« Il nous semble qu’à travers cette loi, le pouvoir gagnerait à différencier la notion de communautarisme de celle de séparatisme ». En plein débat sur la loi séparatisme, Anna Erelle et Jacques Duplessy publient « L’école hors de la République », un ouvrage consacré à toutes les formes d’enseignement en dehors de l’école républicaine. Les auteurs ne sont pas des spécialistes de l’Ecole mais des journalistes d’investigation. Anna Erelle a écrit un ouvrage sur le jihadisme qui lui vaut des menaces venant de ces milieux. Ils publient un livre qui relativise le séparatisme éducatif et porte des coups au projet de loi séparatisme. Ne serait-ce que parce qu’on sait peu de choses sur les circuits éducatifs parallèles, que le débat sur la loi ne fait pas la lumière et que le texte est adopté sur des rumeurs plus que sur des faits solides. Au risque de passer à coté des sujets vraiment inquiétants dont certains sont montrés dans l’ouvrage. Mais pas tous.
Toutes les écoles hors école publique sont-elles séparatistes ?
« Enquêter sur ces écoles (hors du système public c’est très vite prendre conscience qu’on enquête sur le séparatisme. Plus exactement sur les séparatismes », annoncent d’emblée les auteurs dans leur introduction. Alors il faut relativiser ces séparatismes , comme le développement de l’ouvrage le montre, certains de ces « séparatismes » étant nullement en contradiction avec les valeurs de la République.
Ainsi beaucoup d’écoles hors contrat de la mouvance pédagogie nouvelle, visitées par les auteurs, peuvent être criticables sur le plan pédagogique mais ne mettent pas en danger la République. Les familles pratiquant l’instruction en famille visitées par les auteurs sont aussi bien intégrées dans la communauté nationale. On peut critiquer leurs choix pédagogiques ou les comprendre. On aura du mal à les associer au communautarisme et encore moins au séparatisme comme l’entend le projet de loi.
Le règne de l’omerta
Les deux journalistes d’investigation n’ont pourtant pas perdu leur temps et lèvent de vraies trouvailles. Citons en quelques unes que l’on découvrira en détail dans le livre.
La première c’est le règne de l’omerta qu’a établi ce gouvernement. Cela ne nous apprend rien au Café pédagogique. Mais c’est intéressant de voir la stupéfaction de journalistes étrangers au monde de l’école. Ils constatent que leurs interlocuteurs des rectorats ne pipent mot sauf autorisation expresse de la « centrale » (le ministère). Leur correspondant dans ce lieu, un conseiller du ministre, s’en vante… Omerta aussi maintenant à la Miviludes. On avait critiqué sa transformation de structure indépendante en service du ministère de l’Intérieur. Les deux auteurs en ont constaté les effets.
Une loi fondée sur du vent
Seconde révélation, là aussi relative car elle apparait dans l’avis du Conseil d’Etat et les débats sur la loi séparatisme. Cette loi et les propos ministériels qui l’accompagnent et qui dénoncent le séparatisme éducatif ne reposent sur rien de concret. Un bel exemple est donné par le nombre d’enfants en instruction en famille. Le ministère parle de 50 000. Une étude en compte 25 000. La vérité est probablement entre ces deux nombres. On construit donc une loi sur un phénomène non évalué.
Dans l’instruction en famille ce n’est pas un mystère que la loi vise en premier lieu celle des familles musulmanes. Que sait-on de cette pratique qui est au coeur du projet de loi ? Pratiquement rien. Une seule étude réalisée par une maitresse de conférences de l’Université catholique de l’Ouest dit que « aucune enquête ne permet de dire dans quelle proportion l’instruction en famille concerne les familles musulmanes ni quel type de familles musulmanes elle concerne réellement ». Et la chercheuse d’ajouter que la progression de l’instruction en famille est aussi le faut de pratiquants d’autres religions. » Ce choix pédagogique s’insère dans un projet éducatif plus large qui repense la place accordée aux valeurs transmises et mêle idéologies progressistes sur la place de l’enfant au sein de la famille, et idéologies plus conservatrices sur la place des femmes au sein de la famille ». C’est une analyse intéressante mais suffit-elle à créer une législation ?
Les vraies écoles séparatistes et leurs lien avec JM Blanquer
Il y a t-il des systèmes d’enseignement parallèles qui sapent les valeurs républicaines ? Nos auteurs en signalent plusieurs. D’abord les écoles hors contrat catholiques intégristes dont les liens avec l’extrème droite ne sont pas mystérieux et où l’enseignement de l’histoire est incompatible avec les valeurs démocratiques. Et aussi des écoles laïques ultra réacs.
On arrive à de nouvelles révélations des auteurs. Ils montrent les liens entre JM BLanquer et son entourage et ces écoles. On connait son soutien aux écoles Espérance banlieue. On sait aussi le soutien qu’il a apporté en juillet 2020 pour que les élèves de ces écoles puissent avoir le bac au controle continu alors que le rectorat de Rennes avait rejeté leur dossier.
Tout aussi intéressante l’enquête sur le soutien apporté aux écoles sous influence du gouvernement turc. » Comment expliquer en effet d’un côté la lutte du gouvernement contre l’islam politique d’obédience salafiste, et de l’autre son indulgence et ses facilitations à l’égard des Frères musulmans ? ». Les auteurs rappellent l’épisode de l’école Al Kindi de Lyon qui valut en 2007 son limogeage au recteur de Lyon de l’époque sur instruction du directeur de cabinet JM Blanquer. A l’inverse les auteurs montrent la surveillance et l’acharnement administratif sur des écoles musulmanes sans lien avec le radicalisme. Mais sans protecteur étranger.
Ils montrent aussi la prolifération des écoles par correspondance liées aux formes les plus obscurantistes de l’islam et qui restent totalement ignorées par la loi.
Un séparatisme oublié
Dommage que les auteurs ne se soient pas intéressés à un séparatisme vivement encouragé par la rue de Grenelle et totalement hors des radars de la loi. Il s’agit du séparatisme social. Le système éducatif français est déjà très ségrégatif. Mais JM Blanquer a poussé la logique encore plus loin en créant les Etablissements publics internationaux, des filières éducatives publiques allant de la maternelle à la terminale où la sélection sociale joue à plein. Gâce à la loi Blanquer, de la maternelle à la terminale les enfants des familles les plus favorisées peuvent à nouveau suivre un enseignement totalement différent menant à un diplôme différent (le bac international) grâce à l’argent public. Est-il utile de dire que le projet de loi étudié en ce moment ignore ce séparatisme là ?
François Jarraud
Jacques Duplessy, Anna Erelle, L’École hors de la République. Enquête au cœur des réseaux de l’enseignement parallèle. Robert Laffont, 19€.
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