« Les retards d’apprentissage observés aujourd’hui en France suite au confinement seront persistants. Ils se traduiront par des compétences plus faibles pour tous les écoliers affectés, avec un effet négatif sur la productivité future ». Dans un rapport publié le 6 janvier, le Conseil national de la productivité, un organisme placé auprès du premier ministre, attire l’attention sur un potentiel impact durable de la crise sanitaire sur l’économie française.
Des motifs d’inquiétude préexistants
Le Conseil national de la productivité (CNP) rappelle quelques particularités françaises qui fragilisent la croissance économique. Depuis l’étude internationale PIAAC, on sait que les compétences des actifs français sont inférieures à la moyenne de spays développés. « En France, le score moyen en numératie est de 254 points, à comparer à 272 pour l’Allemagne, 280 pour les Pays-Bas, et 269 pour la moyenne OCDE. Les scores en littératie en France sont aussi parmi les plus faibles des pays européens de l’OCDE. Seuls l’Espagne, l’Italie, la Grèce et la Slovénie font pire ». A noter que les compétences des salariés sont meilleures chez les plus jeunes, ce qui montre que la relative démocratisation scolaire a eu un effet positif. Et aussi, c’est un point sur lequel insiste le rapport sur les insuffisances de la formation continue.
Mais le CNP attire aussi l’attention sur des effets plus récents. Les compétences scolaires des jeunes français , évaluées dans Pisa, sont juste moyennes avec des inégalités sociales beaucoup plus marquées qu’ailleurs. Encore plus récemment ce sont les résultats de TIMSS qui sont inquiétants. La France a le niveau en maths et en sciences le plus bas des pays développés. Le CNP ne fait que citer ces résultats. Mais il est clair que le niveau très faible en sciences et en maths aura un effet majeur sur le nombre de scientifiques, d’ingénieurs et de techniciens qui seront disponibles pour développer l’économie. Là aussi on retrouve de fortes inégalités sociales et aussi le poids des stéréotypes de genre.
Comment évaluer l’impact de la fermeture des écoles ?
Reste à évaluer l’impact de la fermeture des écoles durant la première vague (6 semaines en France). « Au-delà des effets mesurables sur l’apprentissage des élèves, ces fermetures d’écoles peuvent avoir affecté d’autres dimensions liées à l’acquisition de compétences, comme la volonté de poursuivre des études et le risque de décrochage. S’ils sont avérés, ces effets pourraient se faire sentir à plus long terme que les conséquences plus facilement mesurables sur les compétences acquises », explique le rapport. Et là aussi on retrouve les inégalités sociales.
Plutôt qu’insister sur les évaluations de l’éducation nationale, le CNP s’appuie sur une étude inédite réalisée sur 350 000 écoliers aux Pays Bas. Non seulement l’impact de la fermeture des classes se traduit en perte de savoirs (évaluée à 10%) mais « les pertes sont jusqu’à 55 % plus importantes chez les étudiants dont les parents sont moins diplômés ».
Si en France « seulement » 6 semaines de cours ont été perdues, l’impact peut être grave pour trois raisons. La première c’est que les inégalités sociales pèsent particulièrement en France dans le niveau scolaire. Les élèves ont perdu en moyenne 6 semaines de cours et le CNP évalue la perte de compétences à 14%. Mais pour une partie de la population scolaire, la plus défavorisée, les dégats sont probablement beaucoup plus importants et durables.
Cibler les publics fragiles
D’autant que ni l’Ecole ni la formation continue ne sont capables de remédier à la situation selon le CNP. « Les expériences étrangères et antérieures laissent penser que les retards d’apprentissage observés aujourd’hui en France suite au confinement seront persistants. Ils se traduiront par des compétences plus faibles pour tous les écoliers affectés, avec un effet négatif sur la productivité future. Ces retards ne seront pas rattrapés, à moins d’en faire un objectif affiché de la politique éducative ». Le CNP recommande « d’envisager des politiques dont l’objectif spécifique serait de garantir le rattrapage des compétences non acquises en raison de la Covid-19 ».
Pour le CNP , « l’augmentation de la productivité en France dépend donc d’une meilleure acquisition de compétences. Certaines mesures peuvent le faire à court terme, d’autres peuvent avoir un effet plus structurel. Ainsi, à court terme, les compétences peuvent être améliorées par le recours à la formation tout au long de la vie, efficace et ciblée en priorité vers les personnes en difficulté ou en reconversion… D’autres mesures doivent viser à améliorer les compétences de base de l’ensemble d’une génération, une réduction des inégalités scolaires ainsi que des réformes pédagogiques afin de faire progresser nettement la France en matière de compétences non cognitives (travail en équipe, esprit d’initiative) ».
François Jarraud