs. Un meurtre qui nous laisse traumatisés, hagards encore aujourd’hui, d’autant que rien n’a changé, qu’aucun enseignement ne semble en avoir été tiré. Un homme assassiné, une famille meurtrie, une expression de la barbarie, et puis voilà : on parle plus du crop top que de monsieur Paty.
Ce n’est pas un bilan joyeux. Nous pouvons espérer que la situation sanitaire s’améliore. Mais pour Samuel Paty, la seule chose que nous pouvons faire est de ne pas l’oublier et d’honorer sa mémoire, en portant haut les valeurs de notre métier, nos disciplines, notre éthique. Nous enseignons, soyons-en fiers. Nous contribuons à un projet de société, en permettant aux jeunes de s’élever vers la connaissance et la citoyenneté, en leur donnant les moyens de penser par eux-mêmes, de construire leur personnalité, leur pensée, leur autonomie. Il nous faut recharger nos batteries, nous reposer, récupérer, pour pouvoir repartir vers et à côté de tous ces jeunes.
Les maths en expo
Et moi, pour ça, je vais faire des maths. Bon, pas seulement, mais beaucoup. Je sais que certains parmi vous trouvent ça bizarre. Mais moi, voilà, j’adore. Avec mes maths, je respire, je m’évade, j’imagine, je rêve, je suis bien. J’ai trois projets en ligne de mire, pour faire des mathématiques estivales.
D’abord, je vais filer à l’exposition François Morellet au centre Pompidou : la dernière date de 2011 et je l’avais manquée : je ne connaissais pas François Morellet et son œuvre. Alors cette fois, en route ! Dix-huit œuvres pour mieux connaître un des artistes incontournables de l’abstraction géométrique : Morellet faisait de l’art avec des mathématiques dedans, de façon revendiquée et raisonnée : les formes géométriques, les concepts, le hasard, π… Ce « rigoureux rigolard » s’est nourri d’influences du monde entier, pour créer une œuvre extrêmement originale. J’ignore quelles œuvres seront présentées, mais j’imagine des prolongements en classe, si j’ai de la chance : François Morellet a réalisé de nombreuses œuvres basées sur π, comme une œuvre constituée de néon en quart de cercle, dont les extrémités de chacun « forment un angle » avec le suivant égal à dix fois chaque décimale de π. C’est très bien expliqué dans une des vidéos du centre Pompidou, et je trouve ça génial.
A la rencontre des matheux…
Ensuite, cet été sera celui des balades mathématiques. Dehors, le nez en l’air, à vivre les maths au quotidien, à dénicher les petites perles et les franches pépites qui balisent notre environnement. Les balades sont un formidable moyen de comprendre le regard de l’autre, d’envisager différemment villes et campagnes, de le faire partager : à la rentrée, je pourrai projeter des photos, proposer des résolutions de problèmes à mes nouveaux élèves. Lorsqu’ils auront compris le principe, nous sortirons dans le quartier du collège et ils cogiteront, débattront, prendront des photos et exploiteront le fruit de leur travail en le transmettant à d’autres classes.
Et puis cet été, je me forme : à l’ICME 14 (le 14e International Congress on Mathematical Education), qui se déroule à Shanghai et que je suivrai de mon bureau. Je vais apprendre et réfléchir… Et un peu plus tard, j’irai aux journées de La Société Belge des Professeurs de Mathématique d’expression française, en présentiel cette fois. Je vais découvrir et échanger ! Voilà deux événements complètement différents, qui me réjouissent autant l’un que l’autre.
C’est ma façon à moi de prendre l’air, tout ça : rencontrer des matheux (et des non matheux), chausser les baskets et marcher, aller chercher de nouvelles ressources ailleurs, en partageant tout cela avec ma tribu. L’été est le bon moment pour pratiquer mes mathématiques sans programme, sans sonnerie, librement… Équipée de ma toute nouvelle bouteille, cadeau d’un élève attentionné qui a bien compris ma passion :
Quelles que soient vos passions à vous, vos loisirs, vos rêves, profitez à fond de ce repos. Ressourcez-vous, vous aussi, pour aborder septembre sereinement et avec envie. Pour que tous ensemble, nous poursuivions ce projet commun qu’est l’enseignement de nos jeunes.
Claire Lommé