« Si je devais choisir un mot pour dire les profs en tout cas, la plupart des profs que j’ai connus depuis 30 ans maintenant, ce serait : imperturbables ». Professeure de lettres, Nathalie Quintane pose sa prose imperturbablement. Pourtant elle bouillonne. Son dernier livre (Un hamster à l’école, La fabrique éditions) jette un regard cru, un peu désespéré, sur l’école comme machine à soumettre et à fabriquer des inégalités. Un regard social donc aussi. Et au final lucide. C’est plein de références dont seuls les enseignants peuvent saisir le sel. Et ça valait la peine de rencontrer l’autrice…
« A la fin des années 70, je suis passée du 93 au 95… Je suis passée de l’autre coté de la butte et de l’autre coté de la butte, j’étais nulle ». La première phrase du « Hamster à l’école » on la prend en pleine figure quand on est enseignant. Tellement vrai, tellement dans le non dit quand officiellement l’éducation distribuée est égale de Dunkerque à Marseille comme de Neuilly sur Seine à Neuilly sur Marne. Entrée dans l’Education nationale en 1986, Nathalie Quintane enseigne actuellement dans un collège de centre ville d’une petite ville des Alpes après un parcours dans des banlieues populaires. Un cheminement dans l’Education nationale qui nourrit son livre.
Comment nommeriez-vous ce livre ? Un essai ? Un récit ? Un roman ?
Je viens de la poésie et ça se sent dans mon livre. Je ne suis pas romancière. J’essaie de faire un livre qui est entre poésie , littérature et essai. Une littérature essayiste mais marquée par la recherche d’une forme adéquate qui soit fraiche et qui puisse trancher. Ma prose est coupée pas à n’importe quel endroit. Chaque mot à la rime est d’une nature différente pour casser les réflexes syntaxiques que l’on peut avoir. Ca casse la routine qui serait celle du hamster.
Le livre nourrit l’image du professeur hamster. Que voulez vous dire ?
J’ai pensé très fort à Kafka et à la manière dont la convocation des animaux permet de rendre étrange les choses. C’est ce que j’essaie de transmettre. L’auteure voit les choses de telle sorte que les bras lui en tombent. Souvent dans l’enseignement les bras me tombent . Je suis étonnée de ce qu’on accepte dans ce métier. Le hamster permet de dire cela.
Il y a dans le livre le portrait d’un principal particulièrement acéré et en même temps distancié. C’est votre rapport à l’institution ?
Les principaux ne sont pas l’institution. Ils en font partie. Quand on a un bon principal les choses se passent bien. Quand il n’est pas très bon ça peut être une catastrophe. Lui était un cas particulier intéressant. C’était le plus jeune et le plus à la mode, formé aux techniques de management.
Vous n’êtes pas tendre avec les enseignants. Que leur reprochez vous ?
C’est impossible à résumer. Il faut lire le livre ! Mais mon livre n’est pas un pamphlet même s’il est critique. C’est un livre qui espère une école émancipée et critique ce qu’elle n’est pas. Mais ce n’est pas la seule faute des enseignants. Je suis moi-même enseignante et je suis avec eux. J’ai les mêmes réflexes et la même routine de hamster. Je ne me place pas au dessus d’eux. Mais j’ai le droit de pointer ce qui ne va pas. Car je ne vois pas les choses changer. Pour le moment les enseignants semblent penser qu’ils vont sauver l’essentiel, que leurs enfants s’en sortiront. Ce que je ne crois pas.
On sent de la nostalgie. C’est le classique écart entre le métier rêvé et el métier réel ?
Ce n’est pas cela. Si je suis restée en collège c’est que le tri des élèves n’a pas encore été totalement fait. Donc je peux avoir tous les enfants. Et j’ai tous les jours envie de les retrouver. J’aime essayer de travailler avec eux. Je fais ce métier pour les élèves.
Le métier est devenu impossible ou socialement douteux ?
Le livre est ouvert à différentes paroles. Particulièrement à celle des parents moins favorisés socialement qui sont très inquiets pour l’avenir de leurs enfants. L’exclusion vient de la société et pas seulement de l’école. Ce que dit ce livre c’est que l’institution scolaire ne pourra changer que si les choses changent plus globalement. Les enseignants ne peuvent pas tout. Ce livre n’est pas un livre contre l’école ou les enseignants. C’est un livre au ras de l’expérience qui parle des enfants, un livre divers mais critique.
Vous n’êtes pas tendre avec les élèves. Comment les voyez vous ?
Je ne partage pas cet avis. Je crois que je suis tendre avec les élèves. Je les vois tous les jours et je suis tendre avec eux tous les jours. Je partage par exemple ce cours d’après le confinement où je retranscris ce qu’ils m’ont dit de leurs angoisses.
Qu’attendez vous de ce livre ? Une évolution du métier ? De l’institution ?
Je fais de la littérature. Je n’attends rien de particulier de ce livre. Je l’espère assez drole pour faire rire les gens et donner une autre vision, plus nuancée, de l’enseignement. Mais dans la situation actuelle, les bras m’en tombent. Il se passe dans l’Education nationale ce qui s’est passé dans La Poste dans les années 1990, ou à la SNCF : la liquidation d’un statut et la privatisation. On voit un détricotage du statut des fonctionnaires, l’arrivée de contractuels et une école à 3 vitesses comme les 3 classes des trains d’antan. Et on se débouille comme ça.
Propos recueillis par François Jarraud
Nathalie Quintane, Un hamster à l’école. La fabrique éditions, ISBN 978-2-35872-209-4, 13€