Une des responsabilités de l’école démocratique est, outre le fait d’admettre en son sein tous les enfants, de leur permettre de réussir. Or si le phénomène de « massification » n’a cessé de se développer dans les dernières décennies, jusqu’à concerner, pour le second degré, la quasi-totalité d’une classe d’âge, les réussites y sont très différentes selon les milieux sociaux d’origine et les mêmes diplômes obtenus ne garantissent pas des trajectoires scolaires et sociales d’égale valeur. L’idée s’impose assez vite que, plus connivents avec les normes scolaires, certains élèves et groupes d’élèves y jouent davantage « sur leur terrain » et n’y connaissent pas les conflits paralysants de ceux qui ne s’y sentent pas à leur place », écrit Patrick Rayou dans Carnets rouges n°22. « Les normes scolaires suscitent de fait deux types de conflits qu’il importe de ne pas confondre. Le premier résulte d’une manière de faire apprendre et d’apprendre qui n’est pas celle d’autres milieux de socialisation. Installer ce conflit, l’aider à se développer puis se résoudre fait partie de la mission centrale de l’école qui est de faciliter l’entrée dans la culture. Cet accès est plus difficile pour les enfants dont les normes de socialisation familiale sont les plus éloignées de celles que promeut l’institution scolaire. Le risque est grand d’un « effet Matthieu » qui consiste à y donner plus à ceux qui ont déjà plus. Il est aggravé par les évolutions curriculaires contemporaines qui rapprochent des normes de l’enseignement supérieur traditionnellement réservé aux élites sociales, éloignent de la culture de l’école primaire, « école du peuple »… Pour éviter que ce conflit central n’en suscite un deuxième en transformant les inégalités sociales en inégalités scolaires et réciproquement, deux solutions sont généralement proposées. La première est de regarder les catégories sociales défavorisées comme privées de normes scolaires intangibles et, dans un souci de justice, de leur donner ce qui leur manquerait. De telles politiques de compensation ont montré leurs limites car elles érigent en idéal ce qui caractérise les classes qui maîtrisent l’école. La deuxième, plus complexe, mais vraisemblablement plus féconde, est de considérer que l’ « enculturation » est un rapport entre des êtres singuliers et la culture humaine déposée au long de l’histoire et que c’est dans cette tension qu’ils deviennent humains ».
Dans Carnets rouges N°22