Faut-il cadrer réglementairement ou pas les heures de visioconférences des enseignants ? La question est portée par Béatrice Piron, députée LREM, rapporteure d’une nouvelle mission d’information de l’Assemblée nationale sur « le cadre de l’enseignement hybride et à distance ». Lancée à la mi juin, la mission multiplie les auditions avec en ligne de mire une réglementation du travail à distance des enseignants. Une préoccupation qui n’est pas sans rapport avec « l’engagement » n°11du Grenelle de l’éducation qui envisage de recourir à l’enseignement à distance pour assurer les remplacements des enseignants. La tentation semble forte d’imposer le travail à distance pour faire face aux besoins d’enseignants.
Des parents qui s’immiscent dans la pédagogie
Faut-il réglementer le travail des enseignants à distance ? Le 17 juin c’était au tour des syndicats de chefs d’établissement et d’inspecteurs d’être auditionnés par la Mission d’information sur le cadre de l’enseignement hybride et à distance de l’Assemblée nationale. A sa tête le député LR F Reiss et comme rapporteure B Piron (LREM). Une autre députée intervient dans l’audition : Cécile Rilhac, une proche de JM Blanquer.
La mission s’intéresse au vécu de la période de confinement. Ainsi les syndicats de personnels de direction mentionnent tous la montée des intrusions des parents dans la pédagogie des enseignants. Des parents ont enregistré les visioconférences d’enseignants et s’en servent pour critiquer leur pédagogie. Ils connaissent les outils pour contacter les professeurs directement et s’en servent violant l’espace privé. « Des parents s’immiscent sur tout et notamment la pédagogie », déclare F Scherrer (ID FO). « Il faut faire attention à cette intrusion qui continue après le retour à la normal », confirme Valérie Quéric (Snpden Unsa). Le Snupden Fsu souligne l’impréparation ministérielle qui s ‘est encore vue lors du 2d confinement avec el plantage des outils officiels et l’écart entre la promesse du ministre sur « la continuité pédagogique » et la réalité. « Il faut se mettre d’accord sur une représentation commune avec le ministère permettant une communication franche sur ce qu’on attend de cette continuité pédagogique. Il y a eu contradiction entre le discours ministériel et ce qu’on pouvait faire dans les établissements »,déclare Igor Garncarzyk (Snupden Fsu). La rapporteure interroge aussi sur les manquements des enseignants. « La crise sanitaire a mis en évidence que certains enseignants refusaient de s’adapter », déclare V Kroes (ID FO) quand F Decq (Snpden Unsa) explique que « des enseignants plus anciens ou réfractaires ont su garder un contact avec les élèves mais pas de la même façon ».
Un vide réglementaire
Tout cela permet d’introduire le vrai questionnement des parlementaires. Faut-il réglementer le travail enseignant à distance ? Faut-il réglementer les interventions des parents ? La mission réfléchit à compléter le code de l’éducation par un cadre juridique concernant le travail à distance des enseignants.
Actuellement il y a peu de textes qui déterminent celui-ci. Le décret du 5 mai 2020 sur les modalités de mise en oeuvre du télétravail dans la fonction publique fixe dans son article 3 que l’autorisation de télétravail peut être accordée « en raison d’une situation exceptionnelle perturbant l’accès au service ou le travail sur site ». L’article 5 précise que l’autorité qui décide le télétravail « met en oeuvre sur le lieu de télétravail les aménagements nécessaires sous réserve que les charges consécutives ne soient pas disproportionnées ». L’article L131-2 du Code de l’éducation ne prévoit un service public du numérique éducatif que pour « prolonger l’offre des enseignements », pour proposer des ressources pédagogiques » et pour « assurer l’instruction des enfants qui ne peuvent pas être scolarisés notamment ceux à besoins éducatifs particuliers ». Seule la circulaire sur le cahier de textes numérique (circulaire MENE1020076C de 2010), signée par JM Blanquer comme Dgesco, introduit une obligation de service à distance pour les enseignants.
Une contrepartie du Grenelle
Inclure dans les obligations de service des enseignants des tâches d’enseignement à distance se pratique déjà. Dans des académies de l’ouest l’allemand est enseigné de cette façon. Ailleurs, dans le sud ouest, ce sont des langues rares. Là il est question d’aller plus loin.
Et c’est ce que recommande le Grenelle de l’éducation. Ainsi le 26 mai, en conclusion du Grenelle, JM Blanquer parle de revalorisation mais aussi de contreparties. Parmi celles-ci il évoque le remplacement des enseignants. Il parle d' »assurer une continuité pédagogique efficace » et pour cela il pose un engagement précis : les chefs d’établissement devront assurer à tous les élèves le volume d’heures d’enseignement du. Oui mais comment ? Si on regarde ce que dit le Grenelle, dans l’engagement n°11, il s’agit de recourir aux heures supplémentaires et d’avoir recours « à des dispositifs de types cours en ligne ou au travail en autonomie anticipé et encadré sous la surveillance d’un AED notamment en préprofessionnalisation ». La généralisation de ce système permettrait d’économiser les milliers de postes de remplaçants. Un vrai filon ! Mais pour que cela puisse être mis en place il faut modifier le Code de l’éducation et légiférer.
Des syndicats de cadres plutôt réticents
Les syndicats de personnel de direction sont réticents. « Il ne nous parait pas opportun de modifier le code de l’éducation pour qu’aucune ambiguité ne puisse exister sur un remplacement des enseignants par du distanciel », dit Jean Klein du Snupden Fsu. « On n’est pas pour que ces méthodes d’enseignement deviennent des méthodes classiques. Ce ne sont pas de véritables modes de transmission des connaissances efficaces », déclare F Deck (Snpden). « L’enseignement à distance ce n’est pas de l’enseignement. On ne peut pas palier le manque de moyens des établissements par cet ersatz », affirme Igor Garncarzyk (Snupden Fsu).
Les syndicats d’inspecteurs semblent plus perméables à cette idée de réglementation. « Il va falloir mener une réflexion sur la mise en oeuvre de pratiques et d’outils permettant d’améliorer le travail d’équipe », explique Elisabeth Jardon (SI EN Unsa). Elle évoque un cadre juridique sur le cadre de travail à distance dans l’établissement ou à domicile. Mais pense aussi qu’il « faut éviter de trop cadrer ». « Si l’enseignement à distance devait devenir une obligation statutaire il faudrait des équipements , des formations et une redéfinition du temps scolaire », dit Marie Musset, du Snia IPR Unsa. Patrick Roumagnac (Si EN Unsa) estime que « des préconisations sont souhaitables. Ca correspond à une demande des enseignants ».
Préconisations ou réglementation ? Les députés de la mission d’information pourraient rendre un rapport préconisant une évolution législative banalisant l’hybridation. Sous prétexte de lutter contre des abus, alors que la « continuité pédagogique » a surtout aggravé les inégalités, la tentation de dégager des économies est bien là.
François Jarraud