Au sein d’un établissement scolaire, les outils d’information ont perdu de leur importance, mais par contre la communication est devenue essentielle. Nous, adultes, qui avons laissé se développer ces moyens de communication et leurs usages variés, avons une responsabilité éducative forte : comment proposer des repères pour l’agir au quotidien ?
L’information se privatise
À l’heure des restrictions sanitaires dans les établissements scolaires, l’information d’une part, la communication d’autre part sont des éléments essentiels pour assurer la continuité « éducative », vers les acteurs de l’école et aussi celle du service public d’éducation vers les acteurs institutionnels. Pour ce faire, les établissements disposent de moyens qui peuvent être très différents, mais qui tous tournent autour du même enjeu. Messagerie électronique, logiciels de vie scolaire et/ou ENT, sont avec le téléphone les vecteurs privilégiés de la communication, des interactions. Pour ce qui est de l’information, celle-ci se réduit petit à petit dans l’espace public et augmente dans l’espace privé. Pour le dire autrement, moins de sites web d’établissement vivants et alimentés régulièrement dans l’espace public et davantage d’information interne, c’est-à-dire en direction des publics déjà présents dans l’établissement ou travaillant avec. Le confinement et les conditions sanitaires ont, bien sûr, largement accentué cette évolution, d’une part du fait de la réduction des espaces de vie et d’autre part du fait de la nécessité de travailler en proximité pour des acteurs ciblés et non pas « en public sur le web ». L’heure n’est plus vraiment à la vitrine mais davantage à l’efficacité.
Un autre aspect de cette question est lié aux réseaux sociaux. Si dans certains établissements ils peuvent être utilisés comme compléments pour communiquer, c’est principalement dans un cadre de groupes privés. Quant à l’information publique, elle reste d’abord liée à des moments spécifiques ou des actions particulières. Que ce soit selon les évènements ou les projets pédagogiques, l’utilisation des réseaux sociaux se fait de manière ponctuelle et contrôlée le plus souvent. Bien sûr, nous ne parlons ici que de l’aspect institutionnel. Certains enfants, dès qu’ils savent lire et écrire savent qu’on accède à l’école en ligne avec un code d’accès et un mot de passe. Cette habitude semble désormais bien entrée dans la tête des enfants dont l’établissement utilise soit un ENT soit un logiciel de vie scolaire. Quant aux enseignants, si dans leur pratique privée, ils utilisent tel ou tel réseau, la plupart évitent cet usage dans leur vie professionnelle, hormis dans certains cas d’exception (crise sanitaire, urgence, projet pédagogique spécifique).
Pour faire face aux dangers auxquels certains usages du numérique exposent, la tendance est au repli afin de préserver les élèves, mais aussi d’éviter toutes conséquences juridiques ou autres d’usages non maîtrisés du numérique. Le règlement général pour la protection des données (RGPD) qui a eu tant de mal à se mettre en place en France et dans l’éducation semble aujourd’hui faire figure d’étendard pour se protéger. Les acteurs de terrain comme les responsables y font appel souvent pour rappeler les limites du choix des logiciels et applications. Malheureusement, cela ne semble pas suffire, d’autant plus que les problèmes et dangers se sont déplacés. Si l’information personnelle et sa protection semblent avoir été maîtrisées (on ne parle plus beaucoup des actions judiciaires liées eu RGPD en éducation) désormais ce sont le champ du harcèlement d’une part et celui des fake news d’autre part qui sont sur le devant de la scène. La question de l’information est passée en retrait de celle de la communication.
Evaluer nos communications
Communiquer, voilà désormais le terme clé mis en avant. Du fait des pratiques quasi quotidiennes de lien et d’échange par moyen numérique, la communication a pris une telle place que nous en oublions parfois l’importance des contenus, des informations véhiculées. La taille des écrans, la mobilité des terminaux, l’accélération des rythmes de vie quotidienne nous amènent à considérer comme «normaux » ces comportements de rédaction de textes très courts, d’envoi d’images instantanées, et autres smileys et surtout de réponse très rapide à toutes les injonctions qui surviennent. Il faut interagir, il faut communiquer. Il ne s’agit pas ici de tenter d’endiguer des pratiques que nous constatons, il s’agit d’abord de proposer un retour sur nos pratiques de communication aussi bien comme personnel d’encadrement que comme enseignant et comme éducateur. Comment gérons-nous notre propre activité de communication ?
Au sein d’un établissement scolaire, les outils d’information ont perdu de leur importance, mais par contre la communication est devenue essentielle. Les logiciels de vie scolaire sont de bonnes illustrations quand, par exemple, ils génèrent automatiquement deux SMS, un mail, un courrier et enfin un appel téléphonique automatique dès lors qu’un enfant est en retard ou absent…. Quand l’établissement choisit d’imposer une telle communication, il ne peut que s’attendre, en retour, à des comportements similaires ou complémentaires de la part des familles. Quant aux élèves, ils observent, parfois avec inquiétude, ces communications qui parfois les ignorent et les mettent de côté. Pris qu’ils sont par leurs propres pratiques relationnelles que le numérique « fluidifie » parfois, mais aussi « maltraite », ils cherchent aussi quelques repères pour se protéger même, parfois, de ces agitations.
Nous, adultes, qui avons laissé se développer ces moyens de communication et leurs usages variés, avons une responsabilité éducative forte : comment proposer des repères pour l’agir au quotidien ? S’il suffisait d’interdire, cela serait simple… mais c’est notoirement insuffisant. Alors, nous sommes invités à faire une sorte d’audit d’information et de communication dans nos établissements. Cela consiste d’abord à identifier et décrire toutes les formes d’information et de communication que nous menons. Ensuite d’évaluer la pertinence et les conséquences de l’usage de ces formes, en insistant sur les manières de les faire vivre dans le temps. Enfin essayer, avec les jeunes de définir en commun des règles d’usage qui rendent la vie ensemble suffisamment bonne (pour reprendre une expression de Winnicot). C’est sur un tel socle qu’il faudrait s’interroger en ce moment tant nous devenons inconscients de nos comportements numériques et de leurs effets sur les autres, et en particulier sur les jeunes.
Bruno Devauchelle