Tout le monde a en mémoire un professeur qui a particulièrement compté et à qui on est redevable. Seuls les enseignants se souviennent de ces élèves qui ont marqué leur pratique professionnelle voire davantage. C’est la thèse de Frédéric Miquel, longtemps professeur de lettres, maintenant IPR, pour qui la relation pédagogique n’est pas à sens unique. Une idée qu’il a transformé en dispositif institutionnel dans l’académie de Montpellier. Il s’en explique dans un beau livre (Quand les élèves nous élèvent, L’Harmattan) et dans cet article.
Pourquoi publier ce livre en ce moment ?
Je porte ce livre depuis des années car il émane de mon expérience personnelle et d’un rameau institutionnel qui recueille et étudie les témoignages d’enseignants qui parlent des élèves qui ont joué un rôle important dans leur évolution professionnelle ou personnelle. A travers ce livre je veux montrer qu’il est important de réfléchir à la relation bilatérale entre professeurs et élèves. Traditionnellement les professeurs élèvent leurs élèves de façon souvent inoubliable. Mais parallèlement il y a une relation souvent impensée et un aspect réciproque de cette élévation. On dit souvent que la réciprocité est dans le collaboratif entre élèves. Mais l’élève contribue aussi à la formation de l’enseignant. Cet impensé mérite d’être révélé car il a vocation à renouveler le regard porté sur l’éducation.
Dans l’ouvrage, vous écrivez que l’élève peut devenir source de clarté pour l’enseignant. Un exemple ?
Traditionnellement c’est l’enseignant qui transmet des lumières à l’élève. Mais c’est l’élève qui éclaire aussi l’enseignant en lui révélant ce dont il a besoin, en lui permettant d’adapter de façon inclusive et différenciée ses méthodes pédagogiques. Mais aussi en lui donnant une lumière humaine qui permet à l’enseignant de vivre.
Vous dites que « l’élève engendre le professeur ». Mais quels peuvent les effets des élèves sur les enseignants ?
Dans le livre j’en identifie neuf, répartis dans deux catégories : les effets personnels, psycho affectifs, et ceux qui sont plus professionnels. Ce sont les élèves qui donnent par leur présence son statut au professeur. Dans le meilleur des cas ils lui donnent une sorte de joie. J’ai souvent été réanimé par mes élèves et je ne suis pas le seul. Ils nous donnent des leçons de vie. C’est ce que j’ai découvert par exemple au contact des élèves allophones des bidonvilles à Montpellier.
Du point de vue professionnel, ils peuvent nous transmettre leur talent et leur créativité. Je suis chargé de mission poésie et je constate que ce qu’on propose aux élèves aboutit à des imprévus pédagogiques qui peuvent reconfigurer l’enseignement. L’élève peut guider l’enseignant de façon implicite ou explicite. Il gagne à être écouté. Ce sont les élèves qui apprennent à l’enseignant à adapter ses pratiques. Ils lui enseignent aussi à travers ses échecs.
Mais ces élèves catalyseurs ce sont les élèves des beaux quartiers ? Car il y a aussi des élèves qui interrogent très fortement le métier de l’enseignant….
Ce sont tous les élèves. En classe préparatoire les élèves peuvent contribuer à ce que le professeur acquiert un surcroit de formation. Plus le capital culturel de l’élève est élevé plus il interpelle l’enseignant. Mais en lycée professionnel ou en Rep, où j’ai enseigné 12 années, les élèves demandent aussi à l’enseignant un surcroit de connaissances et de pratique.
Vous présentez les élèves comme des « catalyseurs pédagogiques », mais en même temps vous n’écartez pas le cours magistral. N’est ce pas contradictoire ?
Le cours magistral a mauvaise presse à juste titre. Mais il contient potentiellement une source d’élévation réciproque. L’activité de l’élève peut être intellectuelle. On peut être transformé par un conférencier. Et il y a une façon d’écouter qui rejaillit sur l’orateur. Même dans ce cas l’élévation réciproque est possible.
Autre contradiction peut-être quand vous parlez de la « soumission » de la jeunesse dans le rapport pédagogique ?
La soumission de l’élève est présente dans la relation sociale. Mais elle n’est pas partout présente. Elle est liée à sa passivité, à son attente envers l’école. Mais elle côtoie d’autre formes de libération potentielle dans le quotidien de la classe. Par exemple je vois souvent après l’assassinat de S Paty des discours de type légal qui rendent les élèves passifs. Il me semble pourtant important pour lutter contre le fanatisme que les élèves deviennent des alliés qu’ils soient les instruments des valeurs de la République à travers les projets de classe. La pédagogie fraternelle existe et je l’ai vue dans des actions mises en place par des élus lycéens. La soumission peut devenir engagement.
Ces derniers mois la pandémie a -t-elle changé les choses ?
Elle a paradoxalement renforcé cette élévation réciproque. Elle a brisé des liens d’habitude. On a vu se dresser un désir de présence qui dit bien le désir de réciprocité. Les élèves ressentaient ce besoin de présence mais les professeurs aussi. Ce sont les élèves qui ont décidé la poursuite de la relation pédagogique. Les notes, l’autorité du professeur, le règlement intérieur ont disparu pendant des mois. Parfois ce sont des élèves qui ont permis à des camarades de conserver un lien avec l’école.
La réalité des établissements n’est pas toujours rose. Beaucoup d’enseignants ont du ressentiment envers leurs élèves. Que leur dites vous ?
C’est une réalité même si ce n’est pas un raz de marée. Ce ressentiment provient d’un sentiment de conflit. Il a plusieurs sources liées à l’évolution du système éducatif, à celle de la jeunesse et au conflit générationnel qui se développe dans la société. Il provient aussi du regard critique que la société porte sur le métier enseignant. Savoir que les élèves élèvent les professeurs ne réglera pas tout. Mais il est bon de s’arrêter , de reconsidérer sa carrière et de voir tout ce qui peut se jouer dans la relation que l’on a avec les élèves et qui s’est parfois fossilisé sous l’effet de l’usure. Il faut regarder ce que les élèves peuvent nous donner. Ce qui est essentiel dans ce métier.
Je suis convaincu, pour l’avoir vécu, que ce regard est de nature à apaiser les tensions. C’est aussi ce que montre le dispositif institutionnel « ces élèves qui nous élèvent » qui associe les élèves aux témoignages. En général ils n’ont pas le sentiment d’apporter aux adultes. Ces dispositifs de paroles aident à refonder la relation pédagogique.
Ce dispositif existe depuis quand ?
Il existe depuis 2018. Ce recueil de témoignages d’enseignants vise à améliorer le système scolaire. Actuellement il y a près de 300 témoignages qui sont analysés par des spécialistes des sciences de l’éducation. On développe des formations en direction des équipes pédagogiques et en particulier des jeunes enseignants. Bientôt ces témoignages seront valorisés sous la forme d’un spectacle.
Ce sont les élèves qui partagent le sens donné par les enseignants à leur métier. Ils l’incarnent. Il ne s’agit pas de redonner du sens mais de découvrir la force de ce sens.
Propos recueillis par François Jarraud
Frédéric Miquel, Quand les élèves nous élèvent. De nouvelles voix éducatives. Avant-propos de Philippe Meirieu – Préface de Claire Héber-Suffrin, L’Harmattan, ISBN 978-2-343-21976-9