La note d’information de la DEPP sur l’évaluation du plan numérique de 2015 est particulièrement intéressante. Elle apporte enfin des réponses que l’on espérait depuis longtemps : quels sont les effets des politiques publiques dans le domaine du numérique éducatif ? Première pierre dans le jardin du ministre de l’Éducation actuellement en poste, cette étude démontre deux choses : d’une part, l’importance d’évaluer les dispositifs et, d’autre part la pertinence du déploiement des équipements individuels mobiles (EIM) proposés dans le plan Hollande de 2015. Or c’est bien JM Blanquer qui a stoppé cette initiative dont l’étude montre qu’elle a eu un impact positif sur les apprentissages. Même si le travail mené laisse de côté des dimensions complémentaires qu’il est parfois difficile d’explorer (méthodes pédagogiques, manières d’enseigner, contenus abordés en classe etc.) il demeure étayé solidement sur le plan méthodologique comme le montre le document scientifique (document de travail DT 21 01).
Il faut avoir l’équipement sous la main
Qu’apprenons-nous de cette étude ? Principalement que la disponibilité d’équipements individuels mobiles (EIM) est la plus efficace pour les apprentissages quand chaque élève dispose constamment d’un EIM, au collège et à la maison. Autrement dit la nécessité d’équipement en proximité. Cette seule conclusion conforte d’une part une proposition que j’avais faite en 2003 lors d’une émission de France Culture à savoir que le numérique ne peut avoir de réels effets que lorsqu’il est à « portée de la main ». D’autre part, cette enquête conforte celle menée dans les Landes, première collectivité à avoir distribué des ordinateurs portables à tous les élèves de quatrième et troisième. Deux études, l’une menée en 2009 (TNS- SOFRES) et l’autre en 2019 (ASDO) ont mis en évidence, en partie, les mêmes conclusions sur la pertinence de la proximité de l’équipement (dans le cartable) pour favoriser les pratiques pédagogiques.
Les classes mobiles moins efficaces
Autre enseignement qui peut surprendre, les Classes Mobiles (CM) n’amènent pas d’effets positifs significatifs. Il est dommage que l’enquête n’approfondisse pas cette question auprès des enseignants et des chefs d’établissements. Depuis longtemps, nous avons observé que la réservation des équipements informatiques est un frein à leur utilisation pertinente par les enseignants. Nos propres observations ont bien permis de voir que l’équipement individuel de chaque élève accessible immédiatement est la base d’une réelle prise en compte par les enseignants dans leurs pratiques. Parce que, comme un livre, un cahier, un crayon, l’équipement peut être sollicité « quand on en a besoin », les enseignants sont plus à l’aise pour les mobiliser. Alors que s’il faut planifier parfois plusieurs semaines avant, l’accès à ces matériels, cela complique grandement la possibilité d’une utilisation de proximité.
Un des volets intéressants de cette enquête, appuyée sur des méthodes scientifiques et mises en oeuvre par des équipes de recherche, est celui qui concerne l’évaluation des compétences. En effet, ces travaux ne se limitent pas à l’évaluation scolaire mais abordent aussi des compétences comme « compréhension orale, esprit critique, créativité et collaboration ainsi que compréhension écrite ». Ainsi, les chercheurs ont pu démontrer de manière plus fine les résultats obtenus et la différence entre EIM personnel et Classes Mobiles. Parmi les conclusions de l’enquête on peut lire : « Alors que la disponibilité des outils numériques aurait pu inciter les enseignants à échanger davantage entre eux et à développer le travail collaboratif entre élèves, on ne distingue aucun écart entre les différents groupes de l’évaluation. ». Cette remarque est significative d’un des aspects centraux de la scolarité actuelle : l’individualisme des parcours des élèves d’une part, mais aussi l’individualisme dans les pratiques enseignantes. Cela n’est pas nouveau, mais cela conforte, à nouveau, des analyses faites par ailleurs depuis longtemps.
Un plan abandonné sans évaluation par JM Blanquer
Parmi les remarques et questions que l’on peut se poser à la lecture de ces documents, c’est d’abord, et les chercheurs le signalent dans le document de travail, que l’on ne connaît pas les spécificités des pratiques enseignantes selon la disponibilité ou non des équipements : « la relation causale entre pratiques d’enseignement et effet des outils sur les scores reste à étudier ». Il faudrait, pour cela, mener des observations en classe et des suivis de proximité et pas seulement des questionnaires ou des entretiens. Autre remarque, les auteurs ne distinguent pas le type d’EIM (ordinateur portable ou tablettes). Il n’est à aucun moment fait allusion aux spécificités des équipements et très peu aux services et applications disponibles sur ces appareils. On s’étonne cependant d’une remarque sur la motivation des élèves, comme facteur devant être analysé. Cette dimension fait débat tant elle est multidimensionnelle et ne peut être simplement évaluée. En général, c’est du ressenti, mais cela reste du déclaratif.
La mise à disposition de cette enquête cinq années après le lancement du plan est une bonne chose. Si l’on peut regretter la distance temporelle, les chercheurs connaissent bien cette nécessité d’une approche longitudinale et une analyse poussée des données. Or cela demande du temps. Les amateurs de méthodologie pourront le comprendre en lisant le document de travail. C’est aussi une bonne chose, car au moins c’est une évaluation d’une politique publique qui se fait de manière rigoureuse et « à distance ». On constate que l’actuel ministre avait jeté aux oubliettes ce plan sans évaluer ses effets, peut-être va-t-il changer d’attitude comme on peut le penser dans le cadre du projet « territoires numériques éducatifs » ? Malheureusement, alors que les travaux scientifiques sur ce dispositif commencent en ce moment, une extension de cette politique est déjà à l’oeuvre par la multiplication annoncée de « territoires ».
Féru de preuves scientifiques, le ministre va pouvoir réfléchir à une politique du numérique éducatif en s’appuyant sur cette enquête ELAINE (qui se poursuit bien sûr). Pour les enseignants et les responsables dans les rectorats, mais aussi les collectivités territoriales, voici un document qui, bien que parfois difficile à lire, est précieux et vient renforcer la littérature scientifique française sur le sujet. Attention bien sûr à ne pas oublier, dans notre lecture de ce travail, l’effet spécifique d’une organisation scolaire française qui, à bien des égards, est différente de celle de nos voisins, proches et lointains, auxquels on aime se comparer, en bien comme en mal…
Bruno Devauchelle