Les nouveaux professeurs des écoles viennent-ils des mêmes catégories sociales et des mêms formations que ceux des générations précédentes ? Comment évolue le rapport candidats / reçus ? Comment se passe le début de carrière ? Combien de temps faut-il pour atterrir sur un poste définitif ? Comment les professeurs des écoles vivent-ils leur carrière ? La revue Education& formations (n°101) publie plusieurs articles qui invitent à réviser bien des jugements. Au final, un tiers des PE s’éclate dans le métier. Un tiers est plus ou moins en souffrance.
Un métier en perte d’attractivité
» Le groupe professionnel des enseignant.e.s du primaire connaît une crise de recrutement qui pourrait entraîner une baisse de la qualité de l’enseignement dans les écoles », écrivent F Charles, M Cacouault Bitaud, F Legendre, PY Connan, A Rigaudière et S Katz, réunis par la Depp. Ils analysent les 50 dernières années de recrutement des professeurs des écoles (PE), marquées pourtant par une hausse continue du niveau de diplôme.
Après des années de très fort recrutement dans les années 1960 puis dans les années 1990, le nombre de postes a chuté au début du siècle avant de monter sous le quinquennat de F Hollande. Si le nombre de candidats globalement suit cette évolution, l’écart entre candidats et postes s’est fortement réduit depuis 2010. D’où une hausse des taux de réussite au concours, passé de 19% en 2010 à 36% en 2019.
Le métier attire moins et les auteurs s’attachent à en définir les causes. Quand ils regardent comment se fait l’accès au métier ils relèvent la montée des candidats en reconversion professionnelle. Ils constituent aujourd’hui un tiers des lauréats du concours. Beaucopu d’entre eux ont déjà un master quand ils s’orientent vers l’enseignement. Le résultat c’est que près de la moitié des nouveaux PE entrent dans le métier sans être passés par la formation délivrée par l’institution (le master MEEF).
Le métier de PE a attiré de plus en plus de femmes. Le taux de féminisation est passé de 65 à 83% de la fin des années 1950 à aujourd’hui. Cela alors même que le professorat n’apparait plus comme le principal débouché des femmes diplomées.
Une évolution sociale a eu lieu aussi. La part des enfants de cadres a fortement baissé , passant de 30% à 20% depuis les années 1980 alors que les professions intermédiaires et les couches plus populaires augmentaient. » L’origine sociale des nouveaux.elles accédant.e.s est nettement plus faible que celle de leurs pairs en poste. Alors que ces derniers sont 27,6 % à être originaires de la catégorie des cadres et professions intellectuelles supérieures, ce taux chute à 15,4 % chez les professeur.e.s stagiaires. Enfin, il est encore plus faible quand on prend en compte le sexe : 13,6 % pour les femmes contre 25,3 % pour les hommes. Le point remarquable ici c’est que la désaffection pour la profession touche en priorité les femmes issues des catégories supérieures », notent les auteurs.
Pour eux, » L’État semble être dans une impasse pour résoudre cette crise dont tout indique qu’elle risque de s’inscrire dans la durée. En effet, une partie importante de son vivier habituel, à savoir les femmes diplômées du supérieur, s’est détournée de la profession pour rejoindre des emplois et des fonctions qui offrent à ce niveau de qualification (master) des rémunérations plus élevées et des perspectives de carrières plus ouvertes. La représentation de l’enseignante « bien mariée » qui en rabat sur les exigences en matière de rémunérations apparaît comme obsolète quand on se réfère aux données de notre enquête ». Aujourd’hui les postes sont remplis grâce aux reconversions (sauf dans quelques académies où des postes restent vacants). Si les reconversions diminuaient…
Des débuts dans la carrière difficiles
C’est aussi que les débuts dans la carrière de professeur des écoles sont difficiles, explique Yves Dubois (Depp). Les néotitulaires sont plus souvent affectés sur des postes moins pérennes et plus fragmentés. » Certains postes sont plus fréquemment affectés aux nouveaux titulaires. Ainsi alors qu’ils représentent 20 % du total des enseignants du premier degré, ils représentent 60 % des affectés sur des postes de complément de décharge de directeur et de complément de temps partiel et 47 % des affectés sur des postes de remplacement », écrit-il. «
C’est encore pire pour les femmes. » Néanmoins, les différences d’affectations entre les hommes et les femmes sont très tôt marquées. Les femmes sont cinq fois plus affectées en préélémentaire que les hommes », remarque t-il. » Les postes fractionnés pour compléter des décharges de directeur ou de temps partiels, sont presque deux fois plus fréquent chez les femmes que chez les hommes au cours des quinze premières années ».
La première année qui suit leur stage, 86 % des nouveaux professeurs des écoles sont affectés de manière provisoire ou en zone. Cette proportion baisse progressivement à moins de 40 % la cinquième année et se stabilise à 8 % la 17e année. On va trouver aussi davantage de néotitulaires en zone rurale peu dense ou dans des zones socialement défavorisées. Les enseignants affectés en zone d’éducation prioritaire ont 3.2 années d’ancienneté en moins que ceux des autres zones.
Globalement l’ancienneté moyenne pour obtenir son premier poste définitif est de 2.7 années pour les hommes et 3.2 pour les femmes. Pour accéder à un premier poste définitif hors zone de remplaceemnt, il faut 4.6 années pour les hommes et les femmes. POur accéder à un poste définitif hors remplacement et éducation prioritaire il faut 4.7 années pour un homme et 5.1 pour une femme. Encore cela varie t-il selon les départements.
Heureux dans le métier ?
Métier en crise car ayant du mal à recruter, le métier de professeurs des écoles est-il aussi désenchanté, en souffrance ? G Farges, M Danner, S Garcia et JF Giret ont étudié la façon dont les PE vivent l’exercice du métier. En croisant les données d’une enquête avec des entretiens individuels, ils arrivent à dessiner l’état moral de la profession.
Les PE parlent volontiers de leur souffrance au travail.Ils évoquent la masse de travail qu’on attend d’eux, la solitude dans le travail. D’après les auteurs, les PE » comme les cadres, répondent le plus souvent qu’en cas de problèmes ils règlent seuls l’incident. De plus, les professeurs des écoles sont ceux qui, avec les cadres du public, disent être le moins aidés par leurs supérieurs hiérarchiques lorsqu’ils ont à faire un travail délicat ou compliqué. En outre, le groupe des professeurs des écoles se distingue des autres par la moindre adaptation des moyens matériels mis à leur disposition dans le cadre de leur travail.. Ils parlent aussi des » les réformes trop fréquentes et tributaires des calendriers électoraux… les relations avec l’inspection académique sont présentées comme étant le plus souvent des relations de contrôle et non de soutien ou d’accompagnement ».
A partir de ces données les auteurs identifient trois groupes de PE. Un premier tiers (37%) vit le métier comme quelque chose d’harmonieux et d’épanouissant. Leurs relations avec les parents ou leur hiérarchie est vécue positivement. « Le respect des programmes ne leur pose pas de difficulté. Ils peuvent mettre en place les méthodes qui leur paraissent les plus adaptées aux besoins des élèves, ou tester de nouvelles méthodes, ce qui montre qu’ils parviennent à adapter leur travail en contexte d’une façon qui leur convient », notent le sauteurs. On trouve dans ces enseignants une surreprésentation de professeurs qui ont eu rapidement l’affectation qu’ils souhaitaient et qui ont moins que les autres enseigner en éducation prioritaire.
Le second tiers (30%) rassemble des enseignants » dont l’exercice professionnel apparaît tout à la fois tendu et satisfaisant ». Ils indiquent des tensions avec les autres enseignants, la direction, les IEN, le sparents. Ils dénoncent l’intensité du travail. Il s’agit plus souvent de directeurs.
Enfin un troisième tiers (33%) vit le métier de façon pénible. Ils ne s’épanouissent pas , ne se sentent pas valorisés. Ce sont souvent des enseignants qui ont attendu longtemps un poste définitif et enseigné longtemps en éducation prioritaire.
François Jarraud