Sarah Wauquiez, enseignante du premier degré et psychologue, est engagée depuis 1998 dans la pédagogie par la nature. Intervenant le 25 novembre aux Universités numériques organisées par le SNUipp du 24 au 26 novembre, elle a plaidé pour le rapprochement de l’école et de la nature. Un thème qui suscite de plus en plus d’intérêt chez les enseignants avec le confinement et toutes les contraintes induites par la crise sanitaire.
Pour lancer son exposé, Sarah Wauquiez est partie d’un constat saisissant : en France, 4 enfants sur 10 ne jouent jamais ou presque jamais dehors, 1 adolescent sur 5 est en surpoids et au cours des 40 dernières années, les enfants ont perdu un quart de leur capacités cardio-vasculaires. Une situation alarmante que le confinement et la crise sanitaire ont dû encore aggraver.
Santé psychique et santé physique
Sarah Wauquiez, qui mène une recherche-action « Grandir avec la Nature » dans le Doubs et qui fait partie du comité de pilotage du réseau « enseignerdehors.ch », a cité plusieurs études pour appuyer son plaidoyer. D’après elle, il est démontré que la nature et « le lien avec le vivant » favorisent l’apprentissage, qu’il s’agisse de camps, de sorties dans la nature, d’animations à la ferme, etc. « Les apprenants sont plus engagés, plus actifs, plus autonomes, moins stressés, estime-t-elle, le contexte est plus calme, plus sûr socialement, plus chaleureux, plus bienveillant. »
Les bénéfices vont aussi bien aux enseignants qu’aux enfants. Il y a d’abord la gestion du stress et l’estime de soi qui s’en trouvent améliorées. « Dans notre recherche, un petit garçon rentrant un jour de l’école du dehors, a expliqué : « En forêt, j’ai essayé de grimper à un arbre tout seul et j’y suis arrivé. Ça m’a rendu plus fort. » Cet enfant a su s’adapter pour trouver comment grimper, il a fait preuve de résistance psychique car il dû tenter et échouer avant de réussir ».
Pour l’enseignante, c’est la santé psychique et physique qui y gagne. S’ils vont régulièrement en classe dehors, les enfants reconnectent avec la terre et avec la nature, deviennent plus mobiles, ont moins de problèmes de poids.
Réticences françaises
Selon Sarah Wauquiez, en faisant école à l’extérieur, que ce soit en pleine nature ou dans un parc proche si l’on est en ville, on travaille aussi « les compétences du 21ème siècle » qui permettent plus tard de mieux s’insérer dans la vie économique, en particulier « les 4 C : la communication, la collaboration, la créativité et l’esprit critique ».
L’enseignante a pris l’exemple d’un bâton qu’elle a brandi devant l’écran : « Les enfants se demandent : qu’est-ce que ce bâton, que faire avec, comment l’utiliser, s’il est trop lourd il faut se mettre à deux pour le porter, qu’est-ce qu’il y a si l’on gratte sous l’écorce »… Beaucoup de questions qui montrent que les élèves sont plus impliqués et qui dynamisent la relation avec les enseignants.
Sarah Wauquiez n’a toutefois pas caché qu’en France, il existait des réticences, loin des pays anglosaxons et nordiques comme la Norvège, où le rapport à la nature est traditionnellement fort et même ressenti comme essentiel. « Attention, tu vas te salir, fais attention à tes vêtements ! », peut-on entendre quand un enfant gambade dans l’herbe… « On peut ajouter les inquiétudes des parents qui ont peur que l’enfant tombe malade, qu’il se blesse… »
Pour y répondre, l’intervenante souligne l’importance de « collaborer avec les parents, en les invitant à participer aux sorties nature et en prenant en compte leurs craintes ».
Changement de posture enseignante
Du côté des professeurs, enseigner à l’extérieur suppose « un changement de posture », souligne Sarah Wauquiez. « Dehors, on est moins enseignants, plus accompagnants. Il faut apprendre à baser son enseignement sur ce que l’on voit, cela demande un certain lâcher prise sur la transmission des savoirs. » Sans oublier de faire le lien avec la salle de classe, en relatant la séance, par exemple, dans un cahier après la sortie.
Pour que cela réussisse, assure Sarah Wauquiez à partir de son expérience et de ses recherches, cela suppose d’être « accompagné et coaché par une accompagnatrice nature ». D’où la délicate question : qui va financer ? L’intervenante a aussi plaidé pour une formation continue des enseignants – autre sujet sensible alors qu’elle est réduite à peau de chagrin dans les écoles.
Dernière condition : il faut le soutien de la hiérarchie. Depuis le printemps, de plus en plus d’enseignants emmènent leurs élèves dehors, notamment en maternelle, s’inspirant des écoles en forêt ou des pédagogies actives. Devant les nécessités de distanciation, la hiérarchie n’est pas difficile à convaincre.
A la question d’un syndicaliste s’inquiétant de la volonté du ministère de tout contrôler et d’encadrer les pratiques pédagogiques, Sarah Wauquiez s’est montrée optimiste : « Les enseignants témoignent que cela leur permet plus de liberté ainsi qu’aux élèves. » Pour les enfants, poursuit-elle, en ces temps difficiles, la reconnexion à la réalité est aussi un moyen de s’émerveiller et « contribue à réenchanter le monde ».
Véronique Soulé
Bibliographie proposée par Sarah Wauquiez
« Argumentaire avec la Fondation SILVIVA : 5 bonnes raisons pour enseigner dehors », 2020.
« L‘école à ciel ouvert. 200 activités de plein air pour enseigner le français, les mathématiques, les arts… », La Salamandre, 2020. Avec Nathalie Barras, Martina Henzi.
« Les enfants des bois. Pourquoi et comment sortir en nature avec de jeunes enfants. », Books on Demand, 2014