Doter les établissements d’un chèque ressources, donner toute leur place aux collectivités locales dans le pilotage du numérique éducatif, équilibrer les dépenses entre matériel, ressources et formations: bien des points du rapport des inspecteurs généraux Paul Mathias, Zaïr Kedadouche et Jean-Michel Schmitt rappellent ce qui a déjà été tenté, écrit, espéré, reformulé etc. au long de l’histoire du numérique éducatif. Finalement ce qui ressort vraiment du rapport c’est le récit sévère de l’impréparation du ministère devant le confinement et ses effets. Et même le constat d’un impensé du numérique dans l’institution.
Une critique sévère de l’impréparation ministérielle
Rendu public maintenant, le rapport de l’IGESR sur « les actions numériques pendant le COVID 19 » dans l’enseignement scolaire est court (24 pages) et dense. Voici un rapport qui nous fait passer d’une contemplation plaisante d’actions menées au désagrément d’un pilotage dans l’instant et d’une absence d’anticipation.
Avant d’arriver aux préconisations repérons certaines phrases importantes de ce rapport :
1 – « Il est néanmoins permis d’admettre que le système éducatif, en solidarité avec les collectivités territoriales, a travaillé efficacement, quoique, selon un interlocuteur de la mission, « en mode de fonctionnement dégradé », et qu’il a réussi à résoudre un certain nombre de problèmes ou, du moins, à en acquérir une connaissance précise et féconde sur le moyen, voire le long terme. » Si ce satisfecit fera l’objet de critiques, on peut penser qu’il renvoie surtout au fait que l’on « s’est retroussé » les manches pour faire face à ce qui semble être une masse de problèmes et d’incohérences. Les préconisations tendent à vouloir les faire disparaître, mais cela semble très lourd et complexe à mettre en oeuvre.
2 « La survenue d’une crise seulement analogue à celle que le système éducatif a réellement subie au printemps 2020 n’avait jamais été imaginée, ni anticipée par lui, sa possibilité même était hors de son horizon d’attention. » Reprenant ainsi un ensemble d’analyses venues d’horizons variés, universitaires, médias et autres, il est clair que l’institution n’a jamais imaginé ce qui allait se passer et surtout ce que la situation allait imposer, au risque, confirmé, des inégalités, fractures, et autres troubles dans le domaine du numérique. Le pilotage centralisé, mais surtout souvent changeant, au rythme des médias, est un frein essentiel à une politique du numérique éducatif.
3 – « Une attente-phare des interlocuteurs institutionnels et territoriaux de la mission peut se résumer à une stabilisation des politiques publiques du numérique, la succession incohérente d’opérations coup de poing sur les tablettes ou les ordinateurs passant pour parcellaire, inopérante, dénuée de sens parce que dénuée de continuité. Or, l’idée d’une politique durable du numérique ne peut prendre corps qu’avec une perception systémique de son objet et avec une vision à long terme de ses possibilités. » C’est probablement la plus sévère des remarques faites par les inspecteurs, auteurs du rapport. Elle fait écho à l’impréparation globale du système mais aussi au fait plus global que le numérique est trop souvent limité aux équipements et à des usages peu documentés mais invoqués comme autant d’idéaux que l’on ne cherchera pas à atteindre.
De vieilles préconisations
Les 19 préconisations sont réparties en trois niveaux, le national, le régional et le local. Ce qui amène à penser qu’il ne faut pas que ça recommence lors d’une prochaine crise. Cela doit être possible, mais les différents acteurs (état, collectivités, associations, edtech et établissements scolaires), s’ils doivent enrichir leurs relations, comme certains exemples le prouvent, doivent aussi avoir des marges de manoeuvre que le pilotage institutionnel rend difficile. En amont, les uns et les autres doivent mieux connaître le terrain de leur action : l’inventaire des matériels, des logiciels, des infrastructures semble souvent difficile à faire.
Certaines préconisations ne sont que la répétition de ce qui se dit depuis très très longtemps. Par exemple le fait qu’il faille équilibrer les dépenses entre matériel, ressources et formations, c’est à dire ne pas oublier celle-ci. D’autres sont porteuses d’une demande de redéfinition de la place des collectivités dans cet univers en les associant très en amont. Et cela aussi bien au niveau national qu’au niveau local. On découvre en fin de liste une étonnante préconisation : « En période de scolarité « normale », consacrer quelques journées dans l’année à un enseignement à distance ou à un enseignement hybride, confié tantôt aux professeurs, tantôt à des adultes accompagnateurs. » Pour le dire autrement, ne nous laissons plus surprendre…
Le retour du plan de 2010
D’autres préconisations concernent directement la classe. Le rapport demande de « simplifier les procédures d’achat des produits numériques et libérer l’accès aux ressources en affectant un « chèque ressources » aux établissements ou aux professeurs pour les usages dans la classe ». C’est le retour du plan numérique lancé fin 2010 par Luc Chatel. Sur le papier confier aux enseignants un chèque pour acheter leurs ressources semble une bonne idée. C’est d’ailleurs ce qui a permis de créer un vrai marché du numérique en Grande Bretagne. En France cela n’a pas marché. D’abord parce qu’il faut trouver l’argent et que les achats de ressources pédagogiques dépendent, sauf au collège, des collectivités locales. Ensuite parce que l’institution scolaire est ce qu’elle est et qui est lisible dans la formule » aux établissements ou aux professeurs ». Concrètement, sous prétexte de coordonner et mieux répondre aux besoins, les dépenses sont faites par la hiérarchie. Ou plutôt elles sont soit jamais faites, soit jamais utilisées… On pourra lire les commentaires désabusés des éditeurs sur cette question dans ce texte de 2018. Aujourd’hui le marché ressources pédagogiques numériques est très faible (40 millions), soit 4 euros par élève…
Deux autres préconisations seront peut-être plus simples à mettre en place. Le rapport demande que chaque élève ait un identifiant unique pour se connecter aux services éducatifs. Il faudrait ajouter ; un identifiant simple car les informaticiens qui prévoient ces mots de passe ignorent tout des enfants.
Enfin le rapport veut rendre gratuit l’accès internet à certains domaines pédagogiques. Cette demande ressort d’expérimentations réalisées durant le confinement. L’idée c’est que l’accès à des sites pédagogiques officiels puisse être gratuit et, par exemple, ne soit pas débité du forfait d’un élève. Evidemment cela aurait un effet sur l’offre. Mais rendre accessible à tous l’accès aux ENT par exemple est un vrai enjeu.
Il va de soi qu’un tel rapport devrait susciter des mouvements au sein du ministère : les coups proposés au niveau de la DNE (États Généraux du Numérique, Territoires numériques éducatifs) sont globalement passés sous silence et on peut le penser, considérés par les auteurs comme une de ces initiatives peu en phase avec les besoins des trois terrains : un national à restructurer, un académique à ouvrir aux partenaires, un local à mieux connaître pour agir.
Ce rapport a vocation principalement à analyser ce qui s’est passé en termes structurels, organisationnel, matériel (la mission de l’IGÉSR chargée de « dresser un état des lieux de la manière dont l’équipement des élèves aura été renforcé au cours des six derniers mois ») et non pédagogique (un autre rapport a été publié en octobre 2020 sur ce thème). D’où la centration sur le matériel, les infrastructures et le fonctionnement des structures locales, académiques, nationales. On notera avec étonnement que le rapport, s’il voit bien la place des associations dans ce concert, met en évidence le fait que les edtechs n’ont pas trouvé leur compte face à un ministère qui semble difficile à pénétrer (tout au moins pour certaines….) Une autre préconisation a aussi surpris, elle porte sur la mise en place d’un guichet unique départemental pour les enfants à besoins éducatifs particuliers alors qu’existent déjà les MDPH… qui même si leur fonctionnement est souvent critiqué, sont déjà un point d’entrée spécifique pour ces publics. Quant aux derniers paragraphes de la conclusion, ils semblent suffisamment « hors-sol » au vu de l’histoire du numérique pédagogique…
Bruno Devauchelle et François Jarraud