En finir avec les collèges ghettos où les élèves, très majoritairement issus des mêmes milieux, sont contraints à l’entre soi : la question, largement débattue durant le quinquennat précédent, avait quasiment disparu de l’actualité éducative sous Emmanuel Macron et son ministre de l’Éducation Jean-Michel Blanquer. Créée en 2019 à Vénissieux, dans la banlieue lyonnaise, l’association No Ghetto ! la fait aujourd’hui resurgir avec une idée qui risque de faire polémique. Pour ses animateurs, si l’on veut assurer une réelle mixité, il faut obliger les élus à faire bouger la carte scolaire en prenant en compte un critère de mixité sociale et aussi d’origine des élèves. Fazia Ouatah, la trésorière de l’association, par ailleurs élue LREM d’opposition à Vénissieux, a répondu aux questions du Café.
L’association No Ghetto ! a été créée en 2019 pour protester contre le projet de construction d’un collège entre deux zones urbaines sensibles, les Minguettes à Vénissieux et l’Arsenal à Saint-Fons. Ses fondateurs dénoncent le choix de ce site qui, selon eux, va inévitablement déboucher sur un nouveau collège ghetto où seront scolarisés des enfants de milieux défavorisés pour la plupart issus de familles d’origine maghrébine.
Aujourd’hui No Ghetto ! entend porter la question au niveau national. L’association veut faire inscrire dans le projet de loi « confortant le respect des principes de la République » (loi contre le séparatisme), l’obligation pour les élus locaux de favoriser la mixité dans les collèges et de rendre compte des progrès réalisés en ce sens. Pour cela, No Ghetto ! propose de s’appuyer sur un nouvel « indice de mixité sociale et d’origine » dans les collèges, que les élus publieraient chaque année.
Trésorière de l’association, Fazia Ouatah, une cadre commerciale également engagée en politique, a participé à la création de No Ghetto ! et revient sur la mobilisation en cours.
Vous demandez que l’on prenne un compte un nouvel indice de mixité sociale et aussi d’origine des élèves : pourquoi ?
Certains parmi nous habitons Vénissieux. La ségrégation de l’habitat a fait que l’on a créé des ghettos et la sectorisation des collèges a ajouté à la ségrégation : les élèves d’un même milieu se retrouvent au collège dans une forme d’entre soi, ce qui peut conduire à des dérives, à de l’échec scolaire, du décrochage, de la délinquance…
Il existe un dispositif législatif permettant aux conseils départementaux de favoriser cette mixité en jouant sur la sectorisation. Mais les élus en charge de la carte scolaire – pour nous, la Métropole de Lyon – ne s’emparent pas du problème. Or la Cour des comptes a récemment publié des conclusions très alarmantes, concernant notamment le plateau des Minguettes et pointant l’aggravation des inégalités et le manque de mixité sociale et d’origine. Les Minguettes comptent jusqu’à 75 % de logements sociaux avec une majorité de populations maghrébines.
La mixité sociale et d’origine est indispensable. Pour y parvenir, il faut activer différents leviers, mettre en place des indices, changer la sectorisation. Pourquoi n’obligerait-on pas les élus à agir ? Aujourd’hui, nous voulons profiter de la loi sur le respect des principes républicains pour faire un travail auprès des parlementaires afin de faire voter des amendements en ce sens.
Vous ne craignez pas la polémique en introduisant un critère sur l’origine ?
Le constat est tellement négatif qu’il y a un moment, il faut appeler un chat un chat. Quand sur le plateau des Minguettes en pleine paupérisation, on voit des personnes arriver en France sans maîtriser la langue, on est en droit de se demander comment vont évoluer les enfants à l’école, s’ils auront les mêmes chances que les autres. Nous sommes convaincus que les enfants doivent faire l’expérience de l’altérité, pouvoir voir autre chose, d’autres personnes, acquérir ainsi une ouverture d’esprit…
Il n’est pas question de pointer du doigt ou de stigmatiser quiconque – je suis moi-même issue de l’immigration. Nous parlons d’indice. Les statistiques ethniques sont interdites. Mais le critère de l’origine peut tout à fait se fonder sur le pays de naissance des parents et grands-parents. C’est d’ailleurs ce critère qui est utilisé par l’Insee pour ses enquêtes Trajectoires et origines.
Pour créer ce nouvel indice, nous ne sommes que des habitants mobilisés. Des spécialistes savent parfaitement définir des indices pertinents. Celui utilisé actuellement par l’éducation nationale (l’indice de position sociale) est la résultante d’une dizaine d’indicateurs… Mais sans prendre en compte l’origine.
Quels retours avez-vous des parlementaires à qui vous avez adressé des courriers ?
De nombreux députés de tous bords sont d’accord avec nous sur le constat. Ils veulent faire quelque chose. Nous avons eu des échanges en visioconférence avec une dizaine d’entre eux – notamment de LREM, du PS, du Modem, d’Agir ensemble – et nous allons continuer à en avoir jusqu’à la date limite de dépôt des amendements au projet de loi. Certains députés vont proposer des amendements allant dans notre sens.
Vous avez écrit aussi à Emmanuel Macron ?
Nous avons écrit au président de la République, au ministre de l’Éducation nationale, à la secrétaire d’État chargée de la jeunesse et de l’engagement ainsi qu’au Dasen du Rhône. Hormis un accusé de réception du chef de cabinet de la secrétaire d’État qui a « salué notre engagement », nous n’avons eu aucune réponse. Mais nous nous concentrons pour l’instant sur les députés qui pourraient faire émerger cette question lors des prochains débats sur le projet de loi sur le respect des principes républicains.
Vous-même êtes à LREM ?
Je suis en effet élue d’opposition à Vénissieux, tout comme un autre membre de No Ghetto !, Farid Ben Moussa qui siège dans un autre groupe. Mais ce qui rassemble la cinquantaine de membres de notre association – en majorité des parents d’élèves, également de Vaulx-en-Velin, de Lyon… – concerne la situation des collèges. Je suis aussi conseillère municipale mais ce sont deux choses bien distinctes pour moi. Notre association est sans étiquette, nos membres viennent de tous les horizons politiques.
Quelles réactions avez vous eues de la Métropole de Lyon ?
Nous avons eu rendez-vous avec la vice présidente en charge des collèges, Véronique Moreira. Cela s’est bien passé, elle nous a écoutés. Mais il n’y a pas eu de remise en question du site choisi pour le collège entre les deux ZUS de Vénissieux et de Saint-Fons. Plusieurs raisons ont été invoquées, dont la pression démographique des élèves. Il a été par ailleurs question de participer à des ateliers de travail et de réflexion mais pour l’instant, il ne s’est rien passé.
Vous êtes optimiste ?
Le projet de loi sur le respect des principes de la République est une opportunité pour faire entendre nos demandes. Mais je ne voudrais pas être trop optimiste. Quels amendements seront finalement adoptés ? Attendons de voir.
Recueilli par Véronique Soulé