Depuis une dizaine d’années, à chaque livraison des résultats d’une enquête internationale portant sur les mathématiques à l’école primaire, le schéma est le même : 1. Chacun constate les « faits » : les élèves français réussissent nettement moins bien que leurs camarades de la plupart des autres pays ; 2. Chacun y va de son analyse : le ministère considère que ce n’est pas de sa faute, mais qu’il faut remonter beaucoup plus loin dans le temps et que d’ailleurs des rapports ont été faits et que l’avenir sera meilleur ; les « experts en didactique- formateurs » considèrent qu’il faudrait réformer la formation, qu’on n’accorde pas assez de temps à leur discipline. 3. Constats et analyses posés, tout continue comme avant jusqu’à la prochaine évaluation-sanction avec l’espoir qu’un « miracle » se produira.
Développer la formation des enseignants : oui, mais quelle formation ?
En 2017, nous y étions allés nous-même de nos propres hypothèses face aux résultats de la précédente enquête Timss qui nous situait déjà au dernier rang des pays européens. Dans ces mêmes colonnes du Café pédagogique, nous avancions que d’une part les notions sont enseignées trop tardivement, d’autre part l’enseignement des maths en France reste trop élitiste. Nous prônions le « pouvoir d’agir » plutôt que le concept et invitions à travailler sur deux plans : publier des repères de progressivité et développer la formation. Rien d’original et c’est d’ailleurs en partie fait, notamment grâce au plan Villani-Torossian.
Néanmoins, il me semble aujourd’hui que cela ne suffira pas. En effet, il faudrait qu’il y ait davantage de consensus sur les constats de déficience et notamment que ceux-ci soient partagés au sein des communautés de didacticiens, chercheurs, formateurs qui détiennent l’avenir de la qualité des formations.
Il y a déjà presque 15 ans, nous dressions un tableau des problèmes de l’enseignement des maths en primaire dans un rapport de l’Inspection générale. Nous notions que depuis 30 ans la démarche d’enseignement des mathématiques négligeait les bases de tout apprentissage efficace (les automatismes, l’attention, la répétition… ) ; même si les programmes entre 1980 et 2008 avaient changé à de multiples reprises, le fond restait le même : priorité était donnée à l’activité de recherche des élèves au détriment d’autres aspects pourtant essentiels.
Faire comprendre la genèse des programmes
Les programmes 2008, repris en 2015 ont constitué une rupture avec la conception de tous les programmes antérieurs ; en a-t-on pris suffisamment conscience ? Cela a-t-il été explicité à toutes les générations de professeurs des écoles formés en IUFM, Espé, … et Inspé maintenant ? Cela n’est pas certain ; pour avoir participé à l’élaboration des programmes à de nombreuses reprises, je sais le soin qui leur est apporté : le ministère (l’inspection générale ou la structure en charge de cette mission) fait alors appel aux meilleurs experts : formateurs, didacticiens, conseillers pédagogiques, inspecteurs… . C’est toujours une équipe large qui est mobilisée. Suit une publication … Mais quid de sa diffusion ? De la dévolution, diraient d’aucuns ? Comment les destinataires finaux – les professeurs des écoles – s’en saisissent-ils ? Un peu de réalisme conduit à se dire que nos collègues sur le terrain n’ont pas le temps de s’approprier les changements ; trop souvent, on s’en remet aux manuels et aux quelques heures d’animation pédagogique…
Alors la situation est-elle désespérée ?
Non, bien sûr. D’abord en effet le temps va faire son oeuvre ; cela fait désormais 12 ans, qu’à l’école primaire, on valorise (en principe) par exemple la notion de « composer-décomposer » les nombres ; il va s’ensuivre une souplesse mentale chez les élèves et donc des progrès en matière de calcul. On a aussi compris qu’il fallait travailler les mises en mémoire de procédures de résolution de problèmes-types et non plus passer tout son temps à chercher de nouvelles méthodes ou à traiter des problèmes trop complexes.
Ensuite, les prises de conscience des difficultés se multiplient. Les résultats des enquêtes internationales sont des alertes successives ; pour aller plus loin, examinons les exercices qui sont proposés et tirons-en des conséquences. Les quelques items libérés de la dernière enquête Timss mettent bien évidence certaines exigences ; ainsi en matière de calcul, on leur demande de trouver 428 -176… En CM1, nos élèves français sont-ils assez exercés ? La réponse peut reposer sur une capacité à poser une opération classique de soustraction à retenue ; mais elle pourrait aussi venir de cette fameuse compétence de composer – décomposer ; de 176 à 200, il y a 24 ; de 200 à 428, il y a 228 ; donc le résultat est 228 + 24 , soit 252. Dans tous les cas, les automatismes de calcul auront dû être travaillés, entrainés méthodiquement. Les autres exercices appellent tous une capacité de réflexion dans des situations « simples » ; lire un graphique, donner l’aire d’un triangle rectangle….
Mathématiques et bonheur
Pour remédier à la situation actuelle, il ne faut pas attendre une solution descendante en provenance du ministère. D’ailleurs, ce serait mal connaitre le monde enseignant pour penser qu’une « méthode officielle » ait des chances d’aboutir ! Je « plaide » pour un effort d’information et de formation sur ce que doit être l’enseignement des mathématiques au 21e siècle. Et je maintiens mes propositions précédentes, particulièrement en matière de pourvoir d’agir sur le monde réel donné aux enfants.
J’ajouterai que les évaluations peuvent aussi se retourner. Depuis 2015 où Pisa a commencé à mesurer le lien entre bien-être et résultats scolaires, on s’aperçoit que les pays ayant régulièrement les meilleurs résultats à Pisa (Corée du Sud, Macao, …) sont dans les derniers aux items de bien-être. A l’école primaire en France, l’idée que les maths peuvent être ludiques, agréables est cultivée… C’est parfait et cela devrait être un atout et non une source d’affaiblissement des performances. Il est parfaitement possible de conjuguer plaisir et apprentissage, même en valorisant des notions comme des automatismes à acquérir. Le calcul mental, par exemple, est totalement ludique ; la voie à suivre nous parait donc être dans un certain esprit d’engagement dans des mathématiques vivantes, permettant aux élèves d’apprendre en sécurité et avec plaisir.
Jean-Louis Durpaire
Membre professionnel du Laboratoire BONHEURS
CY CERGY-Paris Université