Décidément la nouvelle méthode d’enseignement de la lecture ministérielle divise le monde enseignant. Deux laboratoires universitaires, parmi les plus réputés pour un travail sur l’apprentissage de la lecture , ont refusé de participer à l’appel d’offre ministériel. Ils dénoncent une information trop tardive et revendiquent une liberté dans les outils d’évaluation.
Un appel aux laboratoires
Expérimentée dans plusieurs centaines de classe de CP à cette rentrée, la méthode Lego diffusée par le ministère est présentée comme « scientifique » par le Conseil scientifique de l’éducation nationale. Il est donc normal que celui-ci souhaite l’évaluer. Et un appel à manifestation d’intérêt (AMI) a été lancé en septembre 2020 à cette fin.
L’AMI veut « identifier les conditions d’appropriation de cette méthode et des outils, leur plus value pour l’apprentissage de la lecture et de l’écriture et leur facilité de prise en mains par les professeurs…. Le projet précisera comment il envisage de vérifier, dans les classes, la qualité de l’implémentation du dispositif pédagogique (fidélité à la méthode ou aux principes pédagogiques que le sous-tendent, utilisation partielle d’autres pédagogies, temps passé par semaine, etc.), et la manière dont ces mesures seront utilisées dans un modèle statistique comme modérateurs de l’effet principal ». Les dossiers de candidature étaient à remettre le 19 octobre. Interrogé le ministère ne nous a pas communiqué quel laboratoire a été choisi.
Un délai volontairement trop court ?
Deux laboratoires réputés, l’EMA de l’université de Cergy ,et le LIRDEF, université de Montpellier ont fait connaitre leur refus de participer à cet AMI.
« Nous travaillons pourtant depuis plusieurs années, au sein du laboratoire ÉMA, sur l’enseignement-apprentissage du lire-écrire à l’école et intervenons dans la formation des professeurs. Investis dans le projet « Lire-écrire au CP » entre 2012 et 2020, nous avons bénéficié de la confiance des enseignants qui nous ont ouvert leurs classes et des formateurs qui ont accompagné le projet dans quatre départements (15 des 131 classes ont été observées dans notre académie). L’influence des pratiques d’enseignement de la lecture et de l’écriture au CP sur les apprentissages des élèves a ainsi pu être étudiée selon une méthodologie contrôlée et les conclusions en ont été publiées », explique l’EMA. Le LIRDEF souligne lui aussi sa participation au projet Lire écrire.
« Nous nous sentons légitimes pour traiter de cette question centrale de l’apprentissage de la lecture et de l’écriture au CP. Pourquoi, au regard de tous ces éléments, ne pas répondre à l’appel ministériel ? », écrivent les deux laboratoires.
« L’appel a été clôturé 15 jours plus tard, le 19 octobre 2020. Quelle équipe peut-elle répondre en si peu de temps, sans connaitre la méthode expérimentée – son nom n’est pas cité – ses fondements didactiques, langagiers et linguistiques, sans connaitre le profil des 370 classes qui sont dans cette expérimentation », écrit l’EMA. Faut-il voir dans cette publicité tardive un moyen de sélectionner le laboratoire ? La question semble posée par cette remarque.
Une évaluation trop contrainte ?
Surtout l’EMA justifie son refus par le contenu de l’AMI. « La dernière raison procède de notre conception de la démarche scientifique. Sur cette question de l’apprentissage de la lecture, deux conférences de consensus, en 2003 puis en 2016 (lire, comprendre, apprendre) ont permis d’établir un socle de connaissances partagées entre chercheurs, formateurs et praticiens. Aujourd’hui, évaluer le déploiement et l’efficacité d’une méthode (ou d’outils) doit prendre en compte une pluralité de sources scientifiques et une pluralité d’échelles pour éviter l’écueil des querelles de méthodes stériles. Nous rappelons notre attachement à la confrontation des analyses scientifiques pour faire avancer la connaissance et il nous paraitrait utile et pertinent de permettre à plusieurs équipes de recherche de mener une évaluation des compétences acquises par les élèves de ces CP en fin d’année scolaire au moyen d’outils d’évaluation indépendants de ceux utilisés par le ministère avant de formuler des préconisations. Or cet appel ne prévoit pas un tel dispositif ». Le LIRDEF dit la même chose.
Les deux laboratoires veulent continuer à suivre cette évaluation. « Nous serons attentifs à la conduite de cette expérimentation en analysant les documents fournis aux enseignants et demanderons que des regards croisés sur les analyses scientifiques et les retours d’expérience précèdent les préconisations. »
On voit revenir l’idée que cette méthode Logo pourrait être utilisée pour imposer une méthode unique d’apprentissage de la lecture, qui pourrait donner naissance à un manuel unique ou décliné chez plusieurs éditeurs. C’est le scénario tenté en 2006 à des fins politiciennes qui semble resurgir.
F Jarraud