Le 30 janvier prochain, le GFEN – Groupe français d’éducation nouvelle – tiendra la treizième édition des Rencontres nationales de la Maternelle. A défaut d’être en présentiel et sur une journée complète, c’est en ligne et sur la matinée que se dérouleront les Rencontres. Un évènement que beaucoup d’enseignants et enseignantes maternelle attendent, tout particulièrement cette année avec la note publiée par le CSP. Jacques Bernardin, président du GFEN, nous explique les enjeux de cet évènement mais aussi de ceux que soulèvent la note du conseil scientifique.
Pourquoi une journée du GFEN dédiée à la maternelle ?
Il nous a semblé indispensable de sauvegarder ce rendez-vous annuel des Rencontres nationales sur la maternelle, c’est la 13ème édition, dans cette période déprimante de reflux contraint des initiatives et formations, tant institutionnelles qu’associatives. Depuis maintenant près d’un an, ces contacts empêchés ruinent notre vitalité, nous laissant à la merci du flux médiatique et des injonctions officielles, réelles ou virtuelles. Rude société que celle qui amène à renoncer aux contacts sociaux et à se méfier de l’autre, qui entretient l’incertitude permanente et qui multiplie les contrôles, une sorte de dictature sanitaire que nous sommes contraints de soutenir ! C’est une affaire de santé mentale que d’échapper à cette servitude, à cet enfermement psychique.
Qu’attendez-vous de ce rendez-vous ?
Il s’agit de rompre avec la solitude professionnelle, de retisser les liens personnels et associatifs, d’éprouver notre liberté de penser et d’agir en conscience. Pas question de renoncer à notre volonté d’infléchir l’éducation pour une démocratisation effective à travers des pratiques émancipatrices. Les discours autorisés promettent beaucoup mais les actes servent le contraire.
Dans cette période confuse, redoutable pour les familles les plus démunies, les mots sont retournés et entretiennent le leurre auprès de l’opinion publique. Les enseignants eux-mêmes sont ballottés entre l’appel à un professionnalisme « reconnu » fait de débrouillardise sans moyen et une instrumentation serrée par le biais de guides et recommandations, sous contrôle évaluatif.
Se rencontrer, échanger, débattre et co-élaborer entre pairs, hors de toute tension hiérarchique, cela permet d’échapper à cette tyrannie schizophrène, d’exercer un esprit critique salutaire, gage d’investissement professionnel revivifié.
Dans le programme, vous n’abordez pas la note du CSP. Est-ce volontaire ?
Nos rencontres ont été programmées bien avant la note du CSP, ceci explique cela. La question du langage est déterminante pour le devenir des élèves : c’est ce qui nous a amenés à l’inscrire comme thématique centrale cette année. Nous n’imaginions pas que l’actualité allait nous rattraper aussi vivement ! Même si le ministère s’est tout récemment exprimé, communiqué du 8 janvier 2021, pour éteindre la volée de critiques que ce texte a suscité, les réorientations qu’il propose du programme de 2015 seront en arrière-fond de nos échanges.
Que pensez-vous, au GFEN, de cette note ?
Comme bien d’autres commentateurs, nous constatons à sa lecture que la maternelle court le risque d’un retour à une primarisation qu’elle a déjà connu dans les années 2008, une primarisation aux effets discutables. Les attendus constituent la grande section en pré-CP, tant en mathématiques qu’en français, les évaluations de rentrée CP étant appelées à être les standards sur lesquels la maternelle devrait s’aligner. Régulation du système scolaire par l’aval, en quelque sorte, au risque d’un « teaching for test » que le Royaume-Uni a déjà expérimenté, le payant par une dégradation de ses résultats.
On passera sur les approximations discutables, comme par exemple « l’enseignement, centré sur la compréhension des textes entendus, vise à introduire le principe alphabétique ».
Malgré quelques précautions liminaires, les propositions d’aménagement visent très explicitement à « mettre l’accent sur la langue » pour infléchir le programme qui, lui, « affirme la place primordiale du langage », accent sur la « langue française » est-il plusieurs fois rappelé, dans un clin d’œil appuyé à qui de droit…
On peut trouver opportun d’être attentif dès le plus jeune âge aux aspects formels du langage- attention à la prononciation, au vocabulaire et à la syntaxe, de développer la conscience linguistique à travers les jeux de mots et les comptines, mais jusqu’où ne pas aller trop loin dans le glissement vers un enseignement précoce des unités formelles de la langue ? Si en fin de maternelle, « tous les enfants doivent être capables de distinguer et de manipuler les syllabes d’un mot, les sons-voyelles et quelques sons-consonnes facilement identifiables », on craint le régime auquel, dès la PS, les jeunes élèves seront soumis pour y parvenir…
Des leçons de choses aux leçons de langage, l’avenir de l’école semble ainsi s’inscrire dans la logique du passé. Entre indigence et blouse grise, l’école maternelle va devoir trouver sa voie.
De quoi a besoin la maternelle aujourd’hui ?
Outre de reconsidérer la scolarisation des 2 ans, désormais oubliée, la maternelle a besoin d’une réelle formation initiale, la maternelle en a toujours été le parent pauvre, et de formation continue pour ses enseignants. Même si les jeunes enfants peuvent beaucoup, tout ne peut pas leur être demandé. L’action pédagogique gagne à connaître les étapes de leur développement, mais aussi les conditions effectives – si diverses – de leur prime socialisation.
Ainsi, ouvertes à tous, nos 13èmes rencontres se feront écho de recherches éclairant la spécificité du rapport au langage selon les univers sociaux, lors de la conférence introductive, avant de proposer quatre ateliers animés par des militants du GFEN et du SNEP, témoignant de pratiques dans tous domaines visant à faire évoluer ce rapport au langage, ateliers qui seront les supports d’échange et de débats. Il s’agira de servir une professionnalité enseignante en recherche et lucide, consciente d’un métier empêché et d’un pouvoir d’agir à reconquérir, lors de la conférence de clôture de Frédéric Saujat, propre à résister aux sirènes d’une modernité discutable.
Propos recueillis par Lilia Ben Hamouda