Faut-il sortir du champ disciplinaire pour aller au cœur d’une œuvre littéraire ? Au collège Val de la Sensée d’Arleux dans le Nord, Annick Desandère a exploré en 3ème le roman de Jules Verne « Voyage au centre de la terre ». Au programme : pratiques enregistrées de la lecture à voix haute, journal de bord à l’aide de l’ENT, écrits réflexifs et créatifs, « rendez-vous de lecture » en classe … La collaboration avec le professeur de SVT permet de mieux interroger la manière dont le romancier a intégré le savoir scientifique à l’univers de la fiction. La collaboration avec la professeure de technologie permet de transformer en application pour outils mobiles le « musée virtuel » que les élèves ont réalisé autour du roman. Bilan : « Certains élèves ont pris confiance en eux dans leur capacité à lire une œuvre de 400 pages et ils étaient tous fiers de pouvoir partager leur travail avec les autres ! »
Dans quel contexte avez-vous mené ce travail autour du Voyage au centre de la terre ?
J’ai mené ce projet dans une classe de 3ème. L’étude de Voyage au centre de la Terre de J. Verne, suivie de celle d’un groupement d’extraits d’œuvres dystopiques, est à rattacher à l’objet d’étude « Progrès et rêves scientifiques : il s’agissait de poser la question des rapports entre les sciences et la littérature, notamment à travers des œuvres mettant en scène la figure du savant… »
Vous avez pris le parti de problématiser la lecture elle-même : pourquoi et de quelle façon ?
Il m’a paru inévitable de commencer par une approche du contexte éditorial et scientifique de l’écriture du roman pour favoriser le questionnement sur les enjeux de la mise en fiction de la science. Le XIXème, marqué par l’essor de la science, a suscité un grand enthousiasme. Des journalistes ou scientifiques de formation ont publié des ouvrages de vulgarisation. J’ai proposé de comparer la préface de « La Terre avant le Déluge » du scientifique L. Figuier avec l’Avertissement de l’éditeur Hetzel placé avant les « Aventures du capitaine Haterras » (textes sur site de la BNF). La classe a reformulé et confronté les deux projets contemporains, ce qui a permis d’ouvrir un espace de recherche. Le travail a consisté ensuite à mesurer avec les élèves l’écart esthétique entre le roman de J. Verne et un ouvrage de vulgarisation scientifique pour en dégager du sens.
Pour fortifier la relation avec l’œuvre, vous passez par la lecture à voix haute : comment la travaillez-vous ? comment l’utilisez-vous pour favoriser une démarche interprétative ?
Avec le groupe « Lettres et numérique » de l’Académie de Lille, nous avons réfléchi l’année dernière à la manière de favoriser l’appropriation des œuvres : j’ai choisi de mettre en place un apprentissage progressif de la lecture à voix haute grâce à l’outil numérique. Après une séance de mise en bouche où les élèves n’avaient qu’à éprouver physiquement leur voix, j’ai proposé des séances où la lecture à voix haute intervenait avant, pendant ou après l’étude du texte. Par exemple, en groupes, les élèves ont lu silencieusement un passage puis ont proposé une lecture chorale enregistrée, en justifiant leurs choix : Pourquoi changez-vous de lecteur à ce moment-là ? Pourquoi changez-vous de rythme, de tonalité… ? De retour en classe, un ou deux enregistrements ont été diffusés et je suis partie avec la classe de cette 1ère appropriation pour construire une analyse et interpréter. Les élèves se sont à nouveau enregistrés, ce qui a permis de montrer qu’une compréhension plus fine permet une expression orale plus maîtrisée. D’autres lectures à voix haute ont été demandées après explication en classe, puis en complète autonomie, toujours avec une justification des choix opérés.
Comment, individuellement et collectivement, gérez-vous la mise en œuvre du carnet de lecture ?
J’ai dégagé des « axes » de lecture à travailler (le couple Axel/Lidenbrock, la géographie…) et ai confié l’un d’eux à chacun des élèves. Pour accompagner leur lecture d’un ensemble de chapitres et favoriser leur engagement, je postais sur l’ENT des fiches. Leur étaient posées des questions factuelles mais aussi des questions pour favoriser leur implication portant par exemple sur les attitudes et valeurs des personnages. Lors des « rendez-vous de lecture » en classe, les élèves ayant travaillé le même axe ont échangé et préparé un support numérique afin d’exposer oralement leur recherche. A charge pour le professeur, et les autres élèves, de vérifier la justesse de la réflexion et de la faire évoluer.
Le travail a pris une dimension interdisciplinaire : de quelle façon ? quel vous semble l’intérêt de sortir ainsi du champ du français ?
Au départ, il n’était pas prévu que le projet soit interdisciplinaire. J’ai eu la surprise, en demandant des précisions à mon collègue de SVT, M. Swialkowski, d’apprendre qu’il était féru de minéralogie. Il a conçu, à partir de l’œuvre, des ateliers scientifiques dans lesquels les élèves étaient invités à expérimenter plusieurs démarches scientifiques dont J. Verne s’est inspiré (l’anatomie comparée à la Cuvier…). Ayant éprouvé ces démarches, les élèves ont pu, en cours de français, analyser la manière dont l’auteur a intégré la savoir scientifique dans l’univers fictionnel, qui s’affranchit du réel, mais aussi interroger la situation de l’homme dans son rapport au savoir. La dimension pluridisciplinaire a enrichi la lecture de l’œuvre et donné plus d’ampleur à la réflexion.
Les élèves ont enfin réalisé une application numérique : en quoi consiste-t-elle ? comment techniquement a-t-elle été réalisée ?
Nous avons opté pour un musée virtuel, à la fois pour rendre compte du parcours des élèves à travers l’œuvre et en même temps pour être près du texte de J. Verne qui donne à voir et à arpenter le monde et les connaissances à travers un parcours muséal finalement. Dans chaque salle du musée, le visiteur peut lire ou écouter un extrait de l’œuvre et consulter l « appareillage » scientifique du texte. En cours de technologie, avec Mme Boutry, les élèves ont réalisé une application Android (pour tablette ou téléphone) grâce au logiciel de programmation en ligne Appinventor2. Sur papier, ils ont tracé les grandes lignes de l’application (pages et liens), créé les pages proprement dites, réfléchi à la mise en page, introduit les infos scientifiques, les textes, les lectures, ajouté quelques phrases de résumé avant chaque texte, cherché un titre à chaque salle du musée…
Au final, quel bilan tirez-vous de ce travail ?
Ce projet a permis de travailler des compétences transversales et celles qui doivent être développées en français, en particulier ici la lecture. En ayant recours à l’enregistrement numérique, les élèves ont pu multiplier les tentatives, reprendre et améliorer leurs brouillons sonores jusqu’à ce qu’ils soient satisfaits. J’ai pu constater que certains élèves avaient pris confiance en eux dans leur capacité à lire une œuvre de 400 pages et qu’ils étaient tous fiers de pouvoir partager leur travail avec les autres !
Propos recueillis par Jean-Michel Le Baut