Quatre ans après son arrivée rue de Grenelle, JM Blanquer doit faire face à son bilan. Saïd Benmouffok, professeur de philosophie, le dresse pour nous dans un livre (Le fiasco Blanquer, Les petits matins) et il n’est pas flatteur. Pour lui ce fiasco tient d’abord à son autoritarisme, qui en a fait le ministre le plus détesté des enseignants depuis C Allègre. Ensuite par une politique qui, pour Saïd Benmouffok « signe le retour du sarkozysme en éducation ». L’auteur appelle à changer la donne en 2022 en refaisant de l’Ecole une priorité nationale.
Vous consacrez un livre à JM Blanquer. Mais en quoi il vous concerne ?
Je suis professeur de philosophie depuis 10 ans et j’ai enseigné beaucoup en banlieue, en Seine Saint Denis. J’ai pu faire l’expérience concrète des réformes de JM Blanquer. C’est ce qui m’a amené à écrire ce livre pour faire comprendre à ceux qui ne connaissent pas bien l’Ecole à quel point l’action de JM Blanquer est nuisible. Je veux lever une sorte de malentendu qui existe dans l’opinion publique et qui est un paradoxe. JM Blanquer est à la fois le ministre de l’éducation le plus détesté et il continue à jouir dans l’opinion publique d’une certaine popularité.
Son discours, très habile, reprend des termes respectables : la confiance, la lutte contre les inégalités. Mais c’est une supercherie car c’est le contraire qui se passe. Il n’a réussi à créer que de la défiance et mène une politique qui accroit les inégalités sociales.
J’ai écrit ce livre avant de travailler pour la maire de Paris, dont je suis devenu conseiller à l’éducation. Ce texte n’engage donc que moi.
Pour définir l’action de JM Blanquer vous parlez d’un « fiasco retentissant » de sa politique scolaire. Pourtant le ministre se crédite souvent de mesures phares comme le dédoublement de certaines classes en éducation prioritaire. C’est un fiasco ?
C’est le totem de JM Blanquer. En apparence c’est une mesure de justice sociale. Mais en réalité elle ne rencontre pas le succès escompté. Avant elle il y a avait dans les écoles de l’éducation prioritaire des enseignants supplémentaires, les « plus de maitres que de classes ». Cette mesure a été mise en place par V. Peillon et plébiscitée par les enseignants. JM Blanquer les a supprimé sans aucune évaluation. Il a mis en place les dédoublements de façon peu cohérente avec ce qu’il avait annoncé dans son livre. Son objectif de départ c’était la maternelle.
Mais ce qu’on observe c’est que ce dispositif est peu efficace et très couteux. Rien ne dit qu’il soit plus efficace que les maitres supplémentaires. C’est un fiasco car ça ne marche pas.
D’autre part ce qui se projette aujourd’hui pour l’éducation prioritaire est inquiétant. JM Blanquer veut introduire une logique de contrat avec les établissements prioritaires c’est à dire conditionner les moyens accordés à la satisfaction de certains objectifs, conformément à ce qu’il écrivait dans L’école de demain. Contractualiser c’est introduire la logique de l’entreprise privée dans l’école publique. C’est aussi dire qu’on donne trop aux banlieues et donc à certaines catégories de population. On est proche du discours identitaire.
JM Blanquer met aussi en avant le rééquilibrage entre le premier et le second degré. N’est il pas nécessaire ?
En fait il déshabille Paul pour habiller Pierre. L’éducation nationale manque de moyens humains. Pour pouvoir mettre en oeuvre les dédoublements dans le premier degré il a réduit le nombre d’enseignants dans le second degré. Le résultat ce sont les classes surchargées par exemple en lycée. Il dit qu’il compense cela par des heures supplémentaires mais là aussi c’est un artifice. Il augmente la charge de travail des enseignants ce qui lui permet de ne pas les augmenter.
Vous êtes très critique sur la réforme du lycée dans le livre. Vous dites qu’elle n’a pas amélioré la situation. Pourquoi ?
Sa réforme part d’un constat commun : le lycée tel qu’il existait était inégalitaire et lourd. Les filières correspondaient à une hiérarchie sociale avec les plus favorisés en S. Mais en cassant les filières il n’a pas effacé cette hiérarchie. Il a accru la concurrence entre les disciplines dans une logique consumeriste. On se retrouve avec une hiérarchie de disciplines, avec les maths en tête. Je donne des chiffres précis dans le livre. Au final ni le déterminisme social ni les inégalités de genre n’ont disparu. Les inégalités se sont accrues.
Par ailleurs la logique du controle continu est épuisante pour les élèves qui vivent toute l’année dans le stress. Tout cela pour construire un bac qui est devenu local.
Cette désacralisation du bac explique les grèves de 2019. Je n’aurais jamais imaginé auparavant que j’irais jusqu’à faire la grève du bac. Mais avec la brutalité et le mépris dont a fat preuve JM BLanquer à cette occasion on a assisté à un mouvement sans précédent. C’est lui qui a désacralisé le bac. Il l’a privé de son caractère national. Il a joué les parents contre les professeurs. Le dialogue est impossible avec lui. On peut dire que la rupture est consommée.
Pour définir le blanquérisme vous dites que le ministre confond autorité et pouvoir. Que voulez vous dire ?
Un bon ministre c’est quelqu’un qui a un projet et qui est capable d’entrainer sur ce projet en générant de la confiance. C’est quelqu’un qui peut traduire sa vision dans des réformes qui réussissent. Sur ces 3 points, JM Blanquer a bien une vision. Mais il échoue sur les deux autres points. La communauté éducative n’adhère pas à sa vision et il est incapable de l’entrainer. Il rencontre une résistance et il s’y oppose en agissant comme un petit chef. C’est là où on peut dire que s’oppose l’autorité et le pouvoir. Quand on manque d’autorité on se conduit en petit chef et on est autoritaire.
Peut on dire que JM Blanquer a un programme ?
Il l’a exposé dans ses livres et il y est fidèle. C’ets là qu’on voit que le macronisme , qui se dit ni de gauche ni de droite, en éducation a un programme de droite. Avant d’être ministre, JM Blanquer a été le chef d’orchestre du ministère sous N Sarkozy. Il a mis en oeuvre une réforme de la formation initiale qui consistait à la supprimer. J’en ai moi même souffert. C’est un homme de droite, libéral, opposé au service public. Il ne le cache pas dans son dernier livre même s’il est plus habile dans sa mission ministérielle.
C’est un technocrate, un populiste, un homme politique ?
Un peu de tout cela selon l’opportunité du moment. Il sait être populiste et jouer sur les peurs identitaires sur la question de la laïcité. Il sait être un homme politique habile dans sa communication. Il se construit l’image d’un homme consensuel alors qu’il est exactement le contraire. Il a aussi des ambitions et le goût du pouvoir.
En 4 ans , JM Blanquer a multiplié les textes. Il a aussi changé énormément de cadres du système éducatif. Peut-on sortir du blanquérisme ?
On peut en sortir et il faut déjà y penser. C’est un des objets de ce livre. Certes il a place ses proches à des postes stratégiques et il y a là aussi une rupture avec l’institution républicaine. Il a transformé l’Inspection générale pour ne faire une administration ordinaire ce qui est contraire à l’esprit de ce corps qui normalement a une grande autonomie pour contribuer intellectuellement à la conception des politiques éducatives.
Pour en sortir il va falloir faire souffler un grand vent de démocratie sur l’éducation nationale. Il faudra ouvrir là où il a verrouillé. C’est à cette condition qu’on pourra retrouver la confiance des salles de classe. Et il faudra retourner à la source de l’école républicaine : l’émancipation et l’égalité. Il faudra retrouver une ambition pédagogique qui a disparu en s’appuyant sur les pédagogies de la coopération.
Propos recueillis par François Jarraud
Saïd Benmouffok, Le fiasco Blanquer, édition Les Petits Matins, ISBN 978-2363832856. En librairie le 14 Janvier 2021