Le 17 mars dernier, Emmanuel Macron affirmait que la France était entrée « en guerre » contre la Covid-19. Dans le même temps, l’Ecole fermait. De bon ou de mauvais gré, même sans en partager la phraséologie militaire, parents et enseignants suivaient alors les consignes d’un gouvernement va-t-en guerre et s’organisaient pour assurer une « continuité pédagogique », vantée par Jean-Michel Blanquer avec son « tout est prêt ».
Il s’agissait de faire, avec les moyens du bord, une Ecole à distance dont la réussite reposait sur la responsabilité des personnels et, implicitement, sur celle des parents, le ministère de l’Education nationale oubliant dans la foulée d’assurer la cohérence d’ensemble du système éducatif. Dans la réalité, un cauchemar pour beaucoup, dont les effets n’ont d’ailleurs pas fini de se faire sentir sur toute une génération d’enfants.
Huit mois plus tard, on repart comme en 14 ! Comme d’habitude, la France est en retard d’une guerre : le gouvernement n’a en rien anticipé une reprise de l’épidémie, n’a débloqué aucun moyen supplémentaire pour l’Ecole, les élèves retrouvent de nouveau le chemin de leur maison pour suivre une scolarité à tout le moins chaotique. Un mi-temps pédagogique impréparé, hétérogène, inégalitaire.
Pourtant, depuis le mois de juillet 2020, l’Education nationale elle-même avait préparé un protocole à appliquer en cas de circulation active du virus. Des mesures que personne n’a cru bon d’anticiper, à l’exception de certaines collectivités ayant recensé les lieux qu’elles pouvaient mettre à disposition de l’Education nationale, s’associant à ce que le chef de l’État avait lui-même demandé, en se mobilisant pour répondre au mieux à une crise sanitaire exceptionnelle. Mais personne ne leur a rien demandé, les recteurs ayant « oublié » ce sens du commun.
C’est cela aujourd’hui qui doit nous interpeller. Au-delà de la simple polémique stérile, comment peut-on passer à côté de l’essentiel, à savoir ce qui fait société en période de crise. Plus personne n’applaudit les soignants, chacun s’occupe de trouver une raison à sa sortie dérogatoire, les mieux nantis s’occupent d’ores et déjà de préparer leur propre avenir dès qu’adviendra la sortie de crise… Pourquoi ? Sans doute parce que le sens de l’égalité se perd dans les brouillards communicationnels du gouvernement. Le sentiment d’iniquité, surtout lorsqu’il est nourri par le pouvoir, ne peut pas produire de mobilisation positive.
Ce gouvernement ne sait plus – à supposer qu’il ne l’ait jamais su – construire de vision citoyenne nécessaire à l’élaboration du consensus et des actions collectives. Pourtant, cette vision doit s’élaborer à partir des besoins communs et s’appuyer sur un diagnostic des problèmes également posés par le collectif. Pour l’Ecole, les besoins sont connus depuis longtemps, la crise sanitaire n’a fait que les révéler davantage. Mais rien. Aucune réponse du Ministre, même pas un début d’embauches, même pas de masques gratuits, même pas de réduction de la fracture numérique, même pas de sanitaires mobiles, même pas d’aménagements de locaux, rien. Même pas de choix collectifs, juste une hétérogénéité de mesures prises sur le terrain, sans cadrage national. Comme si le Ministre, démissionnaire, n’était déjà plus là, comme s’il avait déjà plongé dans une aventure électorale régionale autrement plus passionnante. Comme si Jean-Michel Blanquer était descendu lors de l’escale « Reprise d’épidémie » abandonnant les commandes de l’avion à… personne ! Une inconstance qui atteste de l’inconsistance du projet pédagogique. Aujourd’hui, bien loin des déclarations tonitruantes des débuts où dédoublement de classes et réformes successives devaient permettre aux plus vulnérables de renouer avec la réussite scolaire, les évaluations de la rentrée démontrent le renforcement des inégalités entre les élèves issus des milieux favorisés et défavorisés. L’absence de mise en œuvre de mesures palliant la fermeture des établissements est tout simplement catastrophique pour des élèves de maternelle comme de terminale. Ces enfants, tout spécialement les plus fragiles, auront bien du mal à se remettre du confinement et ce d’autant plus qu’on est bien en peine de trouver un sens aux décisions ministérielles.
Pourtant, nombreux sont les citoyens qui auraient pu se nourrir d’une vision collective pour se mobiliser autour d’une cause commune. Certains retraités auraient pu seconder des enseignants à bout. Certains étudiants auraient pu tutorer des élèves sous la houlette des professeurs. Certains parents auraient pu élaborer de concert des protocoles sanitaires. Faute d’un projet commun, d’une vision citoyenne, la confiance a disparu : les parents ont le sentiment d’être transbahuté d’une décision à l’autre sans raison, de ne compter pour rien, eux et leurs enfants. Des enfants qui eux aussi ont le sentiment qu’on se joue avec un cynisme presque assumé de leur santé comme de leurs apprentissages et de leur sociabilisation.
Car pour bien répondre à l’instant présent, il faut penser l’avenir. Cet avenir que nos enfants voient s’obscurcir en ayant le sentiment d’être sacrifiés sur l’autel d’une gestion uniquement comptable d’un gouvernement que seul intéresse le rebond à court terme de son PIB, voire de ses résultats électoraux. Et, visiblement, l’Ecole n’entre pas dans ce calcul. L’Ecole est la colonne vertébrale de la République. Elle n’est pas un problème, elle est une solution à condition de lui redonner une centralité qu’elle n’aurait jamais dû perdre. Cela passe nécessairement par des moyens supplémentaires en soutien d’une vision citoyenne résolument tournée vers le futur, au service de nos enfants.
Rodrigo Arenas
co-président de la FCPE