Comment préparer ses lycéens pour le grand oral ? Jonathan Guyot, professeur de SVT, au lycée Rémi Belleau de Nogent-le-Rotrou (28) encadre depuis plusieurs années un atelier radio avec ses élèves. « Nous émettons sur la bande FM et tout le lycée se mobilise en direct de 7h à 20h sur une thématique donnée ». En parallèle de ce projet bien ancré, l’enseignant a fait appel à un artiste slameur pour apprendre aux élèves l’art oratoire. Posture, interaction, pose de la voix et même des battles grand oral sont au programme de ces formations prisées par les lycéens. « Chaque élève déclame sa question et se met à la place du jury. Cette mise en situation est indispensable. L’élève comprend que ce n’est pas un exposé mais une argumentation verbale », apprécie Jonathan Guyot qui regrette toutefois que « les nombreuses opportunités de travail de l’oral au lycée ont disparu avec la fin de l’AP, des TPE et des enseignements d’exploration ».
Pourquoi ce projet de slam pour préparer les élèves au grand oral ?
La préparation des élèves au grand oral nécessite la mise en place de nouvelles activités pédagogiques. En effet, les compétences à mettre en œuvre sont très rarement travaillées pour elles-mêmes lors des séquences disciplinaires « classiques ». Je suis donc persuadé qu’il faut sortir du contexte classe pour qu’ils puissent les acquérir et progresser à l’oral, que ce soit au travers d’ateliers, tels que le théâtre, la radio, ou des projets Maison des lycéens, CVL, …
J’ai donc proposé à Karim Feddal, artiste slameur, d’animer un atelier slam pour apprendre aux élèves à utiliser les techniques de l’art oratoire et donc préparer le grand oral. Nous avons déjà travaillé ensemble avec des classes sur des thématiques bien ciblées, mais jamais pour l’oral seul. Les exercices de mise en activité qu’il propose permettent aux élèves de prendre confiance en eux et d’apprivoiser leur propre voix, pour progresser plus rapidement.
Voici sa déclaration d’intention pour ce projet : « Parler en public, poser la voix pour convaincre. Mémoriser une phrase, la dire à haute voix, debout, assis ou au sol. Pédagogie progressive qui ne heurte pas le sentiment personnel, tout en abordant les défauts à corriger : la parole précipitée, le regard fuyant ou instable… Établir une relation de confiance afin de cesser de dire : je n’ai pas de voix, je n’aime pas m’écouter. Découvrir l’origine des difficultés de chaque élève. Décomplexer, relativiser pour sortir une puissance vocale sans forcer lors du grand oral du Bac 2021. »
Comme l’évoque Karim Feddal, au-delà de la technique oratoire, progresser à l’oral va de pair avec la confiance en soi. C’est pourquoi nous avons décidé de réaliser ces ateliers au sein de la salle municipale de musiques actuelles « l’Arsenal ». La mairie de Nogent-le-Rotrou l’a mise à disposition du lycée, nous la remercions vivement ! Les élèves ont ainsi pu facilement sortir du cadre habituel (tableau, salle de classe frontale) pour se concentrer sur leur oral. Nous avons également bénéficié de l’appui du proviseur du lycée Rémi Belleau, Nicolas Sibenaler qui a permis la réalisation de ce projet.
Comment s’organise l’atelier ?
Cet atelier slam s’est déroulé sur les créneaux horaires des travaux pratiques de spécialité SVT. Nous avions donc la chance de pouvoir travailler sur un temps long (3h) et en demi-groupes. Le fond scientifique des questions sur la spécialité SVT a été travaillé en amont et en parallèle, en classe entière et lors des phases de distanciel (crise sanitaire). Il est à noter qu’en SVT nous avons facilement terminé le programme de spécialité et nous avons eu le temps de travailler convenablement le grand oral. Ce n’est pas le cas de toutes les disciplines, ce qui pose des problèmes d’égalité de préparation entre les élèves…
L’atelier se déroule en 4 temps. Le premier temps permet de travailler la posture. Les élèves sont amenés à prendre possession de l’espace, à maintenir une posture, à se tenir immobile et à regarder au loin lors de ruptures musicales. Karim Feddal explique aux élèves qu’un oral est une rupture. On y entre en adaptant sa posture et en marquant une immobilité. On peut être timide, réservé, mais lors de l’oral, on sort de ce contexte social et on entre dans un autre contexte, on joue en quelque sorte « un rôle ». D’autres exercices ont également permis aux élèves d’apprendre à soutenir un regard, à se déplacer et à se tenir droit devant des camarades. Préparer un oral passe tout d’abord par un travail non verbal ! Ces exercices, toujours réalisés avec un fond musical, ont permis aux élèves de prendre confiance en eux et de se détendre. Ils prennent conscience et possession de leurs corps et de l’espace.
Dans un second temps, les élèves travaillent leur voix. D’abord sous forme de monologues en groupes, ce qui leur permet de vaincre leur timidité en étant porté par les déclamations des autres. Puis petit à petit, les monologues se centrent sur certains élèves. Là encore, la progressivité de l’exercice permet de prendre confiance en soi. Enfin, un travail sur la respiration amène les élèves à déclamer leur texte par une voix provenant « du ventre » et pas de la « gorge ».
Enfin, les élèves préparent l’interaction. L’utilisation de mots outils, tels que les adverbes, leur permet de se passer des « du coup, euh, ben, … » lors des réponses. Chaque exercice amène l’élève à se rendre compte qu’il a le droit de prendre le temps pour répondre et qu’il a des outils pour lancer sa réponse de manière construite. Il apprend à donner son avis et interagir face à des questions très ouvertes.
Enfin, tous les élèves ont participé à un challenge ou « battle grand oral ». L’objectif de ce « battle » est que chaque élève déclame sa question et se met à la place du jury. Nous en reparlerons après.
En quoi vos élèves ont-ils progressé ?
Les élèves ont pris confiance en eux et compris que l’oral s’apprend, se travaille. Ils ont mis en application les techniques vues avec Karim Feddal par petits groupes, ce qui a permis à tous, même aux plus timides de s’exercer dans de bonnes conditions et de progresser. Ils ont compris ce que l’on attend d’eux pour le grand oral. Enfin, cet atelier sur la forme a donné du sens au travail de fond réalisé sur les questions de spécialité.
Que font les lycéens lors des « battles grand oral » ?
Le « battle » grand oral est la dernière séance de cet atelier. Il se déroule sur 4h, lors d’une demi-journée dédiée. Les élèves sont répartis par groupe de 3. Chacun leur tour, ils déclament au choix, une question de spécialité ou leur projet personnel en 5 minutes. Les deux autres élèves, alors jury, évaluent leur camarade à l’aide de la grille indicative de réussite du grand oral. Ils aboutissent à une note chiffrée. Cette évaluation par les pairs, en petits groupes se déroule dans le parc du lycée, hors des murs de la classe. Là encore, l’ambiance est sereine et propice à l’oral car les élèves sont en confiance pour mettre en application ce qu’ils ont vu précédemment.
Suite à cela, deux demi-finales avec les 4 élèves les plus performants se déroulent. Cette fois devant la classe entière, avec un jury différent tiré au sort parmi les élèves. Enfin, une finale portant sur la question non traitée en demi-finale (projet personnel ou question de spécialité) se déroule pour clôturer cette matinée.
Ce « battle » grand oral leur permet de se mettre à la place du jury et de comprendre l’importance de la posture, de la gestion du temps, de la diction et de l’argumentation pour convaincre et ainsi obtenir la meilleure note possible au grand oral. Cette mise en situation est indispensable. L’élève comprend que ce n’est pas un exposé mais une argumentation verbale !
Quel regard avez-vous sur cette épreuve du grand oral en SVT ?
Je pense que cette épreuve nous (professeurs de SVT) impose une évolution des pratiques et de l’évaluation de l’oral. Il faut « faire le deuil » du fond scientifique pour se concentrer sur la forme et sur la vulgarisation. Cela n’a rien à voir avec les anciennes soutenances de TPE (Travaux Personnels Encadrés en classe de première). L’enseigner ne s’improvise pas et contrairement à d’autres disciplines, telles que les langues vivantes, en SVT nous manquons d’expérience. La maitrise disciplinaire sera un peu plus évaluée lors de la phase des questions et de l’interaction avec le jury. Mais là encore, il faudra évoluer dans la préparation car certains membres du jury n’auront aucune notion de biologie ou de géologie. Les élèves vont devoir vulgariser, expliquer…
Je regrette cependant qu’avec la réforme du lycée, de nombreuses opportunités de travail de l’oral au lycée ont disparu avec la fin de l’AP (Accompagnement Personnalisé), des TPE, des enseignements d’exploration en seconde …
Quelques mots sur le projet radio que vous menez au lycée …
Avec mon collègue Romain Vassal, alors enseignant d’Histoire Géographie au collège Pierre Brossolette, nous avons créé en 2015 un atelier radio appelé RADIO2B (2B pour Belleau / Brossolette) au sein de nos deux établissements. Au lycée Rémi Belleau, nous l’animons avec Cédric Hounsou, collègue de SES. Les élèves inscrits à cet atelier bénéficient de 2h dédiées dans leur emploi du temps. De plus, cet atelier est ouvert à tous les enseignants du lycée pour leur projets disciplinaires. Tous les projets sont propices à une émission : le gala du lycée, un voyage à l’étranger, un invité, …
Une fois par an, nous émettons sur la bande FM et tout le lycée se mobilise en direct de 7h à 20h sur une thématique donnée. Près de 250 élèves passent au micro (1 élève sur 5 au lycée !) durant cette semaine.
Il y a donc une réelle synergie entre toutes ces occasions de prendre la parole à la radio et la préparation du grand oral. Là encore, l’atelier radio permet la mise en confiance des élèves et donc les progrès à l’oral. Je suis convaincu que l’un ne va pas sans l’autre. J’ai vraiment l’impression que c’est une des clés de la réussite au grand oral.
Propos recueillis par Julien Cabioch
Dans le Café