Chaque année, la question de l’orientation scolaire refait surface en début d’année civile. Il va falloir choisir, se déterminer, candidater et espérer accéder à ses voeux. Le passage par le support national (Parcoursup, à la suite d’APB pour la terminale et le téléservice orientation pour la fin de 3è, Affelnet pour l’affectation en lycée) est incontournable, car il articule et met en relation la plupart des acteurs concernés. Reste, bien sûr, à remplir les bonnes cases de ces logiciels, mais aussi à comprendre la logique à déployer pour espérer obtenir les choix premiers. Autrement dit chacun espère que les algorithmes et paramètres de recrutement associés vont lui être favorables. S’il y a d’un côté le travail scolaire qui va être transmis à l’application par les enseignants, il y a, d’un autre côté, tous les compléments qui vont être demandés à l’élève pour permettre le choix final. Mais cela reste toujours obscur, surtout pour celle ou celui qui n’a pas eu satisfaction de ses choix. Si certains établissements accompagnent la démarche de remplissage, le problème principal est celui de la préparation de ce moment et cela commence souvent bien longtemps avant.
Si à 15 ans certains jeunes ont un projet d’avenir et d’orientation précis, ils sont très minoritaires en regard de ceux qui cherchent leur voie encore longtemps après. Parfois même ils ne l’ont pas défini par eux-mêmes, mais ont été « orientés » de manière opportuniste, pragmatique, au fil de l’eau, au gré des évènements et cela, parfois tout au long de la vie. C’est ce constat qui a amené à développer dans les établissements scolaires et autour des dispositifs pour aider les jeunes dans leur évolution. Appelé par certaines tyrannies du projet (d’avenir) ces dispositifs ont évolué au cours du temps et devenant de plus en plus prégnants avec le développement structurel du chômage rendant la « compétition scolaire » encore plus importante. Malheureusement, ces dispositifs semblent avoir du mal à trouver leur terrain de mise en oeuvre. L’instrumentation par le numérique au début des années 2010 n’a pas connu le succès escompté.
En juillet 2008, une circulaire présente « le Parcours de découverte des métiers et des formations ». C’est à ce moment là qu’est promue l’application « webclasseur » qui doit permettre au jeune de structurer son parcours autour d’un espace numérique qui permettrait de conserver les traces des activités autour de l’orientation menée dans les classes de la 6è à la terminal. Ayant rencontré peu de succès et l’initiative de ces parcours n’en ayant pas eu beaucoup plus, un autre texte vient, en 2013, ouvrir des horizons en proposant quatre parcours : le parcours d’éducation artistique et culturelle (PEAC), le parcours citoyen, le parcours éducatif de santé et le parcours Avenir (ce dernier étant la suite directe). Bien sûr, le « webclasseur » si peu utilisé a été remplacé par « Folios », application informatique parfois intégrée aux ENT, qui remplit globalement les mêmes fonctions que le webclasseur. On peut lire sur le site de l’ONISEP la présentation de Folios qui ressemble étrangement à son prédécesseur. Là encore, et des enquêtes récentes le confirment, le produit n’est que très peu utilisé et est largement sous-estimé dans les établissements scolaires.
Revenons sur l’état d’esprit qui a présidé à ces dispositifs : en premier lieu le souci d’orienter, ensuite le souci d’articuler école et vie professionnelle, puis le souci de continuité et de cohérence dans les démarches (les fameux parcours), et aussi le souci de se rapprocher de la démarche e-portfolio dont le rêve continue de circuler dans les milieux de la formation et de l’enseignement, et enfin l’idée que le monde numérique est en train de rebattre les cartes de l’orientation et que l’institution scolaire se doit de tenir sa place au-delà de l’information dont l’ONISEP (« l’info sur les métiers et la formation ») est le principal acteur. Bien sûr impliquer les enseignants et les élèves et la pierre angulaire d’une part de ces parcours et d’autre part de la mise en oeuvre de ces instruments. Les applications webclasseur et folios n’ont pas rencontré leur public et n’ont pas suscité l’adhésion dans le quotidien de l’orientation scolaire. En ajoutant trois parcours en 2013, la loi d’orientation a tenté de relancer la machine, mais cela ne marche pas, reconnaissons-le.
On découvre dans les orientations issues des États Généraux du Numérique cette proposition n°14 : « Concevoir un espace numérique personnel pour l’éducation et l’orientation (portfolio des compétences des élèves) en s’appuyant sur l’ONISEP ». On ne peut que s’interroger sur cette proposition qui d’une part n’est pas issue des propositions liées au confinement (les fameux retex), et d’autre part qui ressemble à quelque chose qui existe déjà (Folios…). Deux mots-clés bien sûr : portfolio et compétences. Or ces deux termes sont ceux qui suscitent beaucoup d’interrogations voire d’oppositions au sein des enseignants. Et surtout deux champs conceptuels qui sont explorés depuis longtemps et dont les travaux de recherche ont déjà repéré les obstacles et les incompréhensions, mais surtout qui ont pu observer l’échec des expérimentations et des déploiements…. Mais alors, pourquoi recommencer ? Parce qu’on oublie d’analyser la problématique de l’orientation en terme de besoins, d’attentes, en lien avec un contexte social d’abord (micro, mezo, macro) et parce qu’on oublie que le système scolaire est fondé sur ce qu’un de nos collègues enseignant/formateur appelait « la distillation fractionnée » pour illustrer l’orientation par la sélection progressive basée sur l’échec. Or, intuitivement, élèves et parents l’ont bien compris, mais apparemment pas le monde de l’institution scolaire, celle-ci restant arcboutée sur son dogme de la réduction des inégalités…
Non, le numérique ne peut rien. Mais il est devenu indispensable pour tout parcours professionnel. Autrement dit, même pour l’orientation, il faut savoir s’en servir et donc apprendre mais surtout comprendre. La multiplication des officines et autres applications numériques pour aider à l’orientation indique qu’il y a là un « marché », celui de l’angoisse (nous l’avons évoqué il y a déjà plusieurs années). Malheureusement, c’est le chaos, le flou, la surinformation, la mésinformation et ni les parents ni les jeunes n’ont vraiment les moyens d’y voir clair. D’ailleurs, les enseignants ne sont pas davantage à l’aise avec ces questions… et même certains professionnels de l’orientation sont aussi un peu perdus. C’est pourquoi la démarche d’orientation devrait se construire en utilisant la fameuse méthode « agile ».
Pour le dire autrement l’orientation est un acte personnel fondé sur le tâtonnement et les interactions. Elle se construit de manière incrémentale et non linéaire. Chacun peut se construire ses propres outils et parfois un simple répertoire bien organisé et complété régulièrement est suffisant. Pour d’autres le recours à des expertises externes, humaines ou numériques, est un moyen d’éclairer ses choix et de prendre une décision qui se construit d’abord « dans la tête ». Quant à la volonté du monde enseignant d’accompagner, d’aider, elle ne peut se fonder que sur deux principes : favoriser un environnement informationnel et communicationnel riche et être disponible et ouvert aux questions que posent les jeunes. Cette ouverture doit prendre aussi parfois la responsabilité de ne pas savoir, de se renseigner, de questionner, d’interagir avec le jeune. Faut-il alors des instruments numériques spécifiques et « nationaux » ? Assurément non, ou alors simplement sous la forme d’une mise à disposition de ressources informationnelles et logicielles ainsi que de dispositifs ouverts construits au sein des établissements permettant de « mettre des mots » sur les stratégies d’orientation….
Bruno Devauchelle