« Répond mal à l’adulte ». « Est agité ». « Range n’importe comment ». « Coupe la parole ». Ces mentions sont extraites d’un questionnaire destiné aux élèves des petites sections de maternelle. Réalisée par la Depp, cette enquête va concerner 35 000 enfants qui seront suivis tout au long de leur scolarité. Mais que poursuit donc le ministère avec ces fiches d’observations qui rappellent de mauvais souvenirs ?
Comportementaliste et subjectif
Etalée sur plusieurs pages, la « grille d’observation élève » propose une vingtaine de questions par page, toutes relatives au comportement de l’enfant. L’enseignant doit cocher des cases pour dire si l’enfant se comporte ainsi souvent, parfois ou jamais. Le livret est nominatif et les données vont suivre l’élève jusqu’à sa sortie de l’éducation nationale.
Les questions posées sont comportementalistes et subjectives. On demande si l’enfant « répond mal à l’adulte ». S’il « réagit de façon excessive ». S’il « refuse de rentrer dans l’activité ». S’il « ne réfléchit pas avant d’agir ». S’il perd des vêtements. S’il « coupe la parole ». S’il « a des accès de colère ». On imagine les petites croix s’accumuler et un expert comportementaliste dessiner un profil permettant de classer l’enfant dans une catégorie.
35 000 enfants mis en fiches
Le nouveau questionnaire sera proposé par la Depp de janvier à mars à 35 000 élèves de 1700 classes de petite section de maternelle, c’est à dire âgés de 3 ans. Ces enfants seront ensuite suivis tout au long de leur scolarité. C’est le « panel 21 » qui fait suite aux panels 2007 et 2011 de la Depp.
L’enquête remplie par le professeur sera complétée par une interrogation des parents sur la situation familiale, l’implication des parents dans les études de l’enfant. Pour la Depp, « il s’agit d’une opération statistique comme les autres panels » dont les questionnaires sont en test. « Nous avons choisi de commencer le nouveau panel en maternelle car désormais l’instruction est obligatoire à 3 ans et on voit bien que par exemple les inégalités sociales sont déjà très fortes en termes scolaires en début de CP et c’est donc très important de suivre des parcours dès l’entrée en maternelle », nous dit la Depp. Le panel est décrit sur le site du ministère qui se garde bien de révéler la réalité des questionnaires.
A quoi ça sert ?
On s’interroge sur l’objectivité du questionnaire et ses finalités. Vouloir ainsi caractériser le comportement d’un enfant de 3 ans suppose qu’il y a un enfant modèle qui sert de référence. On aimerait le connaitre ! Car tous les enfants répondent, ne rangent pas leurs affaires etc. u jour ou l’autre. On aimerait aussi connaitre le baromètre qui définit l’écart entre le souvent et le parfois. En fait dans cette enquête on navigue dans une subjectivité totale. On s’interroge aussi sur l’intérêt et la finalité de tout cet appareil. Entend on définir des groupes d’enfants « menteurs » ou « agités » pour voir ce qu’ils deviennent ? Des familles qui ne s’occupent pas « bien » de leurs enfants ? Dont les « aspirations » sont pas conformes ? Car ces étiquettes vont suivre l’enfant et sa famille. Ils seront marqués par ces mentions et aussi blessés par elles. On se demande aussi quel enseignant acceptera de caractériser ainsi définitivement un enfant de 3 ans à coup de petites croix.
Un précédent
Ce questionnaire a eu des précédents. En 2005, un groupe d’experts de l’Inserm avait défini une nouvelle maladie, le « trouble des conduites » dont les symptomes étaient l’opposition, le mensonge ou même l’absence de timidité. « Dans l’intérêt des enfants » ils recommandaient un dépistage dès 3 ans réalisé par les enseignants, sensibilisés à leurs travaux, pour une intervention très précoce sur les enfants. A l’époque le questionnaire Inserm a fait scandale et le groupe de pédopsychiatres qui étaient derrière ce projet n’a pu aller au bout.
François Jarraud