Comment les adolescents articulent-ils l’Ecole et les loisirs extrascolaires ? Dans Education et Sociétés (n°45), Anne Barrère (Cercil) et Camille Noûs (pseudonyme collectif du Laboratoire Cogitamus) osent le parallèle éducation scolaire et éducation buissonnière. A force de se recroqueviller sur le travail et l’utilitarisme du diplôme, l’Ecole a déserté l’éducation vraie, celle qui fait grandir et épanouir les hommes. L’Ecole joue l’individualisme et c’est finalement la sphère des loisirs qui socialise. Une réflexion à poursuivre alors que Parcoursup crache ses résultats…
Une école purement instrumentale et individualiste
« La force des enjeux sociaux du travail et de la réussite scolaire, ainsi que le succès de la forme scolaire elle-même en dehors des murs de l’école, ont fortement contribué à brouiller les frontières entre école et société », écrivent les auteurs. Paradoxe, ce brouillage se produit alors que l’école a du mal à faire sens.
« L’ensemble des acteurs de l’école et les adolescents eux-mêmes situent aujourd’hui l’éducation scolaire du côté de la contrainte au travail et de l’effort… Une longue préparation dont la finalité théorique est l’acquisition de savoirs ou dans un langage modernisé, de compétences, de plus en plus vécue comme ayant sa fin ailleurs qu’en elle-même dans l’accès à la vie future de l’élève, et au premier chef son insertion professionnelle ». L’école est devenue « utile » et purement « instrumentale » à son corps défendant. Finalement c’est dans les loisirs que l’élève trouve son épanouissement personnel.
Face à des loisirs éducateurs et socialisants ?
Elle est aussi devenue individualiste. « L’évolution de l’idée de méritocratie scolaire finit par instaurer un individualisme ni explicité ni assumé par l’institution, dont l’élève responsabilisé fait pourtant l’expérience, pour le meilleur ou le pire », écrivent les auteurs. « L’individualisation des dispositifs de soutien est d’ailleurs vue aujourd’hui comme un gage d’efficacité scolaire et un moteur de l’injonction à la différenciation pédagogique… Ainsi, il s’agit bien sûr d’un constat étonnant au vu de l’histoire du système éducatif français, la sphère des loisirs travaille aujourd’hui plus et mieux que l’école l’apprentissage du lien social ».
Le dualisme traverse aussi les temporalités. « Les activités électives sont un réservoir d’aspirations ou de rêves, susceptibles de se transformer en projets plus ou moins compatibles ou concurrents avec les orientations définies à l’intérieur de l’univers scolaire. Dans une logique de cheminement, les adolescents qui se sentent en réussite dans une activité tentent de la rapprocher d’une perspective d’insertion, parfois dans un phénomène de halo projeté par l’activité sur l’emploi : vente de vêtements de sport, gestion logistique ou financière d’entreprises artistiques, travail de programmation ou de création, venu de l’univers des jeux vidéo. Alors que le projet d’orientation scolaire suppose de renforcer, une fois définie une destination future, par des savoirs et compétences permettant de l’atteindre, le cheminement part d’une expérience d’une certaine durabilité et sentiment de réussite dans une activité pour en définir, pas à pas, la prochaine étape. Dans leurs loisirs et leur faire, les adolescents se forment ainsi à la gestion de la discordance des temps de la vie contemporaine, là où l’école est encore sous l’emprise d’une temporalité fordiste ».
Construire une école buissonnière ?
Les auteurs relèvent donc le constat d’une opposition entre éducation scolaire et éducation « buissonnière ». Paradoxe alors que les jeuens sont aussi soumis aux injonctions « à devenir soi » à « réussir sa vie » et se construisent ainsi des repères et des contraintes par rapport à des implications que l’école rejette pour se limiter aux performances scolaires.
» Mieux comprendre la manière dont les adolescents circulent entre ces deux sphères est sans doute à la fois un programme de recherche pour une sociologie de l’éducation élargie dans ses constats et en soutien d’une institution scolaire plus affirmée dans sa vocation éducative, mais aussi plus critique de ce qu’elle fait à la maturation adolescente. Prendre soin des générations suivantes, manière toute contemporaine de définir l’éducation, c’est aussi prendre la mesure de cette situation sociétale », concluent les auteurs. Message transmis.
François Jarraud
Anne Barrère (Cercil) et Camille Noûs, Ecole, travail, loisir. Quand l’éducation scolaire rencontre l’éducation buissonnière, Education et sociétés n°45.