Haro sur les réseaux sociaux ! Bravo les réseaux sociaux ! Entre les deux, des questions se posent, et les éducateurs, les enseignants, sont d’abord face à leurs propres comportements, et ensuite face aux comportements des jeunes. Il est toujours plus facile d’aller voir la dérive d’expression de l’autre que la sienne. Ainsi quand je m’exprime sur les réseaux sociaux (ou ailleurs), avant de dénoncer l’autre, il est préférable de se demander comment moi-même je m’exprime. Quand on parvient à clarifier sa propre posture dans sa prise de parole (réactions…), il faut aussi clarifier sa posture quand on relate ou relaye ce qui se passe sur les réseaux sociaux (j’aime, je transfère, je partage…).
Les réseaux sociaux : des cours de récréation ?
Il est courant, dans les médias, de lire côte à côte une critique négative, voire un dénigrement, de ce qui s’exprime sur les réseaux et en même temps une référence à ce qui se dit, comme argument pour y faire référence. Si on ajoute parfois le niveau de popularité (nombre de vues, nombre de relais etc.) cela contribue à renforcer la « force du propos ». L’ambivalence de ces analyses révèle notre propre ambivalence face à nos comportements sur les réseaux sociaux : en même temps j’aime réagir, parfois vivement, et en même temps je suis content de voir ce que je dis relayé, aimé (liké) etc. Que ce soi vrai ou faux, ce qui m’intéresse ce sont « les battements de coeur » que cela provoque. Pour le professionnel des médias, la tension est d’autant plus vive que la popularité est associée à une forme de rentabilité. C’est pour cela qu’il est rare d’écouter une émission d’actualité qui ne fasse pas référence voire appel à ces réseaux numériques.
L’utilisation personnelle des réseaux sociaux numériques est parfois comparable à nos comportements dans une cour de récréation. Les adultes se comportent de la même manière que les enfants, mais pas avec les mêmes instruments, mais parfois avec les mêmes arguments… et les mêmes niveaux de langage. Cette analogie vise à nous faire comprendre combien les jeunes regardent les adultes et comment ceux-ci servent de repère sans même s’en rendre compte. C’est comme si les adultes pensaient qu’ils pouvaient se comporter ainsi parce que les jeunes doivent apprendre alors qu’eux savent !!! Et parce qu’ils savent, ils auraient le droit d’agir différemment que les jeunes.
Des repères
Plus largement la continuité entre réseaux sociaux numériques, médias en continu et médias classique est désormais un fait qui se confirme chaque jour. De plus en plus souvent les uns font référence aux autres et désormais, à l’instar d’un ex président des USA, de nombreux politiques tentent aussi l’aventure. Mais ce mélange ne fait qu’amplifier l’omniprèsence d’une information qui désormais doit se résumer en quelques phrases, courtes, « bien senties ». Or c’est là que se pose le problème éducatif : Peut-on tout dire ? Que cache l’humour ? Quelle censure devrait-on mettre en place ? Plus qu’éducatif, c’est un problème de vie en société, mais, bien sûr, c’est aujourd’hui que nous préparons les adultes de demain.
Plusieurs humoristes ont soulevé récemment le problème : Sophia Aram en publiant le livre « la question qui tue », et François Morel dans plusieurs chroniques récentes. Tous les deux utilisent l’humour et analysent la nuance de deux manières différentes mais concordantes. L’éducateur, l’enseignant, le formateur, tous ceux qui sont censés transmettre le savoir et aussi l’information devraient s’arrêter un instant sur le droit à la parole. Les enseignants pourront mettre à profit ces billets et émissions qui nous alertent continuellement sur les dérives qui se multiplient en ce moment. Dans la classe il peut être intéressant d’analyser ces chroniques, ces textes avec les élèves car elles sont un bon complément à l’analyse des propos problématiques. En se situant au niveau deux de l’analyse (analyse de l’analyse), l’enseignant peut ainsi utiliser ce tiers pour engager les élèves dans des échanges et des réflexions.
Pour faire cela quelques repères et indicateurs peuvent être utiles pour mieux décrypter les messages et les propos auquel nous avons accès:
Spectaculariser : L’important c’est l’accroche, le titre, car les auditeurs, les lecteurs ne vont pas voir le reste de l’article !
Capter l’attention : Peu importe l’importance du sujet, l’essentiel est qu’il attire l’attention du lecteur (auditeur, spectateur) !
Hiérarchiser : Relayer une information qui concerne 20 personnes est aussi important qu’une qui en concerne 100 000 !
Amplifier : Interroger une personne et en faire un gros titre, c’est faire croire à la force, la véracité de cette parole !
Rassurer : Les experts et les spécialistes sont toujours de bons relais pour faire passer une information, même fausse !
Manipuler : L’important dans une communication ce n’est pas ce qui est dit, mais comment c’est reçu !
Eduquer contre la meute
Comme on peut le constater, il y a beaucoup de travail à faire si l’on veut éduquer à une prise de parole qui soit respectueuse de l’autre, même lorsqu’elle se veut humoristique. Pierre Merle a bien démontré cela à propos de paroles d’enseignants : même sans le vouloir nous pouvons être blessant, humiliant pour les élèves. Sophia Aram ne dit pas autre chose à propos de la vie courante. François Morel montre qu’il n’est pas non plus à l’abri. Et sur les Réseaux Sociaux Numériques nous constatons cela constamment. C’est probablement d’ailleurs ce qui les rend aussi attirants que repoussants : ils font frémir, il ne présentent aucun intérêt, la plupart du temps.
Il est temps que dans le monde éducatif, formel et informel, scolaire ou familial, on prenne le temps de travailler réellement ces questions. On l’avait déjà vu avec l’avènement des blogs au début des années 2000. On le constate encore aujourd’hui. Si chacun de nous ne prend pas le temps d’un retour sur ses propres pratiques et sa compréhension des pratiques sociales de ces moyens, il sera impossible d’avancer et donc d’aller vers des prises de paroles « responsables ». Une partie de nous même chercher le frisson d’émotion, une autre partie cherche la tranquillité des relations amicales. D’un coté la volonté de s’affronter, de l’autre la recherche du confort personnel. Le biais de confirmation s’ajoute désormais au comportement de meute et nous pouvons tous en être rapidement complice. C’est aussi vrai en ligne que dans les rencontres physiques, comme on peut le constater dans le phénomène des bandes. Nous avons un devoir d’éducation, le monde scolaire est très démuni pour cela, mais il ne doit pas être absent de ce questionnement.
Bruno Devauchelle